Mort de Nooran Rezayi: des caméras corporelles auraient-elles changé quelque chose?


Andrea Lubeck
La mort du jeune Nooran Rezayi, l’adolescent de 15 ans tué par un policier de Longueuil dimanche dernier, ravive le débat sur le port de caméras corporelles. La tragédie aurait-elle pu être évitée si des images avaient été captées au moment de l’intervention policière?
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À quoi servent les caméras corporelles?
Placées au niveau du torse, les caméras corporelles filment ce qui se déroule du point de vue des policiers qui les portent. De manière générale, l’agent doit commencer l’enregistrement au début d’une intervention et peut l’arrêter quand il veut; elles ne filment pas de manière continue.
La Gendarmerie royale du Canada (GRC) affirme sur son site web que ces dispositifs servent à «améliorer la confiance entre les policiers et les communautés qu'ils servent, car elles sont un moyen indépendant, impartial et objectif d’enregistrer les interactions entre les policiers et la population». Quelque 90% de ses agents en porteront d’ici novembre 2025.
Le professeur agrégé à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, Massimiliano Mulone, croit pour sa part que «ça sert pas à grand-chose».
«Aucune étude ne démontre de manière claire et évidente que le port de caméras fait réduire le nombre de personnes tuées par la police ou qui subissent de la violence policière», indique-t-il.
On pourrait penser que les images des caméras corporelles pourraient être bénéfiques en cas de procès impliquant la police. Or, ce n’est pas nécessairement le cas, puisque ces images «ne peuvent pas être présentées comme une vérité absolue en cour», précise le professeur Mulone.
«Les caméras sont autant utilisées pour accuser la police que pour défendre la police. Est-ce que ça mène à une meilleure justice? Aucune étude ne démontre qu’on condamne désormais les mauvais policiers et qu’on évite de condamner les bons policiers», fait-il valoir.
Il prend pour exemple une victime de brutalité policière dont le témoignage peut être remis en cause parce que, sous le coup de l’émotion, elle pourrait intervertir deux événements par rapport à ce qui est démontré sur les images, «même s’il y a une faute de la police».
Les caméras corporelles auraient toutefois pu fournir plus de contexte sur l’intervention aux enquêteurs du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), chargé de faire la lumière sur les circonstances entourant la mort du jeune Nooran Rezayi, souligne néanmoins Massimiliano Mulone.
L’intervention auprès de Nooran Rezayi aurait-elle été différente si les policiers portaient des caméras corporelles?
Probablement pas, selon le professeur.
Il établit un parallèle avec le meurtre de George Floyd, qui n’a pas été freiné malgré le fait que le policier Derek Chauvin portait, au début de l’intervention, une caméra corporelle et que des passants filmaient la scène.
«Même en sachant qu’ils sont filmés, les policiers procèdent à l’intervention et à l’assassinat de George Floyd pendant de très longues minutes», illustre-t-il.

Dans le cas de la mort de Nooran Rezayi, «je ne suis pas dans sa tête, mais je ne pense pas que le policier qui a tiré s’est dit: “Je ne suis pas filmé, je vais tirer”», ajoute le professeur Mulone.
«La question qu’on doit se poser, ce n’est pas “est-ce qu’il faut des caméras ou pas”, mais plutôt “comment c’est possible qu’un jeune de 15 ans par armé soit considéré comme une menace suffisante pour mourir?”»
Où les caméras corporelles sont-elles utilisées au Canada?
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a mené en 2019 un projet pilote, que le corps policier a décidé de prolonger pour tester l’utilisation des téléphones cellulaires des policiers comme caméras.
Durant la campagne électorale de 2021, Valérie Plante avait pourtant promis que les agents du SPVM seraient équipés de ces caméras dès 2022. Cet engagement n’est toujours pas réalisé.
En 2022, un comité de travail mis sur pied par Québec avait recommandé de rendre les caméras d’intervention obligatoires. Le rapport indiquait que la technologie déployée devait être la même pour tous les corps policiers de la province et que les coûts devaient être assumés soit par le corps policier, par le gouvernement ou les deux.
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Les policiers de Toronto sont munis de caméras d’intervention depuis 2020. Une enquête de Radio-Canada a d’ailleurs révélé que certains d’entre eux omettaient de les activer lors d’interventions, parfois même de manière injustifiée.
À Edmonton, les policiers portent ces dispositifs depuis juillet 2023.
Dès novembre, le Service de police d’Ottawa participera à un projet pilote et déploiera 30 caméras d’intervention aux policiers de l’Équipe d’intervention de crise et de l’équipe Changement. L’initiative découle des recommandations du coroner émises à la suite de la mort d’Abdirahman Abdi, un résident d’Ottawa tué alors qu’il vivait un épisode de crise en 2016.