Maxime Le Flaguais se confie sur la vie sans son père
Deux ans après le décès de Michel Côté.
Michèle Lemieux
Ceux qui ont eu le privilège de côtoyer Michel Côté se souviennent d’un homme bienveillant, charismatique et profondément humain. Dans le livre Michel Côté et nous: 50 regards sur l’homme et son œuvre, 50 d’entre eux se confient à son fils cadet, Maxime Le Flaguais, qui cosigne avec Pierre Gince un ouvrage rempli de souvenirs, d’anecdotes et de moments inoubliables permettant de mieux connaître l’homme derrière l’acteur.
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Maxime, en lisant votre livre, on comprend pourquoi il était nécessaire de l’écrire.
Mon père a toujours refusé les offres pour écrire sa biographie. Ma mère, mon frère et moi sommes allés rencontrer Pierre Gince dans un restaurant, et il nous a parlé de ce projet. Nous avons trouvé l’idée intéressante, car ce sont 50 personnes qui parlent de mon père. Ce sont des points de vue uniques et très intimes sur lui. Je me suis senti investi d’une mission de me rapprocher le plus possible de qui il était. Ç’a été un projet très riche en émotions.
Sur le plan professionnel, ses collaborateurs sont unanimes: Michel Côté était à la fois un grand acteur et un être humain rassembleur.
Effectivement. Mon père avait des défauts, mais pour être tout à fait honnête, il n’en avait pas beaucoup. Il était facile d’accès et foncièrement généreux avec le monde. Il faisait passer les autres avant lui. Dans la famille, il fallait constamment qu’on lui rappelle de prendre soin de lui. Il s’assurait que les gens autour de lui soient bien, mais il s’oubliait souvent. Il avait plein de qualités. Professionnellement, nous avons recueilli de super beaux témoignages. Tout le monde a de bons mots à dire sur lui, que ce soit Louis-José Houde, Antoine Bertrand, Karine Vanasse ou ma copine, Caroline (Dhavernas), qui a eu la chance de tourner avec lui. Sur un plateau, il donnait une place à tout le monde, autant aux techniciens qu’aux acteurs. Il créait des liens très rapidement avec les gens. C’était un homme de valeur, sensible aux autres.
C’était aussi un être humain extraordinaire dans sa vie privée.
Oui. C’était vraiment quelqu’un qui avait le sens de la famille. Comme j’ai grandi avec lui, j’imaginais que tout le monde avait un père protecteur et rassembleur comme le mien. En vieillissant, je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas. C’était un père investi, avec une présence tellement intense et entière. Comme mon frère et moi l’avons vu partir pour aller jouer dans Broue durant toute notre jeunesse, il avait peur d’avoir été absent. Nous l’avons rassuré, parce que, quand il était là, il était entièrement avec nous. Il s’ennuyait de nous quand il était en tournée. Quand il voyageait avec ma mère, il ne voulait jamais partir plus que trois semaines: il s’ennuyait trop de ses enfants, et de ses petits-enfants par la suite. Quand Théo, Olivia et Françoise sont nés, il voulait passer le plus de temps possible avec eux.

Il était un grand-papa manifestement très investi.
Oui, et c’est l’idée de perdre ce profond attachement qui a été son plus grand drame. Il a affronté la maladie avec tellement de cran, de courage et de dignité... Il a été malade pendant un an et demi et chaque fois qu’il pleurait ou qu’il était le plus ému, c’était quand il pensait à ses petits-enfants. Savoir qu’il allait les quitter et ne pas les voir grandir était une tragédie pour lui. J’ai beaucoup de compassion pour les millions de Québécois qui vivent ça. C’est vraiment terrible. Quand mon grand-père Ovila est mort, j’ai vu mon père pleurer. Ça lui faisait beaucoup de peine, et il commençait à réaliser qu’il serait le prochain. La vie, c’est un convoyeur... nous allons tous y passer.
Et ça n’arrive pas toujours au moment où on s’y attend.
Effectivement. Moi, j’ai vécu ma crise de la quarantaine en même temps que le décès de mon père. Quand il s’est éteint, le 29 mai 2023, j’avais 40 ans. Ç’a été une période chargée. Heureusement, ça allait très bien avec Caroline, car nous formons un couple solide. Ça fait neuf ans que nous sommes ensemble. Ma fille a été extraordinaire à travers tout ça. Elle nous soutenait beaucoup, car elle était pleine de vie et d’énergie.
Ça n’enlève rien à la peine, mais ça fait du bien de voir que la vie continue...
Oui, mais c’est sûr que, lorsqu’elle était couchée, si j’entendais une chanson qui me faisait penser à mon père, les émotions m’envahissaient. La première année du deuil a été difficile. Après, comme le dit la chanson: «On n’oublie rien de rien, on s’habitue, c’est tout.» Mon père allait avoir 73 ans. Quand il avait eu 70 ans, je m’étais dit que je devais me préparer, car tout pouvait arriver, n’importe quand. Plus que jamais, je vis avec la conscience de cette finalité. Récemment, j’ai reçu des amis à souper à la maison et j’ai pris le temps de leur dire à quel point j’étais content de partager ces moments avec eux, et combien je les aimais. Les gars étaient tous émus...
Avez-vous eu le temps de dire tout ce que vous aviez à dire à votre père?
Oui, parce que nous avons eu le temps de nous préparer. Pour mon père, c’était super important que tous ses papiers soient en ordre. Il voulait nous faciliter la tâche. Du côté de ses relations, il n’avait de rancune envers personne, et personne n’en avait envers lui. Il est donc parti en paix.
A-t-il toujours été aussi serein en envisageant la fin?
Au début, il pleurait beaucoup. Il refusait de partir, mais dès que c'est apparu sans équivoque, il n’a plus pleuré. Il était presque illuminé, comme Bouddha. C’était vraiment spécial... Il nous disait: «Vous pouvez pleurer, mais pour moi, c’est terminé. Je suis bien.» Il est vraiment parti en paix. Mon frère est architecte et sa firme venait d’être classée parmi les meilleures du Canada. Moi, je venais d’être nommé au Canadian Screen Awards dans la catégorie du Meilleur acteur pour Rodéo. Il était tellement fier de ses fils, de ce qu’ils avaient accompli. De la même manière, nous étions fiers de notre père. Nous lui avons dit et répété que nous l’aimions. Au final, c’est tout ce qui compte... J’avais une relation merveilleuse avec lui, mais nous avons quand même connu quelques différends. J’ai pris le temps de lui dire que tout était réglé. J’encourage d’ailleurs les gens à pardonner, à poser des gestes pour ne pas rester avec des questionnements ou des incertitudes.
Votre frère, Charles, a été donneur de moelle osseuse pour votre père, n’est-ce pas?
Effectivement. On avait trouvé un donneur en Allemagne, mais le médecin a statué que mon frère était le mieux placé. Il a vécu tout cela avec une force incroyable. Il a fallu qu’il prenne de la médication, qu’il subisse des interventions. La greffe a fonctionné, mais malheureusement, la chimiothérapie et la radiothérapie n’ont pas complètement éliminé le cancer, et il a eu une récidive. Je tiens à souligner le travail de tous les médecins, infirmières et préposés aux bénéficiaires, qui ont été vraiment extraordinaires. Mon père en avait fait une nouvelle famille. Plusieurs nous ont dit être tristes qu’il ait perdu sa bataille contre le cancer.
Évoquons, si vous le voulez bien, la relation exceptionnelle de vos parents. Quel beau modèle de couple qui a traversé le temps!
C’était une relation extraordinaire! Ils se sont rencontrés en 1972. C’est 51 ans de vie commune. Honnêtement, je pense que je les ai entendus se chicaner une seule fois, et ce n’était pas une grosse chicane. Ils nous préservaient, ils faisaient attention à nous. Ils avaient une relation exemplaire et s’aimaient énormément. Mes parents disaient que le fait que mon père parte en tournée a été bénéfique pour le couple, parce qu’ils s’ennuyaient l’un de l’autre. Quand ils se revoyaient, l’amour renaissait. Ils prenaient grand soin de se séduire constamment. Ils comprenaient l’importance de ne pas tenir l’autre pour acquis. Une infirmière nous a raconté que mon père avait dit l’une des choses les plus romantiques qu’elle ait jamais entendues. Quand il était en isolement à l’hôpital et que la nuit arrivait, elle voulait fermer ses stores, mais il disait toujours: «Non, laissez-les ouverts, parce que je peux voir ma femme d’où je suis. Je veux avoir un œil sur elle...»
Comment votre mère vit-elle son deuil?
Avec tellement de force! Elle invite des amis à souper, elle est reçue aussi. Elle va à la Maison symphonique et au théâtre. Elle a toujours été indépendante. Elle dit souvent: «Ce n’est pas être seule qui me fait de la peine. Ce qui me rend triste, c’est d’être sans lui.» Parce qu’il avait une présence incroyable. Elle l’aimait, son Michel. Pour mon frère et moi, c’est difficile, mais c’est bien pire pour ma mère. Je pense qu’elle vit un deuil vraiment profond. Mon frère et moi sommes là pour elle. Nous la soutenons énormément. Elle garde souvent Françoise, Théo et Olivia. Elle permet à mon frère et à Isabelle de partir en voyage. Elle est en forme et en pleine santé. Elle est de bonne humeur. Elle a des moments d’émotion et elle se permet de les vivre.
Ce livre sera donc un bel héritage pour les trois petits-enfants, que votre père adorait?
Oui, et ma petite me parle de mon père tous les jours. Quand je vais la reconduire à l’école, nous voyons sa pierre tombale de la route. Au début, quand nous allions le visiter, Françoise poussait sur la pierre pour le laisser sortir: elle ne comprenait pas qu’il était mort. Mon père s’est fait enterrer près de l’entrée pour que nous n’ayons pas à marcher trop loin. Il a pensé à notre bien-être même après sa mort... Théo, qui est le premier de ses petits-enfants, avait un lien particulier avec mon père. Ils ont tissé des liens à travers le sport, entre autres. Mon père adorait ses petits-enfants et ç’a été son plus grand deuil avant de mourir. Il répétait qu’il allait s’ennuyer d’eux...
Le livre Michel Côté et nous: 50 regards sur l’homme et son œuvre est disponible en librairie.