Marie Carmen se sent transformée
Jean-Marie Lapointe
Marie Carmen a connu un succès retentissant dans les années 1990. Son album Miel et venin et la chanson L’aigle noir l’ont propulsée au sommet des palmarès et l’ont fait connaître jusqu’en Europe. Depuis deux décennies, elle s’est toutefois faite discrète, consacrant une bonne partie de son temps à venir en aide à de jeunes défavorisés au Pérou. Elle se confie sur cette expérience unique alors qu’elle présente son premier spectacle solo en 30 ans.
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Marie, après avoir fait une longue pause des spectacles, tu es remontée sur scène, depuis quelques années, avec tes amies Joe Bocan et Marie Denise Pelletier. Et maintenant, tu parcours la province avec ton nouveau spectacle, Perles cachées. Pour débuter, j’ai envie tout simplement de te demander: comment ça va?
Ça va très bien, merci. À 65 ans, j’ai vraiment envie de profiter au maximum de la vie. Pas de temps à perdre! Je ne veux rien manquer de mes journées, alors je me couche très tôt et je me lève avant le lever du soleil. Je n’ai plus envie d’aller dans des zones qui réveillent des affaires plates. Je leur tourne le dos et je regarde en avant.
Est-ce que je peux déduire que, il y a 20-30 ans, tu n’étais pas dans cet état d’esprit?
Je dirais que je suis plus heureuse maintenant que durant la période où j’avais beaucoup de succès. Je m’écoute. J’écoute mon corps. Je suis plus attentive aux signaux que me donnent les «drapeaux rouges». C’est ce qui est merveilleux avec l’expérience de vie. Je suis riche de tout ça, et en même temps, je ne veux pas que des situations d’inconfort se répètent. Oui, le temps passe de plus en plus vite. On ne sait jamais combien de temps il nous reste et ce que l’avenir nous réserve. Je suis reconnaissante pour la force de vie phénoménale qui m’habite.
On dirait que notre corps a sa propre mémoire. Il enregistre des choses. Il se souvient, grâce aux sens...
C’est vrai! Il sait reconnaître ce qui fait lever les drapeaux rouges! Le corps, il commence par chuchoter. Après ça, il parle. Ensuite, il hurle. Et quand on en est là, il est souvent trop tard... Si tu es malade, ça fait longtemps que ton corps te parle.

C’est important de l’écouter...
Je tiens à préserver ma bonne humeur, et ce n’est pas un caprice, c’est aussi pour le bien de tous. Il y a une équipe. C’est très important pour moi d’afficher mes limites. Je les connais bien, mes limites. Je ne veux pas retourner dans des situations où je pourrais les dépasser. J’ai toujours le désir de faire plaisir aux gens, de répondre aux attentes et aux demandes des gens. C’est mon discours depuis plusieurs années. Il y a souvent des gens dans mon entourage qui ont du mal à dire non. Pour ma part, j’ai toujours su dire non. Je crois que c’est plutôt «oui» qu’il faut apprendre à dire. Apprendre à SE dire oui. L’approbation, on aime tellement ça! Souvent, on cherche à se brancher aux autres...
Est-ce en étant plus à l’écoute de toi-même que tu as eu l’impulsion d’aller vers les autres?
La vie n’arrête pas de nous enseigner des affaires. J’ai eu une grosse cassure et j’ai dû recoller les morceaux. Si j’ai réussi, c’est grâce à cette phénoménale force de vie qui me voulait vivante. C’est cette force de vie là qui m’a amenée à faire de l’aide humanitaire. Ce n’était pas un coup de tête ou une fuite vers l’avant. Si je ne suis plus celle que je croyais être et que j’ai vendue et portée à bout de bras, c’est grâce à cette force.
Au début des années 2000, tu as mis fin à un cycle de vie artistique. Pourquoi?
Ma trentaine a été une période où j’ai connu un immense succès, mais aussi une période douloureuse et épuisante. Par la suite, j’avais envie de visualiser qui j’étais, d’aller voir ailleurs, d’explorer un peu plus qui était Marie Aubut (son vrai nom). À cette époque, j’étais certaine que je ne chanterais plus. Au même moment, il y avait quelque chose en moi, cette espèce de force de la vie, qui m’a amenée à faire de l’aide humanitaire.
Cette exploration, était-ce pour apprendre à mieux te connaître?
Même si on appelle ça de l’aide humanitaire, je n’aime pas le verbe aider dans ce cas-ci; parce qu’au fond, qui aide qui? Je préfère utiliser «appuyer» ou «accompagner». J’avais aussi envie d’apprendre l’espagnol, et je m’y suis consacrée très sérieusement. J’ai contacté un grand nombre d’organismes, en me présentant sous mon nom, Marie Aubut. Partout, on m’a répondu: «Vous n’avez pas de diplôme» ou «Vous êtes trop vieille». Au début des années 2000, je suis partie au Pérou, à Ricardo Palma, un petit village dans la province de Lima. Pas sur les côtes, mais plus dans les terres. Plus tard, je me suis retrouvée dans différents districts de Lima, mais la première année, ç’a vraiment été dans les terres. On m’a offert d’aider dans un hogar, un mot qui signifie refuge, foyer. Chaque hogar a une vocation bien précise. Il y en a pour les sidéens, les tuberculeux contagieux, les abandonnés de tous... Il y avait un pavillon pour des jeunes abandonnés qui avaient de 4 à 18 ans. Des enfants dont on avait abusé, qui étaient carencés. J’étais la seule femme — une étrangère en plus! — qui travaillait avec 150 de ces garçons. Là-bas, on les appelait la mala hierba, la mauvaise herbe. Je me suis accrochée à eux, et eux à moi. Sur une période d’environ 5 ans, j’y ai passé à peu près 27 mois en tout.

Avais-tu suivi une formation particulière pour intervenir auprès d’eux?
Oui, j’avais eu une formation intensive pour me préparer à ce que j’allais faire. J’avais tout un langage, des codes à apprendre liés au domaine médical, à la santé, au corps humain, aux maladies, aux bobos, tout ça. Mes séjours duraient entre six et huit mois. Je revenais passer quelque temps au Québec pour ne pas perdre mes droits, puis je retournais au Pérou.
Pourquoi as-tu pris la décision d’aller au Pérou, en particulier?
C’est le Pérou qui m’a choisie. Il y avait ce désir d’aller faire de l’aide humanitaire. Je ne savais pas où aller ni ce que j’avais à offrir. Qu’est-ce que ça a à offrir, une chanteuse retraitée au début de la quarantaine? Alors, je me suis mise en action, et des choses se sont enclenchées. Quand on décide de passer à l’action, il y a des forces qui travaillent pour nous qui se mettent à agir. Alors, j’ai réfléchi à tout ça pendant un an et, lorsqu’une occasion s’est présentée, j’étais prête à m’engager. Les travailleurs humanitaires, nous avons cette fibre-là. C’est quelque chose qui est en nous depuis toujours. Depuis cette époque-là, je cherche à être vraie, à être moi. C’était vraiment un appel de l’intérieur.
Comment cette expérience t’a-t-elle transformée? À quel point la Marie Carmen qui est remontée sur scène est différente de celle d’avant le Pérou?
J’ai découvert, au Pérou, que je n’ai pas que deux facettes, une noire et une blanche. Je suis bien plus que ça. C’est réducteur de se décrire comme une personne qui a deux facettes opposées. J’ai appris à reconnaître mes nombreuses facettes, qui ont des éclats multiples, comme un diamant. J’ai parlé de tout ça avec Luc De Larochellière. Il a une si grande écoute! À ma demande, il m’a composé une chanson qui est un véritable bijou: La mauvaise herbe. Les paroles sont sublimes. C’est cette chanson que j’interprète au début de mes spectacles en ce moment.
Au Pérou, tu as été nourrie autrement que le showbiz aurait pu le faire, c’est évident. J’imagine que, depuis, tu montes sur scène avant tout pour te faire plaisir...
Je suis tellement contente que tu me dises ça! J’ai vraiment repris le goût à la scène en chantant avec Joe Bocan et Marie Denise. C’était d’ailleurs un retour à la scène pour nous trois. Il y avait une liberté, une telle légèreté... Pendant ces quatre ans de spectacles, le producteur Martin Leclerc m’a proposé de faire un show en solo, mais j’avais trop de fun en gang! Heureusement, il a été persévérant, et nous avons fini par monter mon spectacle. Celui que je viens de mettre au monde, mis en scène par Joe Bocan, s’intitule Perles cachées. Comme je l’annonce au début de chaque spectacle, chaque chanson est une perle que j’ai méticuleusement choisie. J’ai assemblé un collier et j’espère que vous allez l’aimer.
Tu as enfin accepté de t’offrir ce cadeau... Cette rencontre intime avec le public, comment la perçois-tu?
C’est comme si je recevais les gens chez moi. Le décor a été conçu en conséquence. Nous avons créé, Joe Bocan et moi, une bulle de douceur et de lumière. Ces rencontres me font retrouver la joie des premières fois. C’est comme une renaissance.
À quoi rêves-tu maintenant?
Je veux continuer d’être à l’écoute de moi-même et trouver un équilibre entre mes grandes envolées. Et je veux de l’émerveillement, toujours, pour nourrir cette petite fille en moi. Je trouve ça beau d’embrasser tous les âges que nous avons en nous. Je veux que la grande et la petite Marie s’accompagnent mutuellement.
Le spectacle Perles cachées de Marie Carmen est présentement en tournée au Québec. Pour connaître les dates, on s’informe au productionsmartinleclerc.com.