«Malartic», un documentaire choc sur une ville sacrifiée

Julie Loiselle
En 2010, le réalisateur Nicolas Paquet s’est rendu dans la ville de Malartic, en Abitibi, alors chamboulée par l’arrivée des bulldozers. Une mine, exploitée par Osisko, allait y être implantée sur un territoire déjà occupé par 200 maisons, qui devaient être déplacées. La règle d’or, long métrage sorti en 2011, témoigne ainsi des profonds bouleversements vécus par les résidents. On leur avait promis une ville revitalisée, avec de meilleurs services en loisirs, en santé et en éducation. Qu’en est-il aujourd’hui?
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En 2020, Nicolas retourne sur les lieux pour dresser un bilan. Plusieurs mois de travail avec son équipe lui permettent de prendre le véritable pouls de la situation, autant du côté des citoyens que des autorités. Ce documentaire, présenté à Télé-Québec et sorti en 2024, fait un premier constat choquant: la gigantesque mine à ciel ouvert a laissé une marque sombre dans le paysage, mais surtout un goût amer dans la bouche des résidents. Le réalisateur déplore aussi une grande injustice: la compagnie minière s’est enrichie au cours des dernières années, pendant que la ville, elle, s'appauvrissait.
Des compensations bien insuffisantes
Nicolas Paquet va d'abord à la rencontre de personnes qu’il avait interviewées en 2010, dont Ginette, une coiffeuse au courant de tout ce qui se passe en ville, et Réjean, un mineur à la retraite. Tous deux vivent toujours près de l’immense cratère, dans un environnement bruyant et poussiéreux. Ils affirment que les compensations financières reçues ne valent en rien les désagréments subis dans la dernière décennie. «C’est comme mettre un pansement sur un bobo», admet Ginette, aujourd’hui dans la cinquantaine. Réjean, pour sa part, exprime sa déception envers le conseil municipal de l’époque, qui n'en a pas fait assez selon lui. Les deux Malarticois n’ont jamais cessé de dénoncer les injustices, même s’ils reconnaissent que ce n’est pas facile pour tout le monde de le faire. «Quand l’argent parle, la vérité se tait», lâche tristement Ginette.
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Une ville qui s’éteint

Une autre citoyenne interrogée nous fait visiter Malartic, pointant des lieux inhabités et des artères sans vie. Les images sont frappantes: des bâtisses délabrées et des enseignes commerciales en décrépitude se succèdent. Le paysage a beaucoup changé en 10 ans. «Quand j’étais petite, là, il y avait une grosse épicerie. Ici, un dépanneur, et là, une pataterie.» Elle observe au loin de gigantesques buttes grises: «On pourrait penser que c’est une montagne, mais la vérité, c'est que ce sont des résidus miniers.» La jeune femme se souvient de l’enthousiasme du début, lorsque l’arrivée de la mine semblait promettre un avenir meilleur: «C’est après qu’on s’est rendu compte qu’on s’était fait un peu avoir.»
Une entreprise au-dessus des règles

Pour compléter son enquête, Nicolas veut voir l’autre côté de la médaille. Il discute notamment avec un haut placé chez Osisko. Celui-ci rappelle que l’entreprise a acheté le territoire en 2004 des mains du syndic de faillite de McWatters Mines. Comment a-t-il réagi en apprenant que leurs activités forceraient des centaines de personnes à déménager? «Je me suis dit: “Oh, mon Dieu, qu’avons-nous fait?” C’était loin d’être évident», affirme-t-il. En conclusion, le documentaire expose des côtés peu glorieux de cette industrie. La mine aurait une réputation de «délinquante environnementale», notamment à cause d’émanations de gaz toxiques responsables de nuages orangés. Selon la journaliste Anabelle Blais, les amendes n’ont jamais réussi à freiner l’entreprise: «On lui reprochait entre autres des infractions au niveau des normes de bruits, qui pouvaient même survenir la nuit. Il y avait aussi des sautages plus fréquents que ce qui était autorisé, et ceux-ci étaient mal contrôlés: il y avait des projections de roches jusque chez les résidents.»
En somme, Malartic est un documentaire choc qui rappelle que la course à la prospérité entraîne parfois bien plus de cicatrices que de richesses.