Les plus grosses firmes de sécurité déroulent le tapis rouge à un controversé fabricant chinois de caméras de surveillance
La firme Hikvision est commanditaire d’un gros congrès qui aura lieu à Laval en avril

Sarah-Maude Lefebvre
Les plus grosses firmes de sécurité au pays, dont GardaWorld, déroulent le tapis rouge à un controversé fabricant chinois de caméras de surveillance en prévision de leur congrès annuel qui aura lieu en avril à Laval. Une situation qui préoccupe le Bureau de la sécurité privée, a appris notre Bureau d’enquête.
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L’Association canadienne de la sécurité (CANASA) a accepté le soutien financier de la compagnie Hikvision qui coprésente son congrès, décrit comme le plus important salon de la sécurité du Québec, le 24 avril prochain à l’hôtel Sheraton.

CANASA, un organisme très reconnu dans le domaine de la sécurité, existe depuis 1977 et représente plus de 1000 compagnies canadiennes, dont GardaWorld et la firme d’experts-conseils Stantec (voir encadré).
Or, leur commanditaire, Hikvision, est loin de jouir d’une réputation enviable dans le domaine de la sécurité. Québec a carrément banni la compagnie des contrats publics en décembre dernier. L’entreprise a aussi un accès restreint aux États-Unis et en Australie pour des raisons de sécurité nationale, et elle a été accusée par le passé de participer à la répression de la minorité ouïghoure en Chine.
Récemment, nous rapportions que la Chine pourrait utiliser les caméras de Hikvision pour espionner le Canada, selon une alerte de sécurité envoyée l’an dernier par le Service canadien du renseignement de sécurité au gouvernement du Québec.
Le Bureau de la sécurité privée inquiet
Nous avons voulu savoir pourquoi CANASA voulait s’associer à Hikvision et combien la compagnie chinoise avait déboursé pour obtenir le statut de commanditaire «diamant». Mais CANASA a refusé à deux reprises de répondre à nos questions.

L’association siège actuellement sur le conseil d’administration du Bureau de la sécurité privée du Québec (BSP), l’organisme chargé de faire appliquer La loi sur la sécurité privée et d’encadrer l’industrie.
Alerté par notre Bureau d’enquête, le directeur général du BSP, Claude Paul-Hus, a exprimé un certain malaise. «C’est préoccupant comme situation. On sait que dans le milieu, ça se parle. On a eu des échanges avec CANASA Québec. On suit la situation de près». Il a ajouté que le BSP ne fera rien «pour le moment», en attente de voir comment la situation évoluera à la suite des récentes discussions.
Fermer les yeux
Différents intervenants du domaine de la sécurité joints par notre Bureau d’enquête ont exprimé le même inconfort.
«Hikvision, c’est l’éléphant dans la pièce actuellement. C’est celui qu’on voit, mais que personne ne veut aborder. L’industrie de la sécurité est au courant depuis des années de ces enjeux [...] Plusieurs entreprises de sécurité revendent le matériel d’entreprises [comme Hikvision] à leurs clients, parce qu’il coûte moins cher et qu’ils font du profit», expose Luc Lefebvre, expert en cybersécurité et cofondateur de Crypto.Québec.
«Volontairement, on ferme les yeux sur des pratiques louches, car c’est tellement un gros fabricant de caméras que de commencer à se poser des questions sur l’espionnage [...] pourrait impacter les marges de profit», dit-il.

D’autres acteurs du domaine de la sécurité, comme l’association ASIS Québec, qui regroupe des professionnels de la sécurité, affirment aussi que Hikvision est un «produit auquel on ne peut pas toucher».
«Hikvision est bannie de plusieurs grandes organisations internationales. On ne pourrait pas avoir Hikvision [comme commanditaire]. Ça mettrait nos membres dans l’embarras d’être dans un événement avec le logo Hikvision», affirme le président de ASIS Québec et vice-président chez IDEMIA, Denis Bourget.
Nous avons aussi contacté le ministère de la Sécurité publique qui nous a indiqué avoir des «discussions» en cours avec le Bureau de la sécurité privée à propos de cette situation. Le ministère a aussi indiqué qu'il ne participera pas au congrès de CANASA.
Sécurité privée – qui fait quoi?
BSP
- Le Bureau de la sécurité privée (BSP) a été créé en 2010 pour veiller à la sécurité de la population et encadrer le milieu de la sécurité privée au Québec.
- Son conseil d’administration est composé de quatre membres nommés par le ministre de la Sécurité publique et de sept autres nommés par les associations de compagnies.
- La section Québec de l’Association canadienne de la sécurité (CANASA) a l’un des sept sièges, qui sont renouvelés aux trois ans.
CANASA
- L’Association canadienne de la sécurité (CANASA) est une association nationale vouée à la défense des intérêts de l’industrie de la sécurité.
- Elle possède des antennes dans presque toutes les provinces.
- Des entreprises très connues du domaine de la sécurité, comme GardaWorld, Gardium Sécurité et les Commissionnaires, en sont membres.
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