Sécurité nationale: un fabricant de caméras chinoises bannies tente une astuce pour continuer d’avoir des contrats
Le gouvernement du Québec promet de ne pas se laisser berner


Sarah-Maude Lefebvre
Un controversé fabricant de caméras chinoises interdites aux États-Unis et récemment bannies du Québec transfère ses actifs à une autre compagnie dans l’espoir de continuer à faire des affaires en Amérique du Nord, a appris notre Bureau d’enquête. Mais Québec promet de ne pas se laisser berner.
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En décembre dernier, à la suite de notre reportage, le ministère de la Cybersécurité et du Numérique a annoncé que désormais toutes les institutions publiques ne pouvaient plus se procurer d’équipements de vidéosurveillance des compagnies chinoises Hikvision et Dahua pour des raisons de sécurité nationale.
Québec emboîte ainsi le pas aux États-Unis, qui ont émis la même interdiction l’an dernier.
Or, le 4 janvier, Dahua a écrit à ses clients et concessionnaires «étoiles» du Québec pour leur annoncer avoir trouvé un moyen de «sécuriser ses ventes». La compagnie a affirmé avoir transféré les actifs de sa filiale nord-américaine à un fabricant de Taïwan, Luminys Systems Corp.
«Le changement en lui-même n'aura aucun impact [...] Votre équipe de vente chez Dahua ne changera pas, et tous les points de contact et canaux de vente resteront les mêmes», a écrit le directeur de Dahua Technology USA, Lin Kun-Huang, dans un courriel dont nous avons obtenu copie.

Dahua se réjouissait aussi de pouvoir ainsi «élargir» son canal de distribution pour ses utilisateurs nord-américains.
Québec sur ses gardes
«C’est une stratégie pour être capable d’accéder au marché. [...] Ils font face à une interdiction, ils se réalignent et ont trouvé cette solution-là», résume Steve Waterhouse, expert en sécurité et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke.
Appelé à commenter ce courriel, le ministère de la Cybersécurité et du Numérique (MCN) a indiqué qu’il entreprendrait des vérifications pour identifier les «liens et dépendances» entre Dahua et Luminys, afin de mettre à jour ses consignes au besoin.
«Dans l’éventualité où l’équipement demeurerait produit [fabriqué] par Dahua, l’arrêté ministériel s’appliquerait à Luminys. [...] Si un fabricant d’équipement visé par des mesures de mitigation change de nom, le MCN fera les modifications nécessaires à [son] arrêté ministériel», a indiqué le MCN par courriel.
- Écoutez l'entrevue avec Jacques Sauvé, expert en cybersécurité et propriétaire Trilogiam à l’émission d’Alexandre Dubé via QUB radio :
«Le courriel dit que rien ne change. Ce sont les mêmes représentants. Les mêmes produits. C’est là que j’accroche. Si ce sont les mêmes produits, ça ne change rien. Du point de vue de la sécurité, c’est un enjeu», analyse Éric Parent, ancien militaire et président de la firme de cybersécurité EVA Technologies.
«Et même si la compagnie dit que ce seront de nouveaux produits, l’enjeu de sécurité demeure. Comment fait-on pour en être certain? Même si le nom change, le boîtier change, ça prend une analyse technique pour s’assurer que ce n’est pas le même logiciel à l’intérieur, les mêmes puces», dit M. Parent.
Il a été impossible d’en savoir plus sur les intentions de Dahua, qui n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue, tout comme son partenaire d’affaires Luminys Systems Corp.
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