Les pièges que Québec doit éviter: le fiasco du train léger d’Ottawa
Ce système de transport lourd a connu de gros ratés lors de son lancement en septembre 2019


Taïeb Moalla
OTTAWA | Pour le tramway de Québec, l’exemple à ne pas suivre se trouve du côté d’Ottawa. Des portes qui ferment mal, des pannes d’ascenseur, des problèmes d’alimentation, un service irrégulier et même un déraillement. Depuis sa mise en service il y a environ trois ans, le train léger d’Ottawa a connu tellement de ratés que la province de l’Ontario a dû déclencher une enquête publique pour tenter de comprendre ce qui a bien pu si mal tourner.
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«Est-ce qu’on a acheté un citron? Peut-être. J’espère que le rapport d’enquête va nous le dire bientôt.»
Celle qui s’exprime ainsi est Laura Shantz, du Groupe des usagers du transport en commun d’Ottawa. Adepte de marche, de vélo et de transport collectif, elle est l’archétype de la clientèle du O-Train, appelé également Ligne de la Confédération ou Ligne 1.
Pourtant, cette mère de famille a rapidement déchanté lors de la mise en service – avec plus d’un an de retard – en septembre 2019, soit à quelques semaines d’un scrutin fédéral.
«L’expérience client était mauvaise depuis le début. Les stations étaient froides l’hiver et les usagers n’étaient pas protégés des intempéries. Lors du passage dans des stations souterraines, il y avait souvent de mauvaises odeurs, relate-t-elle, découragée. Et je ne vous parle pas des planchers cheaps des stations sur lesquels les usagers glissaient et tombaient au début.»
Pire encore, le O-Train a remplacé un SRB (Service rapide par bus) qui circulait sensiblement sur le même tracé. Dans certains cas, des clients ont vu leur temps de parcours augmenter à cause de ce changement de mode de transport, ajoute Mme Shantz.
Peu fréquenté
Lors du passage du Journal à Ottawa, à la fin mai, la ligne 1 était peu fréquentée. La COVID-19 et le télétravail y sont assurément pour quelque chose, confie un chauffeur de train. Mais le prix du laissez-passer quotidien (11,25 $) ne serait pas assez attrayant pour convaincre les gens d’abandonner leurs autos, regrette-t-il.
Il faut aussi dire que la capitale fédérale est la région qui compte un des plus grands nombres de kilomètres d’autoroutes par habitant au Canada.
«C’est difficile de changer les mentalités. Peut-être que la hausse des prix de l’essence va y contribuer», espère le conducteur qui a requis l’anonymat.
À Ottawa, le train léger s’est fait en partenariat public-privé. Le millefeuille administratif de la gouvernance du projet a suscité davantage de polémiques que son coût de 2,1 G$.
Contestations judiciaires
Des contestations judiciaires entre la Ville d’Ottawa et Groupe de Transport Rideau (GTR) – consortium chargé de la construction et de la maintenance de la première phase du réseau – sont actuellement sous la loupe des tribunaux.
Ces procédures et l’enquête déclenchée récemment par l’Ontario expliquent le fait que la plupart des intervenants au dossier ont décliné nos demandes d’entrevues.
Seule la conseillère municipale indépendante ottavienne Cathy Curry, une proche du maire Jim Watson, a pris le temps d’admettre que les problèmes rencontrés sur la Ligne de la Confédération sont notamment dus à la dilution des responsabilités entre l’administration municipale, GTR et OC Transpo (l’équivalent du Réseau de transport de la Capitale).
«Chacune des parties blâme l’autre, confie-t-elle. Comme municipalité, nous pensons que c’est la faute de l’entité chargée de la construction et de la maintenance. Du côté du constructeur, on dit que la municipalité l’a empêché de faire ce qu’il voulait et que cela a causé des retards. Ça illustre l’importance de l’actuelle commission d’enquête.»
Cette commission doit livrer ses conclusions d’ici le 30 novembre.
Le train léger d'Ottawa (O-train)
- A des allures de métro
- Circule en surface et en tunnel, il est imposant et massif
- Relie l’est et l’ouest de la ville et peut atteindre une vitesse de 80 km/h
- Son tracé compte 12,5 km et 13 stations (dont 3 souterraines)
- Chaque véhicule peut accueillir jusqu’à 600 passagers, soit plus du double que ce qui est projeté pour le tramway de Québec
- Le système aérien de fils – nécessaire à l’alimentation électrique – est bien en vue
- Réalisé en partenariat public-privé, son budget est de 2,1 G$
- Deux phases d’expansion du O-Train sont en marche
La Ville de Québec a pris des notes
Les responsables du bureau de projet du tramway de Québec jurent avoir suivi de près les déboires du train léger d’Ottawa pour s’assurer que les usagers d’ici ne vivent pas les mêmes mésaventures.
Daniel Genest, chef du bureau de projet du tramway, a même soutenu que Québec a d’ores et déjà mis en application 18 des 20 leçons reçues de l’expérience d’Ottawa.
À la suite d’une rencontre tenue en mars 2020 avec les dirigeants de la Ville d’Ottawa, la Ville de Québec a regroupé ces enseignements en six catégories.
Les voici de façon succincte :
- Bien délimiter le partage des risques entre la Ville et les partenaires privés.
- Le processus des appels de propositions doit impliquer une rigueur constante.
- L’importance de mettre en place toutes les conditions gagnantes comme celle de créer rapidement une équipe multidisciplinaire qui possède une solide expertise dans des domaines de pointe.
- Pour réussir une intégration harmonieuse, il faut s’assurer d’avoir une planification robuste avec une gestion de risques soutenue. Par exemple, il faut documenter les réseaux souterrains existants et en planifier leur relocalisation avant le début des grands travaux.
- Les systèmes d’exploitation et de mobilité, le cerveau du système de tramway, doivent être déployés du Réseau de transport de la Capitale (RTC) vers le projet et non pas l’inverse.
- La mise en œuvre et la surveillance des essais ainsi que la mise en exploitation doivent relever de l’autorité publique et être d’une durée minimale de 12 mois incluant une période hivernale.
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