Les joueuses de soccer ont besoin d’un «homme bon et d’un gros pénis»
Le «New York Times» a révélé des exemples criants du sexisme qui sévit au sein de la Fédération espagnole

Mylène Richard
Le sexisme, le machisme, le paternalisme et la violence verbale semblent être au cœur du quotidien des joueuses de soccer espagnoles depuis longtemps.
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À la suite du baiser non consenti du président de la fédération de football du pays, Luis Rubiales, sur la bouche de la joueuse étoile Jenni Hermoso lors du triomphe de la «Roja» au Mondial il y a un mois, des femmes ont décidé de lever le voile sur un climat de travail qui rappelle l’ère de Maurice Duplessis et de la Grande Noirceur qui a plané sur le Québec dans les années 1940 et 1950.
Voici des exemples éloquents et choquants qui sont ressortis d’une enquête du New York Times publiée mercredi, le jour même où des procureurs espagnols ont annoncé que Hermoso avait déposé une plaine contre Rubiales, ouvrant ainsi la porte à d’éventuelles poursuites judiciaires pour agression sexuelle.
La place d’une femme est à la maison auprès des enfants
Quand Beatriz Alvarez a décroché le poste de présidente de la Ligue espagnole de soccer féminin l’été dernier, elle a demandé une rencontre avec Luis Rubiales par visioconférence afin de pouvoir rester chez elle avec son nouveau-né. Alvarez a raconté que le patron du ballon rond du pays a refusé et lui a demandé d’envoyer quelqu’un d’autre, ajoutant qu’elle devait donner l’exemple en se «consacrant à [sa] maternité».
Garder la porte de la chambre d’hôtel entrouverte
Le sélectionneur national Jorge Vilda, proche de Rubiales, a été congédié mardi, 17 jours après avoir soulevé la coupe du monde en Australie. Une douzaine de femmes ont critiqué son style dominant et intimidant, certaines joueuses refusant d’être dirigées par lui. Plusieurs anciennes et actuelles athlètes ont signé une pétition pour exiger des changements majeurs à la direction, ainsi que de meilleures conditions de travail. L’ancienne capitaine de la sélection nationale de 2015 à 2017, Veronica Boquette, a affirmé que Vilda voulait que les joueuses gardent leur porte de chambre d’hôtel entrebâillée afin qu’il puisse vérifier que tout le monde était au lit. L’entraîneur insistait aussi pour avoir un œil en tout temps sur ses protégées, afin de surveiller leur langage corporel et de savoir qui se plaignait de lui. Selon Boquette, Vilda décidait notamment où les capitaines s’asseyaient lors des repas. «Il voulait tout contrôler», a-t-elle observé.

«Un homme bon et un gros pénis»
Au fil des décennies, les hommes qui ont dirigé le soccer en Espagne ont souvent prétendu connaître les désirs des femmes. Veronica Boquette a d’ailleurs rappelé au quotidien new-yorkais que le prédécesseur de Rubiales, qui refuse de démissionner malgré une suspension de 90 jours de la Fédération internationale – le temps des enquêtes –, avait lancé une phrase assassine aux joueuses. «Ce dont vous avez vraiment besoin, c’est d’un homme bon et d’un gros pénis», avait dit Ignacio Quereda.

«Je sais ce que les femmes veulent»
L’ex-présidente pour l’intégrité de la Fédération espagnole de soccer, Ana Munoz, a raconté au New York Times qu’au lieu de récompenser les joueuses avec des bonis en argent à la suite d’une compétition, Rubiales leur a remis des tablettes électroniques. «J’ai des filles. Je sais ce que les femmes veulent», avait-il laissé tomber, selon Munoz.
«J’étais juste là pour la décoration»
D’ailleurs Munoz avait en 2019 remis sa démission au conseil d’administration de la Fédération espagnole de soccer, formé de 15 hommes et 3 femmes. «J’étais juste là pour la décoration. Un pot de fleurs», a-t-elle expliqué au journal new-yorkais, soutenant que ses demandes n’étaient pas entendues, même quand il s’agissait de corruption ou de fraude. «Je ne pouvais pas comprendre qu’un comité de l’intégrité ne s’occupe pas des questions d’intégrité», a-t-elle ajouté.
Des commentaires sur les soutiens-gorge
Les propos sexistes et humiliants ne datent pas d’hier. À Noël 1970, l’annonceur maison lors d’un match de soccer féminin à Barcelone demandait sans cesse «son soutien-gorge est-il brisé?» lorsque les femmes couraient sur le terrain. L’année suivante, le président de la Fédération espagnole de soccer avait déclaré qu’il «n’était pas contre le football féminin, mais [qu’il] ne l’aimait pas non plus». «Je ne pense pas que ce soit très féminin esthétiquement. On n’encourage pas les femmes à porter des t-shirts et des shorts», avait poursuivi Jose Luis Perez-Paya. Rubiales y est allé d’un commentaire similaire des décennies plus tard. «Elles sont en sous-vêtements», avait-il plaisanté en direct à la télévision en voyant les joueuses vêtues de chandails à manches courtes et de shorts à l’entraînement.