Les hypothèques variables: une bombe à retardement à la veille d’une annonce concernant le taux directeur
La hausse des taux d’intérêt rallongent la durée des prêts... jusqu’à 135 ans

David Descôteaux
À la veille de l’annonce d’une autre possible hausse des taux d’intérêt par la Banque du Canada, les détenteurs d’hypothèques à taux variable – un sur trois au Canada – sont dans l’angoisse. La situation est en train de devenir catastrophique pour plusieurs.
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Avec les hausses répétées des taux d’intérêt cette année, les propriétaires qui ont une hypothèque à taux variable et à paiements mensuels fixes feraient bien de donner un coup de fil à leur banque, car une surprise les attend.
«Je faisais des paiements mensuels d'environ 2900$ par mois, sur une hypothèque restante de 500 000$ environ. Je ne portais pas vraiment attention, mes paiements passaient et c'était tout. Mais quand j’ai regardé mes états de compte, j’ai fait le saut», raconte Jimmy Voyer, un résident de Chicoutimi.
«Je me suis rendu compte que tout l'argent que je dépensais chaque mois passait uniquement sur le remboursement des intérêts, le solde ne descendait pas. Un jour, j'ai reçu une lettre comme quoi ça ne couvrait même plus les intérêts. Mon solde hypothécaire augmentait au lieu de descendre! J'étais en train de me creuser un trou», raconte-t-il.
Jimmy a donc décidé d’augmenter ses paiements mensuels, les faisant passer de 2900$ par mois à plus de 3800$. «Avec ça, au moins mon solde recommence à baisser un peu chaque mois», dit-il.
Le meilleur placement
Geneviève Meunier et son conjoint vivent une histoire similaire. Avec une hypothèque à taux variable, mais à paiements fixes, ils ont tardé à réaliser que leurs paiements mensuels ne couvraient même plus les intérêts de leur prêt hypothécaire. Conséquemment, l’amortissement – le nombre d’années qu’il reste à payer sur le prêt – augmentait au lieu de diminuer.
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«La dernière fois que j’ai regardé, j'étais rendu à 45 ans d'amortissement... alors qu'il y a peu de temps il ne me restait que 15 ans à payer ma maison», raconte Geneviève. La solution pour le couple de Saint-Jérôme a été simple: se débarrasser de l'hypothèque. «On a débloqué des fonds et on a décidé de la payer au complet. Il nous restait 125 000$ à payer. C'est un gros coup à donner, mais c'était la meilleure façon pour nous de faire un très bon placement!»
Les banques dans le trouble?
Ce n'est évidemment pas tout le monde qui peut se débarrasser de son hypothèque aussi facilement. Et les banques au pays se retrouvent maintenant avec de plus en plus d’emprunteurs avec un solde hypothécaire qui croît au lieu de diminuer.
Au Canada, 35% des prêts hypothécaires sont à taux variables, selon l’analyste Ben Rabidoux, fondateur de la firme d’analyse Edge Realty Analytics (les données ne sont pas disponibles par province). Et 80% de ces hypothèques à taux variable sont à versements mensuels fixes, c’est-à-dire que le paiement demeure le même, peu importe si les taux d’intérêt augmentent. «Déjà, il y a beaucoup de gens qui ne remboursent pas suffisamment pour couvrir les intérêts et le capital de leurs paiements. On parle d’amortissement négatif», explique-t-il.
Trois banques canadiennes – Banque de Montréal, TD et la CIBC – ont révélé au Globe and Mail que 20% de leurs clients qui ont ce type d’hypothèque, pour un total de 130 milliards$ de prêts, voient leur solde hypothécaire augmenter de jour en jour, au lieu de descendre. Tout ça parce que leur paiement mensuel est insuffisant pour couvrir les intérêts de leur prêt.
En conséquence, la longueur du prêt augmente. La firme d’analyse WOWA montrait récemment que les amortissements hypothécaires dépassant 25 ans atteignent des taux rarement vus dans plusieurs banques. La TD et la RBC sont à 48% et 43% respectivement. Et pour les deux banques, 23% des propriétaires ont un amortissement restant de plus de 35 ans.
Une hypothèque de... 135 ans
En Colombie-Britannique et en Ontario, la situation est préoccupante. Des propriétaires voient leur période d’amortissement étendue sur 90 ans et parfois plus, en raison de la hausse des taux d’intérêt, comme le rapportait TVA Nouvelles. L’analyste Rishi Bakshi a partagé avec Le Journal un de ces cas, où la durée de l’hypothèque à payer est maintenant de... 135 ans.
«C’est un cas parmi les nombreux que je connais, a-t-il écrit au Journal. Ce sont pour la plupart des gens qui ont acheté au cours des 2-3 dernières années, et qui ont choisi des hypothèques à taux variable et à paiements fixes», dit-il.
Si une très grande partie de la population est touchée par cette situation, elle peut présenter un risque systémique pour les banques, note le professeur adjoint à l'université de l'Alberta, et récemment des HEC Montréal, Valeri Sokolovsi. «Je suis certain que les gestionnaires de risques des banques et la banque centrale surveillent de près cette situation », dit-il.