Les enfants de Godmann: un épisode sombre de l’histoire canadienne

Marie-France Bornais
La talentueuse Maureen Martineau, qui a conquis de plus en plus de lecteurs avec ses romans originaux comme La ville allumette et Zec La Croche, propose cet automne une incursion dans un épisode sombre de l’histoire canadienne. Dans son nouveau roman, Les enfants de Godmann, son héroïne, Judith Allison, devra lever le voile sur le mystère entourant la mort d’un ancien psychiatre. Les traumatismes liés à la Provincial Training School, où des enfants atteints de déficiences mentales recevaient des soins sous sa gouverne dans les années 1960, refont surface.
En février 2020, les membres du personnel soignant de l’hôpital de Hull découvrent que la dépouille d’un patient, le Dr Godmann, a été châtrée. L’outrage au cadavre n’attire pas tellement l’atten-tion, d’autant qu’il y a une grève de la Fédération de la santé du Québec. Les heures supplémentaires obligatoires ont épuisé le personnel infirmier et dans quelques semaines, la première vague de COVID-19 va frapper, aggravant le chaos général.
Judith Allison doit enquêter sur un événement survenu quelques heures avant la mort de l’ancien psychiatre. Comment se fait-il que le Dr Godmann ait reçu la visite d’un groupe d’anciens pensionnaires de la Provincial Training School ?
Elle se heurtera à l’un des pans les plus sombres de l’histoire médicale canadienne. Il s’avère que l’Alberta, comme plusieurs autres provinces canadiennes, était dotée d’un comité eugénique qui jugeait, en somme, de la valeur de la vie humaine.
En Outaouais
Pour cette cinquième enquête de Judith Allison, Maureen Martineau souhaitait écrire un autre roman qui se passait dans la région de l’Outaouais.
« En même temps, ça fait des années que ça m’achale, le système de santé. On n’était pas encore en pandémie quand j’ai choisi mon sujet. La pandémie est arrivée et j’ai décidé de fouiller ça. L’action principale se passe aujourd’hui. »
Elle s’est penchée sur un type de criminalité appelé le nursing crime, thème exploré davantage par les auteurs de polars anglophones, où les criminels travaillent dans le système de santé.
Mouvement eugéniste
Au cours d’un projet précédent, Maureen Martineau s’était déjà intéressée au mouvement eugéniste, un ensemble de pratiques et de croyances liées au contrôle de la reproduction qui fut très présent aux États-Unis dans les années 1930. On pratiquait alors la stérilisation sexuelle forcée.
« Ils s’en prenaient beaucoup, entre autres, aux Autochtones, aux immigrants, aux personnes handicapées, même aux criminels, aux voleurs, aux prostituées », explique-t-elle.
« Je me suis demandé : et au Canada, est-ce que ça a eu lieu ? J’ai découvert avec stupeur qu’on a eu un mouvement très fort en Alberta de 1928 à 1972. Il y a eu énormément de stérilisations sexuelles dans les institutions qui hébergeaient les personnes handicapées, les personnes qu’on arguait d’avoir des déficiences intellectuelles. »
« C’était souvent des pauvres, des gens qui avaient des différences physiques. Dans ce temps-là, comme nous avec les enfants de Duplessis, plein de monde a été enfermé à cause de diagnostics erronés. »
L’écrivaine à succès a donc choisi d’écrire son roman en utilisant deux lignes de temps.
« Il y a toute une histoire qui se passe en Alberta en 1962, et une histoire qui se passe à l’hôpital de Hull en février 2020, juste avant la pandémie. Je voulais voir mes personnages à deux époques de leur vie et montrer que la raison du crime d’aujourd’hui, il fallait aller la puiser en 1962, à Red Deer en Alberta. »
Elle s’est rendue sur place pour faire des recherches.
« C’était super intéressant. J’ai pu rencontrer des survivants et des survivantes de cette époque, des employés qui avaient travaillé dans les grandes institutions comme le Centre Michener, à Red Deer, et même des médecins. Ça m’a donné du bon matériel pour construire mon histoire. C’est tellement une page méconnue de l’histoire canadienne ! »
♦ Maureen Martineau est originaire de l’Outaouais.
♦ Elle a publié plusieurs romans policiers, dont L’enfant promis (La courte échelle, 2013), lauréat du prix Arthur-Ellis et Zec La Croche (Héliotrope 2020) qui sera bientôt adapté en série télé.
♦ Les enfants de Godmann est son troisième roman paru chez VLB après L’activiste (2016) et La ville allumette (2018).
EXTRAIT

« Hanna agite le balai dans tous les sens pour chasser les hordes de pies qui ont étalé les poubelles dans la cour. Si on lui prêtait des ailes, elle suivrait volontiers la volée d’oiseaux et irait se perdre dans la mosaïque des champs. Elle aimerait disparaître entre les rangs de maïs. Attendre là, qu’on vienne la faucher avec la batteuse et qu’on la serve en pâture aux bêtes. Voilà son rêve du jour. Car ce lundi est à oublier. C’est la date qu’on a choisie pour la faire comparaître devant le comité eugénique, qui lui livrera son verdict tant redouté. Est-elle idiote, ou pas ? Le couperet tombera en fin d’après-midi. »