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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Essai: bienveillant, mais pas à n’importe quel prix

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Photo portrait de Jacques Lanctôt

Jacques Lanctôt

2022-09-10T04:00:00Z
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« Il est donc ben fin, lui ! » « Elle, elle est parfaite ! » Ces phrases, on les a entendues maintes fois autour de nous. Et bien souvent elles ont le don de nous faire sentir misérables, veules, des moins que rien, tout le contraire de l’effet souhaité. D’autant plus que ces gentilles personnes veulent toutes notre bien.

L’auteure, Véronique Alarie, se range dans le camp des personnes bienveillantes, gentilles, accommodantes, mais avec de nombreuses réserves et elle s’en explique dans cet ouvrage. 

Voici comment elle définit la bienveillance : « Accommoder. Faire des compromis. Distribuer du temps, de l’argent, des conseils (pas toujours sollicités) aux proches, aux amis, aux moins proches. Contester certaines façons de faire ? Soit, mais doucement. En souriant. En réprimant ma colère, sans jamais monter le ton. » 

Mais là où le bât blesse, c’est lorsque la bienveillance devient « tendance » ou « branding », dit l’auteure. Sans bienveillance, point de salut. On voit ainsi apparaître une « bienveillance de performance », de façade, qui ne tarde jamais à se lézarder. Or, « qui pourrait se targuer d’avoir toujours agi avec parfaite bienveillance et qui pourrait en dire autant de son entourage ? » se demande Alarie. À peu près personne, répond-elle.

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Au travail comme ailleurs

Cette bienveillance s’est aussi transportée dans le monde du travail où il est de bon ton de demander à son patron de faire preuve de compréhension, d’écoute et d’empathie à l’égard de ses employés. On est loin de la lutte des classes tout en demeurant néanmoins dans un rapport de forces inégal. 

Dans certaines entreprises, on a même créé un nouveau poste de travail : « responsable du bonheur au travail », apprend-on. Si cette initiative peut sembler, à première vue, des plus sympathiques, on se rend vite compte que derrière ce « management bienveillant », il y a la recherche d’une plus grande performance, d’une meilleure rentabilité, d’une augmentation des profits, ce qui n’a rien à voir avec le bien-être des employés. Ainsi, pour dénicher le candidat idéal à un poste quelconque dans une entreprise, on ne miserait plus tant sur ses compétences que sur sa « bonhomie », explique la journaliste, qui retrace brièvement, non sans une certaine indignation, son parcours de travailleuse autonome en énumérant toutes les fois où on a manqué d’éthique envers elle. 

« On m’a déjà enjointe à refuser un job ailleurs, en m’assurant la création imminente du poste qu’on me promettait depuis des années – avant de revenir sur parole après coup. Alors que ma fille avait à peine six jours de vie, une entreprise m’a contactée et demandé de me soumettre à des entrevues et des examens écrits en vue d’obtenir un emploi dont le début était planifié un an plus tard. À l’issue de ces tests qui ne pouvaient pas attendre, l’entreprise en question m’a offert le poste... puis décrété un gel d’embauche juste avant la signature de mon contrat. » 

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Comment alors demander à un employé d’être performant si celui-ci se sent constamment assis sur un siège éjectable ? Business as usal, conclut-elle. Auparavant, on avait des emplois à vie, avec pension à la fin du terme, dit-elle. Aujourd’hui, on parle d’« épanouissement » en butinant à droite et à gauche, et « avec un beau grand sourire », s’il vous plaît. 

Mais la bienveillance, pour bien fonctionner, doit être réciproque. Il ne faut surtout pas oublier toute la « charge mentale », la « logistique quotidienne », le « travail invisible » qui est demandé spécifiquement aux femmes, « tout ce qui permet au monde de fonctionner ». Encore aujourd’hui, dit-elle, la charge du bonheur et de l’équilibre familial reposent sur les épaules des femmes.

Alarie aborde aussi la parentalité bienveillante et ses dérives, ainsi que le discours masculiniste qui prétend confiner les femmes au rôle traditionnel et archaïque de femme au foyer et de mère, avec interdiction d’élever le ton.

En conclusion, la journaliste dit rêver d’une bienveillance équitable et éclairée. « C’est la pierre d’assise de notre civilisation [...] notamment en tendant l’oreille aux plus vulnérables et aux membres opprimés de nos communautés. En les aidant à prendre la parole. » 

Même si son jupon dépasse, comme elle avoue – elle classe Manon Massé parmi ses « modèles de douceur » –, Alarie livre ici un beau combat contre la malveillance et pour le partage.

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