Les dirigeants de Pornhub savaient pour la porno juvénile
Des courriels, des messages et des extraits d'interrogatoire jettent un éclairage troublant sur le fonctionnement à l'interne du géant de la porno québécois

Jean-François Cloutier
Les dirigeants montréalais de Pornhub étaient bien au fait de la présence de pornographie juvénile sur le populaire site XXX et ils se sont abstenus jusqu’en avril 2020 de le déclarer aux autorités.
• À lire aussi: Un trou dans la réglementation exploité encore aujourd’hui sur le site PornHub?
Des courriels, des messages sur Teams et des extraits d’interrogatoires hors cour rendus publics en septembre et consultés par notre Bureau d’enquête jettent un éclairage troublant sur la manière dont était géré le site internet phare du géant québécois de la porno MindGeek jusqu’à tout récemment.
Ils ont été déposés en preuve dans le cadre d’une demande de recours collectif en Californie contre la compagnie.
La procédure judiciaire a été initiée au nom d’une femme dont des vidéos faites quand elle avait 16 ans se sont retrouvées sur Pornhub à son insu.
«Pendant plus d’une décennie, MindGeek a sciemment reçu et distribué du matériel de pornographie juvénile et bénéficié financièrement du trafic sexuel d’enfants», allègue le recours.
- Écoutez l'entrevue avec Jean-François Cloutier, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor à l’émission de Sophie Durocher via QUB radio :
Pas de rapport
Selon un interrogatoire hors cour, en novembre 2019, lorsque la direction de MindGeek découvrait de la porno juvénile sur Pornhub, elle n’en faisait pas rapport aux forces de l’ordre.

«Nous avons commencé à faire des rapports au NCMEC [le National Center for Missing & Exploited Children aux États-Unis] en avril 2020», a expliqué lors de l’interrogatoire Lauren Herbert Franklin, responsable de la sécurité et de l’application des politiques chez MindGeek.
Un audit a alors été effectué pour classifier du contenu qui était présent sur Pornhub avec l’étiquette CSAM (pour Child Sexual Abuse Material, en anglais), selon son témoignage.
Pression
Les documents dépeignent une entreprise préoccupée surtout par sa rentabilité et consciente qu’un resserrement des règles aura des conséquences sur le trafic sur Pornhub.
«Le problème est que la direction ne veut pas que les règles soient appliquées de la même manière qu’elles sont écrites», déplore en juin 2020 un modérateur sur Teams.

Dans un autre message déposé en preuve, un modérateur demande explicitement en avril 2020 à un collègue de ne pas mettre en copie le responsable de la gestion des produits dans des rapports sur la porno juvénile.
«Il ne veut pas savoir combien de PJ [vidéos de pornographie juvénile] nous avons ignorées pendant cinq ans?», lui rétorque celui-ci.
Un dirigeant de MindGeek se dit de son côté favorable en juin 2020 à un rapprochement avec des organismes de protection de l’enfance, mais il conseille de ne pas attirer trop l’attention «avant que la maison ne soit en ordre».

«Nos politiques [...] ne semblent pas correspondre à nos pratiques», concède-t-il.
Les allégations rapportées dans le recours n’ont pas encore été prouvées en cour.
Avec la collaboration de Nicolas Brasseur.

700 000 VIDÉOS PROBLÉMATIQUES, UNE SEULE PERSONNE POUR LES REVOIR
Pornhub prenait tellement peu au sérieux la présence de porno juvénile que 700 000 vidéos avaient été identifiées comme ayant potentiellement du contenu illégal et qu’une seule personne était chargée d’en faire la vérification.
En mai 2020, pas moins de 706 425 vidéos actives sur Pornhub avaient reçu entre un et quinze signalements (flags, en anglais) d’utilisateurs, selon un courriel interne daté de mai 2020.
Viols, présence de mineurs, inceste ou encore bestialité faisaient partie des raisons justifiant un signalement, selon les procédures d’utilisation du site.
Or, en raison d’un sous-effectif chronique, seules les vidéos ayant reçu plus de 15 signalements faisaient l’objet d’un suivi, à raison 50 à 500 vidéos revues par jour.
Une seule personne dans toute l’entreprise avait la responsabilité de revoir ces vidéos, et ce, cinq jours par semaine, selon un courriel.

Panique
Les documents déposés lèvent le voile sur un climat de panique au sein de l’entreprise, alors que la pression s’accentue sur elle en 2020.
En mai 2020, la compagnie de carte de crédit Mastercard a ainsi commencé à poser des questions après avoir reçu elle-même des signalements de porno juvénile. Visa a suivi en juin.
«Je ne mentionnerais pas que le seuil au-delà duquel nous revoyons manuellement des vidéos signalées est de 15 signalements», écrit le responsable de la gestion des produits (Chief Product Officer, en anglais) de l’entreprise, dans un courriel daté du 27 mai 2020.

«C’est évident que nous essayons de cacher que c’est un nombre minimum», écrit-il dans un autre courriel.
Par ailleurs, ce n’est qu’en décembre 2020, après la publication d’un article choc dans le New York Times, que l’entreprise a décidé de ne plus permettre à des utilisateurs non vérifiés de téléverser du contenu sur Pornhub. Dans un message Teams, un haut dirigeant souligne alors que ç’a été une décision difficile, puisque le nombre de téléversements risque ainsi de passer de 25 000 à seulement «peut-être» 2000 par jour.
DES EXTRAITS TROUBLANTS
«Ils [Mastercard] sont au courant que nous ne vérifions pas l’âge des personnes pour le contenu généré par les utilisateurs [UGC en anglais: user-generated content]» - courriel en mai 2020

«De plus vieilles erreurs sont maintenant trouvées et beaucoup vont continuer d’être trouvées dans l’arriéré de 700 000 vidéos» - courriel rédigé en juin 2020 par un membre d’une équipe chargée de faire de la modération
«Ma crainte [...] est que nous donnions l’impression de vouloir profiter d’une vidéo populaire avec beaucoup de vues» - le PDG de MindGeek en mai 2020
«Hé, je m’excuse, pourrais-tu t’assurer que tu ne me mets pas en copie [NOM CAVIARDÉ] sur les rapports sur le CSAM [Child Sexual Abuse Material]?» - un employé dans un échange sur Teams en avril 2020

PORNHUB EN QUELQUES DATES
2007: Début du site Pornhub, où il est possible pour des utilisateurs de téléverser du contenu XXX.
2013: L’entreprise propriétaire du site change de nom pour s’appeler MindGeek. Un Allemand, Fabian Thylmann, vend ses actions aux Montréalais Feras Antoon et David Tassillo.
2020: Publication en décembre d’un article choc dans le New York Times selon lequel le site Pornhub est infesté de vidéos de viol, de femmes filmées à leur insu et de mineurs.
2021: La somptueuse maison en construction au nord de Montréal du PDG de MindGeek, Feras Antoon, brûle en raison d’un incendie criminel.

«De plus vieilles erreurs sont maintenant trouvées et beaucoup vont continuer d’être trouvées dans l’arriéré de 700 000 vidéos» - courriel rédigé en juin 2020 par un membre d’une équipe chargée de faire de la modérationication.dans un courriel daté du 27 mai 2020. souligne alors que ç’a été une décision difficile, puisque le nombre de téléversements risque ainsi de passer de 25 000 à seulement «peut-être» 2000 par jour.
2021-2022: Plusieurs recours judiciaires sont déposés contre l’entreprise au Canada et aux États-Unis en lien avec du contenu illégal allégué.
2023: MindGeek est vendu en mars à un fonds du nom d’Ethical Capital Partners. L’entreprise est rebaptisée Aylo en août.
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.