Suspense et tension au début d'une longue nuit électorale aux États-Unis
Agence France-Presse
L'Amérique était entrée mardi dans une nuit électorale incertaine, au fur et à mesure que se décantaient des élections de mi-mandat décisives pour l'avenir politique de Joe Biden et Donald Trump.
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Alors que les bureaux de vote fermaient les uns après les autres, et en attendant de voir où basculait le Congrès américain, l'attention se portait sur les élections aux postes de gouverneurs. Et en particulier sur la Floride, où le gouverneur sortant Ron DeSantis a été réélu de manière triomphale.
Étoile montante du camp conservateur, possible prétendant à la Maison-Blanche en 2024, il s'est félicité dans un discours offensif d'avoir fait de cet État du sud, longtemps considéré comme penchant tantôt à gauche, tantôt à droite, une «terre promise» pour les républicains, où «l'idéologie "woke" vient mourir». Et où le sénateur républicain sortant Marco Rubio a d'ailleurs aussi été réélu.
«Je ne fais que commencer le combat», a promis le gouverneur âgé de 44 ans.
De quoi titiller l'ancien président Donald Trump, qui veut utiliser ces élections de mi-mandat comme un tremplin pour la prochaine présidentielle.
Il a d'ores et déjà promis de faire le 15 novembre une «très grande annonce» ... dans sa résidence de Floride.
Le milliardaire a d'ailleurs tenu à se montrer présent, faisant mardi une courte déclaration télévisée, relativement décousue, pour se féliciter du succès de quelques-uns de ses nombreux candidats dans les divers scrutins.
En attendant, l'ancien président peut déjà se féliciter du succès de certains candidats acquis à sa cause, comme la virulente élue à la Chambre des représentants Marjorie Taylor Greene.
Son ancienne porte-parole à la Maison-Blanche, Sarah Huckabee Sanders, a elle été élue gouverneure de l'État très républicain de l'Arkansas.
Mais le camp démocrate ne restait pas bredouille. Il a arraché aux conservateurs deux postes de gouverneurs aux républicains: dans le Maryland et le Massachusetts, où Maura Healey sera la première lesbienne à la tête d'un État. Joe Biden l'a d'ailleurs appelée immédiatement pour la féliciter.
Et en Floride, c'est un démocrate, Maxwell Frost, 25 ans, qui est devenu le premier membre de la «génération Z» à accéder au Congrès, en remportant un siège à la Chambre des représentants.
Ce qui sera décisif pour la suite du mandat Biden, c'est de voir où penchera cette chambre - selon les enquêtes d'opinion, l'opposition républicaine pourrait y être largement majoritaire.
Un scénario somme toute classique dans la politique américaine, où les «midterms» tournent souvent à la sanction pour le parti de la Maison-Blanche.
Reste le Sénat: les sondeurs sont plus mitigés quant au sort de la puissante chambre haute, avec néanmoins un avantage pour les républicains. Tout dépendra de quelques États-clés, comme la Géorgie, l'Arizona, la Pennsylvanie.
En Pennsylvanie justement, Lasaine Latimore, une Afro-Américaine de 77 ans assistant à la soirée électorale dans un restaurant de «Soul food» de Pittsburgh, confiait espérer une victoire des démocrates «parce qu'ils sont plus du côté du peuple».
«Je veux juste une assurance maladie et plus d'argent pour mes soins dentaires et mes lunettes», ajoutait-elle, faisant écho à la campagne de Joe Biden qui a tenté de se présenter comme le président de la classe moyenne, attentif aux besoins des plus modestes.
L'argument a peu porté, face à la campagne agressive des républicains, qui l'accusent d'avoir fait gonfler l'inflation, désormais à un niveau record, et laissé déraper la criminalité.
Que le démocrate de 79 ans perde l'une ou les deux chambres, cela reviendra plus ou moins sur le plan institutionnel. Il sera paralysé, face à des républicains qui promettent d'utiliser tous les leviers parlementaires à leur disposition: enquêtes en pagaille y compris sur son fils Hunter Biden, et blocage budgétaire.
Mais si Joe Biden perd aussi le Sénat, et essuie une défaite plus cuisante que prévu à la Chambre, cela hypothèquera encore plus une possible candidature de sa part en 2024, lui qui est déjà impopulaire auprès des Américains, et qui n'enthousiasme guère son propre camp.
«Civilisé»
Signe du climat abrasif dans lequel s'est tenu ce scrutin: Donald Trump rejouait en parallèle la partition qui est la sienne depuis sa défaite en 2020, attisant les doutes sur la régularité des opérations de vote. Notant que des machines de vote ont dysfonctionné dans une circonscription très peuplée de l'Arizona, il a publié sur sa plateforme Truth Social: «Il y a beaucoup de choses qui clochent.»
Les autorités locales ont reconnu le problème, mais assuré que les électeurs avaient d'autres options pour voter dans ce scrutin qui porte sur l'intégralité de la Chambre des représentants, un tiers du Sénat, de nombreux postes d'élus locaux et moult référendums.
Malgré leurs assurances, ces accrocs très localisés ont aggravé les inquiétudes.
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Pendant la campagne, «il y a eu beaucoup de crispation et de désinformation», regrettait Robin Ghirdar, un médecin de 61 ans venu voter démocrate en Pennsylvanie, en déplorant que «la recherche de la vérité et du compromis ait disparu dans la bataille.»
De fait, chaque camp a dramatisé les enjeux du scrutin: les démocrates se sont posés en défenseurs de la démocratie et du droit à l'avortement face à des républicains jugés «extrémistes»; les conservateurs se sont portés garants de l'ordre face à une gauche dite «laxiste et radicale» en matière de sécurité et d'immigration.
«Bon père de famille»
L'inflation -- plus de 8,2% sur un an -- a toutefois écrasé tous les autres sujets.
Jusqu'au bout, Joe Biden a cherché à défendre son bilan économique, en se présentant comme «le président de la classe moyenne», qui a annulé la dette étudiante et investi dans les infrastructures. Mais ses efforts ne semblent pas avoir porté leurs fruits.
Selon les enquêtes d'opinion, l'opposition républicaine devrait s'emparer d'au moins 10 à 25 sièges à la chambre basse - largement assez pour y être majoritaire. Les sondeurs sont plus mitigés quant au sort du Sénat, avec néanmoins un avantage pour les républicains.
Privé de sa majorité, le président aurait surtout un pouvoir de veto, et les républicains ont fait savoir qu'ils ne le ménageraient pas. Ils prévoient notamment de lancer des enquêtes à la Chambre sur les affaires de son fils Hunter et certains de ses ministres.
Duels haletants
Concrètement, les élections de mi-mandat se jouent dans une poignée d'États clés - les mêmes qui étaient déjà au coeur de l'élection présidentielle de 2020.
Tous les projecteurs sont notamment braqués sur la Pennsylvanie, ancien bastion de la sidérurgie, où le chirurgien multimillionnaire républicain Mehmet Oz, adoubé par Donald Trump, affronte le colosse démocrate John Fetterman pour le poste le plus disputé du Sénat.
Car de ce siège dépend très possiblement l'équilibre des pouvoirs de cette chambre haute, aux pouvoirs immenses.
La Géorgie, l'Arizona, l'Ohio, le Nevada, le Wisconsin et la Caroline du Nord sont également le théâtre de luttes intenses, où les démocrates sont partout opposés aux candidats soutenus par Donald Trump, qui jurent une fidélité absolue à l'ancien président.
Au total, près de 17 milliards de dollars auront été dépensés pour ces élections de mi-mandat, selon le site Opensecrets, un record.