Le pétrole en pause, après la flambée des cours jeudi liée à l’Ukraine
AFP
Les cours du pétrole se stabilisaient vendredi, après une hausse fulgurante la veille, ralentis par des sanctions occidentales contre Moscou sans portées pour le moment sur l’approvisionnement russe en énergie.
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Vers 10h30, le prix du baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en avril grappillait 0,09 % à 99,17 dollars.
À New York, le baril de West Texas Intermediate (WTI) pour livraison en avril perdait 0,22 % à 92,61 dollars.
«L’attaque de la Russie contre l’Ukraine se poursuit sans relâche. Pourtant, les prix de l’énergie se sont calmés étonnamment vite après avoir connu une hausse spectaculaire» jeudi, commente Carsten Fritsch, analyste chez Commerzbank.
Le baril de Brent, la référence européenne de l’or noir, dépassait jeudi les 105 dollars, et le WTI américain a franchi brièvement le seuil symbolique des 100 dollars.
L’invasion de l’Ukraine déclenchée dans la nuit de mercredi à jeudi par le président russe Vladimir Poutine suscite une vague de condamnations, principalement chez les Occidentaux, qui ont annoncé de nouvelles sanctions, mais qui «jusqu’à présent ne touchent pas les livraisons d’énergie», précise l’analyste.
L’Union européenne, réunie en sommet à Bruxelles, a durci jeudi soir ses sanctions contre la Russie, sans toutefois aller jusqu’à exclure le pays du système d’échanges bancaires internationaux Swift.
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«Cela signifie que les importations d’énergie en provenance de Russie peuvent encore être payées», explique Carsten Fritsch.
Joe Biden, selon qui le maître du Kremlin va devenir «un paria sur la scène internationale», a annoncé des restrictions pour les exportations de produits technologiques vers la Russie. Les sanctions américaines visent aussi les principales institutions financières russes, ainsi que plusieurs grandes entreprises et des oligarques.
«Compte tenu de la mainmise du Kremlin sur les robinets de gaz et les oléoducs européens, la portée des sanctions est, dans une large mesure, limitée», confirme Stephen Brennock, de PVM Energy.
Les investisseurs s’interrogent désormais sur la façon dont Moscou va réagir aux sanctions. Si la Russie choisit de réduire ses livraisons de brut, dans un marché où l’offre est déjà tendue, les prix pourraient repartir à la hausse.
«En période de volatilité extrême des prix du pétrole, c’est à l’OPEP qu’il revient de rétablir le calme», rappelle Stephen Brennock.
Or, l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) ne semble plus capable «d’empêcher les fluctuations brutales des prix», poursuit l’analyste, le cartel échouant chaque mois à remplir ses objectifs d’approvisionnement.
L’organisation, qui doit se réunir mercredi, devrait continuer de «jouer un second rôle» dans le marché de l’or noir, estime M. Brennock.
Ukraine : le gaz russe au cœur des réticences européennes sur Swift
L’Occident a échoué jusqu’ici à se mettre d’accord sur des sanctions maximalistes contre la Russie, refusant de l’exclure du système bancaire Swift, en raison principalement de crainte de plusieurs pays européens pour leur approvisionnement énergétique.
Alors que le sujet était sur la table, aucune mesure de blocage des banques russes de cette interface de paiements internationaux, rouage essentiel de la finance mondiale, n’a été décidée jeudi par les dirigeants européens en sommet à Bruxelles, en représailles à l’invasion de l’Ukraine.
Plusieurs pays, dont l’Allemagne, l’Autriche et la Hongrie, ont en effet émis des réserves, craignant notamment l’impact d’une telle décision sur les livraisons de gaz russe.
«Une suspension de Swift aurait des répercussions massives (...) pour les entreprises allemandes dans leurs relations avec la Russie, mais aussi pour régler les paiements de livraison d’énergie», s’est justifié vendredi le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Hebestreit.
En Hongrie, le premier ministre Victor Orban s’est félicité que les sanctions décidées jeudi «ne s’étendent pas à l’énergie», garantissant «l’approvisionnement en énergie de la Hongrie et des autres États membres de l’UE».
«Arme nucléaire»
Swift, acronyme de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, est une société basée à Bruxelles, et donc soumise au droit belge et européen.
Fondée en 1973, elle est l’un des plus importants réseaux de messagerie bancaire et financière, permettant les règlements interbancaires entre les établissements financiers du monde entier.
Selon le site de l’association nationale russe Rosswift, la Russie est le deuxième pays après les États-Unis en nombre d’utilisateurs de ce système, avec quelque 300 banques et institutions russes membres.
Concrètement, ce système permet par exemple à un pays comme l’Allemagne de régler électroniquement ses achats de gaz russe.
Bloquer un pays de ce système est considéré comme une «arme nucléaire économique», tant l’impact est important sur les relations économiques de ce pays avec le reste du monde.
Mais débrancher un État de Swift, c’est aussi empêcher ses propres banques de faire des transactions avec les banques du pays puni. Une donnée qui n’a pas échappé aux nations les plus dépendantes économiquement de la Russie, comme l’Allemagne.
«Il faut toujours faire attention à ne pas se nuire à soi-même plus qu’aux autres — dans ce cas, les sanctions n’ont aucun sens», a ainsi déclaré le très écouté député allemand Jürgen Trittin, spécialiste de l’international pour le parti écologiste.
Même du côté des États européens les moins dépendants des matières premières russes, comme la France, on reste sceptique, tant l’application d’une telle mesure est complexe.
«Swift fait partie des options», mais «c’est la toute dernière option», a commenté jeudi le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire.
Agacement
L’Autriche, à travers le chancelier Karl Nehammer, a de son côté déclaré que les sanctions économiques décidées jeudi par les dirigeants du G7 affecteraient déjà 70 % des banques russes dans leurs transactions, rendant inutile le blocage de Swift.
Un attentisme qui agace au sein même de l’Europe : «Les gouvernements de l’UE qui ont bloqué les décisions difficiles (...) se sont déshonorés», a déclaré l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk, actuellement chef du parti de droite PPE au Parlement européen. Une critique exprimée également par l’Ukraine.
Du côté anglo-saxon, on tente de faire fléchir l’UE. Le premier ministre britannique Boris Johnson a ainsi plaidé, durant la réunion du G7, en faveur d’une telle mesure, selon un porte-parole.
«Nous voulons que (Swift) soit désactivé. D’autres pays ne le veulent pas», a regretté le ministre britannique de la Défense Ben Wallace à la radio BBC.
Le chef de l’État américain, Joe Biden, a pour sa part assuré jeudi que couper la Russie du réseau Swift restait «une option», tout en reconnaissant qu’«actuellement ce n’était (pas) une position partagée par les Européens».
Déjà en 2014, peu après l’annexion de la Crimée par la Russie, l’option avait été évoquée, mais finalement abandonnée.
La BCE se tient prête à "toute mesure nécessaire" pour assurer la stabilité des prix
La Banque centrale européenne (BCE) «se tient prête à toute mesure nécessaire» afin d’assurer la stabilité des prix, a affirmé vendredi sa présidente Christine Lagarde, face aux vents violents causés sur les marchés de l’énergie par l’invasion en Ukraine.
«La BCE se tient prête à toute mesure nécessaire, dans le cadre de ses responsabilités, afin d’assurer la stabilité des prix et la stabilité financière en zone euro», a déclaré Christine Lagarde au cours d’une conférence de presse au ministère français de l’Économie.
Il est aujourd’hui «difficile de mesurer l’effet économique du conflit, car la situation évolue d’heure en heure», a expliqué la dirigeante qui s’exprimait dans le cadre de la conférence des 27 ministres européens des Finances, l’Ecofin, dont l’agenda a été bousculé par l’actualité.
Mais ce conflit aura selon elle des conséquences sur l’énergie, le niveau des prix, et la confiance, moins sur le commerce.
Les cours du pétrole ont franchi jeudi la barre des 100 dollars, et ceux du gaz se sont envolés depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, risquant de fortement peser sur l’inflation en zone euro, déjà à des niveaux élevés depuis plusieurs mois.
«Nous allons évaluer l’effet de la hausse des prix de l’énergie, qui devraient, à court terme, faire augmenter l’inflation», a estimé la dirigeante vendredi.
L’inflation s’est établie à 3,6 % sur un an en France en février, tandis que la hausse des prix a été en janvier de 4,9 % en Allemagne et de 4,8 % en Italie, au plus haut depuis 1996.
La hausse des prix de l’énergie est liée à la très forte tension à l’œuvre entre l’Occident et la Russie, et aux sanctions économiques qui pourraient affecter les livraisons de matières premières.
Les sanctions «affecteront aussi l’économie européenne, c’est le prix à payer pour défendre la démocratie», a estimé vendredi le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis, au cours de la même conférence de presse.
«Nous sommes prêts à payer ce prix» a abondé le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire, également présent.