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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Le blocus des autochtones à La Tuque pourrait durer longtemps

Valeska Petiquay défend les droits ancestraux de sa famille au blocus du kilomètre 60 menant à la réserve Wemotaci sous la surveillance des policiers de la Sûreté du Québec.
Valeska Petiquay défend les droits ancestraux de sa famille au blocus du kilomètre 60 menant à la réserve Wemotaci sous la surveillance des policiers de la Sûreté du Québec. Photo Louis Deschenes
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Photo portrait de Louis Deschênes

Louis Deschênes

2025-08-23T04:00:00Z
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WEMOTACI | Les Autochtones qui bloquent le passage aux travailleurs forestiers en Haute-Mauricie sont prêts à camper des mois pour conserver leurs droits.

• À lire aussi: La Première Nation bloque l’accès aux travailleurs forestiers en Haute-Mauricie

«On va rester aussi longtemps qu’il faudra, insiste Dave Petiquay, porte-parole des gardiens du territoire de la réserve Wemotaci, près de La Tuque.

«C’est le temps qu’on reconnaisse nos droits. Ça prendra des semaines, des mois, des années», dit celui qui a formé le regroupement Première Nation Mamo.

Le Journal s’est rendu sur place pour rencontrer ceux qui mènent cette lutte.

«Pourquoi on est ici? répète le gardien Petiquay. C’est parce que c’est un territoire non cédé et non conquis», répond-il, rappelant la Proclamation royale de 1763, qui reconnaît les droits territoriaux aux Premières Nations.

Dave Petiquay, un gardien de territoire joue un rôle important dans ce conflit.
Dave Petiquay, un gardien de territoire joue un rôle important dans ce conflit. Photo Louis Deschenes

Le regroupement de la Première Nation Mamo a érigé des barrages routiers temporaires depuis avril et à temps plein depuis une dizaine de jours.

En ferme opposition au projet de loi 97 qui augmenterait l’exploitation forestière, la Première Nation veut réduire au maximum les endroits où les scieries pourront s’approvisionner en bois, question de conserver la souveraineté de leur territoire.

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«Je ne vais jamais abandonner. Je le fais pour mes enfants et mes petits-enfants», affirme Valeska Petiquay qui milite avec son frère et toute la famille.

David Langevin un allié venum de Chicoutimi avec Valeska Petiquay sur les lieux du plus important blocus au kilomètre 60 de la route 25 menant à la réserve Wemotaci.
David Langevin un allié venum de Chicoutimi avec Valeska Petiquay sur les lieux du plus important blocus au kilomètre 60 de la route 25 menant à la réserve Wemotaci. Photo Louis Deschenes

Qui décide?

Outre la réforme du régime forestier qui passe par le projet de loi 97, le nœud du problème se trouve au sein de la nation atikamekw.

Les gardiens de territoire et les chefs héréditaires ne reconnaissent pas le droit de négocier au Conseil de bande, qui a des pouvoirs semblables à une ville.

«Ce n’est pas au Conseil à signer et à décider quoi que ce soit dans le territoire, c’est aux familles de faire ça», tranche Dave Petiquay.

Ce dernier a suivi, dans les médias, la rencontre entre les élus et l’industrie forestière, mais il réclame un entretien avec François Legault.

«Il doit venir nous voir pour une vraie discussion, exige-t-il. Il n’a même pas besoin de pick-up, il peut venir en hélicoptère.»

Constant Awashish (Grand Chef de la Nation Atikamekw).
Constant Awashish (Grand Chef de la Nation Atikamekw). Photo Agence QMI, Joël Lemay

Le grand chef de la Nation Atikamekw, Constant Awashish, révèle qu’il y a plus de 10 ans, il avait prévenu les hautes instances du danger d’une levée de boucliers.

«Je disais au gouvernement d’arrêter de pelleter les problèmes par avant [...] Parce qu’un jour ou l’autre, les gens allaient s’en charger. Je pense qu’on est rendu là. Donc toute la responsabilité est au gouvernement», déclare-t-il.

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Dans le calme

Lors de notre passage de quelques heures sur le site du blocus, aucun travailleur forestier ne s’est présenté.

Tous les véhicules pouvaient circuler sur la route 25 entre La Tuque et la réserve Wemotaci sans être interceptés.

Les entreprises forestières n’ont pas défié le barrage routier dans les derniers jours.

Grâce à une permission spéciale, des travailleurs de Rémabec pouvaient exercer leur métier.

«Les employés n’ont pas travaillé depuis un mois et demi. Donc, pour leur permettre de faire leurs paiements, on les laisse faire», confirme Dave Petiquay.

Revenant sur la confrontation avec Dany Grenier, le gardien a voulu transmettre un message à ceux qui font des commentaires sur les réseaux sociaux.

«Fichez-lui la paix!»

Joyce Dionne, qui travaille dans l’industrie forestière depuis 25 ans et qui gère l’entreprise familiale, demande l’intervention des policiers pour lever le blocus.
Joyce Dionne, qui travaille dans l’industrie forestière depuis 25 ans et qui gère l’entreprise familiale, demande l’intervention des policiers pour lever le blocus. PHOTO FOURNIE PAR LA FÉDÉRATION QUÉBÉCOISE DES ENTREPRENEURS FORESTIERS

Plusieurs veulent l'armée

Des travailleurs forestiers pris en otage souhaitent que les hautes autorités interviennent pour démanteler le barrage routier de la Nation Atikamekw à Wemotaci.

Propriétaire d’une entreprise et impliqué dans l’industrie forestière depuis 25 ans, Joyce Dionne, au Saguenay, se demande pourquoi le gouvernement ne durcit pas le ton.

«On a l’armée, amenez l’armée, demande-t-il. Je ne comprends pas pourquoi eux autres ont le droit de barrer l’accès sur un chemin public.»

Même s’il s’imagine que la Sûreté du Québec a sûrement reçu des directives précises puisque la situation est délicate, M. Dionne souligne le traitement «deux poids, deux mesures».

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«Les policiers sont là, ils ne font rien. Moi [si j’essayais] de barrer une route le matin, ce [ne] serait pas trop long que je me ferais arrêter.»

La police décidera

Le Journal a reçu quelques témoignages d’entrepreneurs qui désirent garder l’anonymat et qui souhaitent une intervention plus musclée de l’État.

Interrogée sur le sujet, la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, a déclaré que «c’est à la Sûreté du Québec de déterminer la stratégie policière à appliquer».

Elle mise sur les réunions de cette semaine ainsi que sur de futures discussions pour régler le dossier comme il se doit.

«Faire des blocus, ce n’est pas la bonne solution.»

Membres désespérés

Plusieurs propriétaires d’entreprise sont au bord du gouffre en raison de l’arrêt de travail qui se prolonge sur les terres de Wemotaci.

«C’est sûr que les pertes financières sont là, il y en a qui vont tout perdre, c’est sûr», assure Joyce Dionne, qui parle avec ses collègues.

Cette crise forestière arrive à un bien mauvais moment parce que les entreprises ont déjà subi un dur coup avec les tarifs douaniers imposés par Donald Trump.

«C’est encore une bombe. Au moins, quand tu travailles, tu réussis à payer ta machinerie et à faire travailler ton monde aussi. Moi j’ai 15 employés, c’est 15 familles, imaginez!»

Le porte-parole de l'Association québécoise des entrepreneurs forestiers, Martin Bouchard, confirme que plusieurs de ses membres qui font de la coupe à La Tuque en arrachent financièrement.

Il dit recevoir des messages de gestionnaires littéralement désespérés qui cherchent de l’aide dans les subventions au fédéral, sinon ils seront obligés de fermer les livres.

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Un entrepreneur forestier, Dany Grenier (à droite, avec un chandail noir), s’est retrouvé face à face avec le gardien de territoire Dave Petiquay sur la route à Wemotaci, rappelant une scène de la Crise d’Oka.
Un entrepreneur forestier, Dany Grenier (à droite, avec un chandail noir), s’est retrouvé face à face avec le gardien de territoire Dave Petiquay sur la route à Wemotaci, rappelant une scène de la Crise d’Oka. PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE DAVE PETIQUAY

L’entrepreneur forestier Dany Grenier, qui a fait face à un gardien autochtone dans une vidéo qui a fait le tour du Québec rappelant la crise d’Oka, assure avoir perdu 300 000$ depuis le début du blocus par la Première Nation Mamo. Sa machinerie et ses neuf employés sont allés sur le terrain seulement deux semaines depuis le 14 mars dernier. Il explique que pour une entreprise forestière, les frais fixes pour payer la machinerie, les employés et les assurances sont très élevés. La crise actuelle fait mal au propriétaire, qui a flambé une bonne partie de sa liquidité pour les imprévus.

Qui est la communauté Mamo

La Première Nation Mamo est un regroupement de gardiens du territoire et chefs héréditaires de plusieurs nations qui a été formé en avril pour défendre les territoires et les droits des peuples autochtones.

Dave Petiquay est le porte-parole du regroupement, qui est indépendant des conseils de bande. C’est le chef Mashteuiatsh, de la communauté innue du Nitassinan au Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui l’a approché.

Le nom Mamo signifie «Ensemble» dans les langues des Atikamekw Nehirowisiw et des Innuat, afin de souligner l’union au sein des troupes.

Le regroupement est aussi une idée de Valeska Petiquay, la sœur de Dave, qui à titre de présidente de l’association des gardiens de territoire.

Cette association a vu le jour en 2023 pour venir en aide au peuple autochtone victime des feux de forêt qui ont brulé des milliers d’hectares dans le nord du Québec.

Sur plusieurs drapeaux ont pu y voir un castor. 

«Vous savez, un castor, même [s’il] défait son barrage, il va se remettre au travail et le reconstruire», explique Valeska.

Sur le site du blocus, il y aussi des alliés au Mamo. Les membres québécois du Crazy Indian Brotherhood, un groupe surtout connu dans l’Ouest canadien qui vient en aide aux gens dans le besoin.

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