Déclin du français: ça se passe en anglais dans nos écoles aussi
À Vaudreuil-Dorion, des élèves ne se gênent pas pour parler anglais en pleine classe

Daphnée Dion-Viens
Au Québec, l’anglais se fait de plus en plus entendre dans les corridors de certaines écoles secondaires francophones et même en classe, ce qui force des enseignants préoccupés par la situation à sévir.
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«C’est sans arrêt», laisse tomber Valérie Trolliet, qui enseigne l’histoire à l’école secondaire de la Cité-des-Jeunes, à Vaudreuil-Dorion.
Le Journal révèle depuis samedi à quel point le français est en péril à l'extérieur du Québec, alors que des francophones ont du mal à vivre dans leur langue, notamment dans les écoles.
Or, il s’agit d’une réalité aussi présente dans des écoles secondaires québécoises, à Montréal, mais aussi dans des établissements de Vaudreuil-Dorion, à l’extérieur de la métropole.
«C’est nouveau depuis environ deux ans, je dirais, poursuit Mme Trolliet. Depuis qu’on est revenu à l’école à temps plein, après la COVID, nos élèves passent maintenant le seuil de notre porte et s’expriment en anglais, dans la classe. On essaie de contrer ça, mais c’est très, très difficile. Je n’y arrive pas».
Un élève francophone de quatrième secondaire, qui a demandé l’anonymat, dénonce aussi la situation. «Quand j’étais en secondaire un, il n’y avait quasiment pas d’anglais, mais là, c’est de pire en pire. Dans tous mes cours, ça parle en anglais. Et dans les corridors, il y a du monde qui vient te parler juste en anglais, comme si c’était normal. La plupart, ce sont des immigrants, mais il y a beaucoup, beaucoup de francophones qui parlent anglais entre eux, pour le fun», constate-t-il.
Avec la hausse de l’immigration dans cette région, les services en francisation sont nettement insuffisants, ce qui rend la situation encore plus préoccupante, dénonce Mme Trolliet (voir autre texte plus bas).
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L’anglais gagne du terrain
De passage dans cette école pendant l’heure du dîner la semaine dernière, Le Journal a pu constater que l’anglais se fait entendre dès qu’on y met les pieds: entre les rangées de casiers, dans les corridors, près des salles de bain, autour de la table de billard.
Plusieurs élèves nous ont indiqué qu’ils se font souvent avertir lorsqu’ils parlent anglais, sans trop comprendre pourquoi (voir autre texte).
Or, pour bien maîtriser une langue, il faut la manier régulièrement, souligne Véronique Goyette, qui enseigne le français à la nouvelle école secondaire des Échos, qui a ouvert ses portes à la rentrée à Vaudreuil-Dorion.
«Nos élèves parlent de plus en plus souvent anglais et je constate que même nos jeunes francophones ont de la difficulté avec les structures de phrase en français. Ils ne consomment pas non plus de culture en français et ne l’entendent pas assez souvent, donc il y a une perte», affirme-t-elle.
Dans certains groupes, tous les élèves se parlent entre eux in english, affirme une autre enseignante de la même école, qui a toutefois refusé d’être identifiée.
«C’est vraiment un problème, mais c’est délicat, on dirait qu’il n’y a pas de solution», laisse-t-elle tomber.
Sévir contre l’anglais en classe
Lasse d’intervenir auprès des élèves qui parlent en anglais dans ses cours de français, Véronique Goyette a commencé à les pénaliser, en leur enlevant des points dans leur note en communication orale, qui apparaît au bulletin.
Des enseignants de français de l’école secondaire de la Cité-des-Jeunes ont aussi décidé de sévir en classe pour contrer l’anglais, ont rapporté des élèves.
«Je me suis dit qu’il était temps de sortir le bâton. Maintenant, ils font plus attention à cause de ça», raconte Mme Goyette.
«Je leur dis souvent: “mais si vous ne parlez pas français dans mon cours de français, quand allez-vous parler français alors?”»
Des services de francisation «insuffisants» dans des écoles de Vaudreuil-Dorion
Des élèves issus de l’immigration fréquentant une école secondaire flambant neuve à Vaudreuil-Dorion n’ont droit qu’à une période de francisation aux trois jours, un service «complètement insuffisant» qui contribue à l’anglicisation de leur école, déplorent des enseignants.
L’école secondaire des Échos a ouvert ses portes à la rentrée sans aucun service de francisation, en raison de «défis de recrutement», indique le Centre de services scolaire des Trois-Lacs.
Depuis la mi-novembre, des périodes de francisation sont maintenant offertes à une quarantaine d’élèves, à raison de deux à trois périodes sur un cycle de neuf jours pour la majorité d’entre eux. Ce sont des membres du personnel déjà en place qui s’en occupent, en surplus de leur tâche déjà complète, indique le Syndicat de l’enseignement des Seigneuries (SES).
Or, c’est loin d’être suffisant pour permettre à ces élèves d'appprendre le français, surtout dans une école où l’anglais est couramment parlé dans les corridors et en classe, affirment des enseignants.
La présidente du SES, Martine Dumas, réclame plutôt l’ouverture de classes d’accueil en bonne et due forme, où les élèves peuvent apprendre le français à temps plein avant d’être intégrés dans les cours réguliers. Il s'agit d'un modèle qui a fait ses preuves depuis des années au Centre de services scolaire de Montréal.
«On a un fort taux d’immigration dans la région, le portrait démographique a beaucoup changé. Les besoins augmentent d’année en année, mais les services n’ont pas suivi», déplore Mme Dumas.
Deux classes ajoutées
À l’école secondaire de la Cité-des-Jeunes, des élèves ont plutôt droit à huit périodes de francisation sur un cycle de neuf jours, mais même avec cette formule, les progrès demeurent lents, affirment des enseignants qui estiment que le manque de services en francisation contribue à l’anglicisation de leur école.
De son côté, le Centre de services scolaire des Trois-Lacs indique que deux classes d’accueil ont été ouvertes cette année dans une autre école secondaire, à Pincourt, sous forme de projet-pilote.
«Compte tenu des impacts positifs de ces deux classes, nous évaluons actuellement la possibilité de mettre en place ce modèle dans d’autres écoles secondaires de notre centre de services», affirme sa porte-parole, Alexandra Desrochers.
Depuis neuf ans, le nombre d’élèves issus de l’immigration a pratiquement doublé dans ce centre de services scolaire.
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