«La musique déréglée du monde»: vivre dans un pays troué


Marie-France Bornais
Karim Akouche, un écrivain québécois d’origine kabyle à découvrir absolument, invente un langage et explore un territoire blessé, où l’amour et la guerre s’affrontent, dans son roman, La musique déréglée du monde. Avec une écriture originale, une forme unique, lyrique, vivante, il aborde de manière poétique et littéraire la question de la guerre, de la polarisation et de la résilience. Et il le fait à travers les yeux d’un enfant.
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Le petit Sol, héros du roman, est né dans la faille de l’Histoire. Ses parents ont été assassinés dès sa naissance et il a été sauvé par un vieux révolutionnaire avec qui il vit dans le maquis.
Pour l’aider à supporter les horreurs de la guerre, son grand-père adoptif lui raconte des histoires fascinantes, l’initie à l’écriture de la poésie et promet de l’emmener un jour dans le pays imaginaire de l’ours blanc et du kangourou.
Lorsque son protecteur est emprisonné, Sol se réfugie dans une ferme où il crée une troupe, Les Artistes Affamés, pour faire un pied de nez à la guerre et au chaos.
Auteur fascinant, érudit, Karim Akouche sait très bien de quoi il parle puisqu’il aurait pu être, lui aussi, un enfant-soldat. Ayant grandi en Algérie dans les années 1990, il a été témoin des atrocités et de la guerre.
Karim, maintenant dans la quarantaine, aurait pu devenir soldat, mais est plutôt devenu ingénieur en aéronautique. Tiraillé entre le cœur et la raison, il a embrassé le métier d’écrivain. C’est une chance pour ses lecteurs.

Une visée universelle
La guerre, un pays dévasté, plein de trous, il a connu cela.
« J’ai vécu la guerre civile dans les années 90. L’islamisme. Je dirais que pour ce livre, l’inspiration est locale, mais la visée est universelle, commente-t-il en entrevue. Je pars de la Kabylie de l’Algérie, mais j’ai essayé d’extrapoler sur cette histoire universelle. »
Il fait un mélange nord-sud très intéressant.
« Le papy de Sol lui promet de l’emmener un jour au pays imaginaire de l’ours blanc et du kangourou. C’est voulu de ma part, pour dire j’essaie de faire sauter la contrainte du roman classique : l’espace. C’est universel, pour dire que la guerre est toujours là, frappe toujours. Même si je suis optimiste, je suis tragi-comique. Je sais que l’être humain porte en lui aussi bien l’ange que le démon. »
Il a longuement travaillé le ton, pour faire un roman intemporel.
« Même si la base, c’est l’Afrique du Nord, la Kabylie, l’Algérie, et que les lecteurs ont un petit peu deviné le pays, ce pays pourrait être l’Ukraine, Haïti, le Vietnam, etc. Plusieurs pays. »
Son roman, dit-il, est une sorte de fable romanesque.
« Je qualifie mon roman de tragi-baroque. Le nord et le sud se rencontrent, se croisent. Un mot abstrait rencontre un mot concret sans crier gare. La poésie croise la philosophie, l’humour, la sagesse. J’ai essayé de faire quelque chose de nouveau. »
- Karim Akouche est né en Kabylie (Algérie) et vit au Québec depuis 2008.
- Sa pièce de théâtre Qui viendra fleurir ma tombe a été jouée à la Place des Arts en 2011.
- C’est un adepte de la marche et de course à pied, par tous les temps.
- Il sera en résidence d’écrivain à Paris au cours des prochains mois.
- Il a reçu de nombreux prix et son roman a été édité par Alain Beaulieu, une grande figure du paysage littéraire québécois.
EXTRAIT
« Mon Papy était bon, mais parfois pas bon, et ça je ne l’ai pas encore raconté, et pourtant il faut dire tout et, en plus de ça, de petits cœurs volants commencent pour de vrai à pousser entre vous et moi, et pour que leurs ailes de papillon poussent jusqu’à frôler les ailes des fées, on doit, vous et moi, les arroser avec un bidon plein de franchise. Le mot franchise, je ne l’ai pas trouvé dans le Dictionnaire intime de la Résistance de mon Papy, car la feuille où il est décrit a été mangée par le vent d’automne ou par mon lapin blanc idiot disparu. Dommage. Mais j’en connais le sens, car mon copain Yano l’avait utilisé lorsqu’il m’avait fait une déclaration d’amitié juste après la fin de l’exercice de la marche du canard : “La franchise est le miel de l’amitié. Sans elle, les amis ne collent plus.” La franchise, comme la confiance, coûte cher et, pour l’acheter, l’argent ne peut rien. »