La folle montée aux extrêmes


Mathieu Bock-Côté
Le voyage de Nancy Pelosi à Taïwan occupe les esprits. Alors que la situation en Ukraine dominait l’actualité internationale depuis le 24 février, il nous rappelle que les lignes de tension entre les empires sont nombreuses dans le système international, et qu’un nouveau conflit se dessine probablement en Asie.
La Chine, on le sait, n’a jamais toléré l’existence séparée de Taïwan. Pour elle, Taïwan n’est qu’une province rebelle, appelée à rentrer tôt ou tard dans le rang, en réintégrant la « mère patrie ».
De son côté, l’île dissidente joue avec la possibilité de son indépendance formelle. Elle n’ose toutefois pas franchir le pas, sachant que la Chine continentale risquerait, dans les heures suivantes, de l’envahir.
Taïwan
Or, nous le voyons, les remous de la scène internationale laissent croire que la Chine croit peut-être son heure venue. Devenue grande puissance pleinement consciente d’elle-même et grande gagnante indirecte du conflit en Ukraine, elle veut en finir avec ce qu’elle considère être l’anomalie taïwanaise.
Elle tolère de moins en moins, par ailleurs, la garantie américaine donnée à Taïwan de la défendre si la Chine décidait de l’annexer.
Elle y voit la présence illégitime d’un empire étranger dans sa propre zone d’influence.
Un empire étranger, et surtout, un empire en déclin, qui étale à la grandeur du monde sa décadence – une décadence incontestable, ce qui ne rend aucunement les empires autoritaires plus désirables.
Un empire qui s’impose partout au nom d’une conception de la démocratie de moins en moins convaincante, devenue une caricature d’elle-même.
Que se passera-t-il si la Chine décide d’envahir Taïwan ? Les Taïwanais seront assurément les premiers à en souffrir.
L’ambassadeur de Chine en France expliquait récemment sur une chaîne d’information française, que Pékin entendait soumettre les Taïwanais à un processus de « rééducation » après la « réunification » avec la Chine. Et cette réunification ne viendra pas sans invasion militaire.
Mais la question se pose : les Américains voudront-ils s’engager directement contre la Chine alors qu’ils ne l’ont pas fait en Ukraine ?
Derrière la rhétorique sur la démocratie mondiale, on constate la volonté de Washington de demeurer une grande puissance en Asie, et le refus de consentir pour de bon l’hégémonie sur cette région à la Chine.
Prenons un peu de hauteur par rapport aux événements : on annonçait depuis longtemps un monde multipolaire. Il prend forme devant nous.
Empires
Certains espéraient qu’il s’accompagnerait d’un certain équilibre. Pour l’instant, c’est le contraire qui se dessine.
Les empires qui renaissent ou surgissent veulent prouver leur puissance en l’exerçant dans ce qu’ils jugent être leur zone d’influence naturelle, où ils ne tolèrent pas d’autre souveraineté que la leur. Ils croient à la démonstration de force.
Résultat : les points de tension se multiplient. La possibilité d’une montée aux extrêmes se concrétise.
Les empires qui s’entrechoquent n’auront peut-être pas toujours la sagesse de la « guerre froide », et pourraient un jour faire consciemment ou inconsciemment le pas de trop, conduisant aux feux de l’enfer.