La fillette de Granby voulait mourir tellement elle souffrait
Marc Sandreschi | Bureau d'enquête
La « fillette de Granby » avait exprimé son désespoir et même tenu des propos suicidaires à une intervenante de la DPJ, un an avant sa mort suite aux multiples sévices qu’elle subissait.
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« Ça va pas. J’ai mal à mon coeur. Il y a juste toi qui peut m’aider. Tout le monde sont tannés de moi. Je serais mieux de pu être là, que je disparaisse (...) je veux partir loin ».
Voici les propos qu’auraient tenu la fillette, alors qu’elle n’était âgée de 6 ans, à une intervenante.
Ils sont rapportés dans la poursuite de 3,7 M$ déposé lundi matin au palais de justice de Granby par la mère et les grands-parents de la fillette décédée en 2019.
La poursuite déposée par Me Valérie Assouline, que notre Bureau d’enquête a pu consulter, vise le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ), quatre de ses employés ainsi que le Centre de services scolaire du Val-des-Cerfs.
Dans la requête de 60 pages, des situations accablantes sont alléguées sur la condition de la fillette, qui était alors sous la garde de son père et de la conjointe de celui-ci : elle dormait par terre ; elle perdait du poids à vue d’oeil; elle se cachait dans les salles de bain de l’école pour fouiller dans les poubelles, dans l’espoir de trouver de la nourriture, car elle passait parfois deux jours sans manger.
La fillette, dont l’identité est protégée par la loi, aurait même imploré l’école de ne pas la renvoyer à la maison.
Son frère, de 3 ans son cadet, vivait lui aussi de la violence, est-il allégué.
Écoutez l'entrevue avec Martin Gignac, Chef du département de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l’ Hôpital de Montréal pour enfants, CUSM et Professeur agrégé à l’Université McGill sur QUB radio :
Enfermée dans la cave
La grand-mère paternelle aurait pourtant lancé de nombreux signaux d’alerte indiquant que la fillette et son frère étaient en danger, mais en vain.
On apprend également dans la poursuite qu’en septembre 2017, la conjointe du père est arrêtée par la police pour abus physiques sur les 2 enfants.
La requête déposée par Me Assouline cite le rapport d’enquête de la police :
« (La conjointe) prend la fillette par le fond de culotte et par le gilet au niveau de la nuque et lance la petite vers la porte d’entrée sur une distance de 1 mètre. (...) La conjointe l’enfermait dans la cave le jour ou dans la chambre ».
Le rapport indique aussi que la porte de la chambre de la fillette se verrouillait de l’extérieur.
En tout, la police a dû intervenir à 6 occasions en 3 ans à la résidence du couple, est-il décrit dans la poursuite.

Reproches à la DPJ
Aussi, 7 signalements ont été fait en moins d’un an à la DPJ au cours de l’année 2017, mais plusieurs d’entre eux n’auraient pas été pris au sérieux.
Par exemple, en novembre 2018, la fillette aurait expliqué que la conjointe de son père l’avait frappée au visage et l’avait fait tomber au sol. Le personnel scolaire aurait aussi constaté la présence du sang sur le mouchoir de la fillette et une blessure au-dessus de l’oeil.
Or, l’intervenant et le chef de service du DPJ n’auraient alors prévu aucune mesure d’urgence. Ils se seraient contentés de demander au père de ne pas laisser la fillette seule avec sa conjointe.
Histoire d’abus sexuels
La grand-mère paternelle aurait aussi avisé le DPJ que la fillette affirmait que son père lui demandait d’adopter des comportements sexualisés lorsqu’elle était chez lui. Face au refus de l’intervenante d’en prendre connaissance, elle a alors porté plainte à la police de Granby.
Or, selon la poursuite, la DPJ savait que le père avait une historique d’abus sexuels familiaux auprès de sa patrie, ce que l’intervenante a omis de dire lors d’un témoignage devant le tribunal.
Une autre intervenante aurait mis en doute les propos de la fillette auprès d’un intervenant à qui le dossier allait être transféré: « elle est en attente d’être suivie en pédopsychiatrie (...), la jeune a tendance à exagérer et à inventer ».
École à domicile
Les poursuivants blâme aussi le Centre de services scolaires du Val-des-Cerfs. La gestion de la fillette étant difficile, le Centre aurait fini par la renvoyer à la maison pour faire de l’école à domicile en présence de la conjointe du père.
Le personnel scolaire, qui a tout-de-même fait plusieurs signalements à la DPJ, ne pouvait donc plus exercer le dernier filet de sécurité pour la fillette, est-il décrit dans la poursuite.
L’enfant a finalement succombé le 30 avril 2019.
La conjointe du père a été reconnue coupable de meurtre non-prémédité en décembre 2021. Elle porte actuellement la cause en appel.