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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Le Grand Prix du Canada, un événement déficitaire pour les contribuables

L’État reçoit beaucoup moins en revenus fiscaux que les 173 millions $ sur 5 ans dépensés pour le Grand Prix

Les nouveaux paddocks du circuit Gilles-Villeneuve, qui accueillent cette semaine les écuries de Formule 1,  ont coûté, à eux seuls, 67 millions de dollars aux contribuables.
Les nouveaux paddocks du circuit Gilles-Villeneuve, qui accueillent cette semaine les écuries de Formule 1, ont coûté, à eux seuls, 67 millions de dollars aux contribuables. Photo Martin Chevalier
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Sylvain Larocque

2022-06-15T04:00:00Z
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Ce sont plus de 170 millions $ que les deux gouvernements, la Ville de Montréal et Tourisme Montréal ont versé, depuis 2017, pour la tenue du Grand Prix du Canada, un événement qui est déficitaire pour les contribuables.

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Tourisme Montréal et le promoteur du Grand Prix, Bell Canada, ont récemment rendu publique une étude chiffrant à plus de 63 millions $ les retombées économiques de l’événement et à 16 millions $ les revenus fiscaux qui en découlent pour Québec et Ottawa.

Selon l’étude, 34 % des participants au Grand Prix et aux festivités connexes qui se tiennent au centre-ville de Montréal proviennent de la région métropolitaine. Les autres arrivent notamment des États-Unis (20 %), d’autres provinces (20 %), d’autres pays (12 %) et du reste du Québec (7 %).

Les revenus fiscaux estimés ont doublé par rapport à 2015, alors qu’ils étaient évalués à 8,1 millions $. Joint hier par Le Journal, l’économiste Jean-Marc Bergevin, auteur de l’étude récemment dévoilée, a expliqué cet important bond par le fait que l’étude réalisée sur le Grand Prix de 2015 « sous-estimait » les retombées économiques de l’événement.

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Or, même avec des recettes fiscales de 16 millions $, les contribuables sont perdants. Une analyse effectuée par La Presse l’an dernier chiffrait à plus de 20 millions $ l’écart négatif entre les revenus et les dépenses des gouvernements liés au Grand Prix pour la période de 2015 à 2019 inclusivement (plus de 4 M$ par année).

Quel est l’impact net ?

L’économiste Pierre Emmanuel Paradis, président de la firme AppEco, déplore que le promoteur du Grand Prix et les subventionneurs vantent les retombées économiques de l’événement sans tenir compte des fonds publics qui y sont injectés.

«Ce qu’il est important de regarder, et que ce genre d’étude-là ne nous donne pas, c’est l’impact net sur l’économie», affirme M. Paradis.

Philippe Barla. Professeur Université Laval
Philippe Barla. Professeur Université Laval Photo courtoisie

Philippe Barla, qui est professeur d’économie à l’Université Laval, est du même avis.

«Malheureusement, au Québec, il y a très peu d’analyses avantages-coûts qui sont réalisées, contrairement à ce qu’on voit dans d’autres pays, dont les pays scandinaves et les États-Unis, où elles sont beaucoup plus utilisées», précise-t-il.

L’économiste en chef du Conference Board du Canada, Pedro Antunes, croit pour sa part qu’il était légitime de se concentrer sur les retombées économiques. Il apporte toutefois un bémol quant à l’inclusion des visiteurs du reste du Québec.

«Si des Québécois dépensent à Montréal pour cet événement, est-ce qu’ils vont dépenser moins ailleurs [dans la province] pour d’autres événements?», se demande-t-il.

  • Écoutez l'entrevue de Richard Martineau avec Anuradha Dugal, présidente du Conseil des Montréalaises, sur QUB radio :
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Même chose en Europe

Le fait que le Grand Prix du Canada coûte plus cher qu’il n’en rapporte aux contribuables n’étonne pas Colin Pratte, chercheur à l’Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS).

Il indique qu’en 2020, des chercheurs universitaires danois ont publié une étude exhaustive sur les courses de Formule 1 tenues en Europe de 1991 à 2017. 

«Leurs données les ont menés à conclure que les retombées des Grands Prix étaient négatives, en raison principalement de l’importante somme de fonds publics qui leur sont alloués», dit M. Pratte.

Celui-ci s’interroge par ailleurs sur l’impact positif qu’aurait le Grand Prix sur l’image de Montréal dans le monde.

«Dans un contexte de crise climatique, les Grands Prix perdent de leur prestige et peuvent au contraire projeter une image négative des villes hôtes, soutient-il. Combien de touristes ne visiteront pas la ville du fait qu’elle tient un Grand Prix qu’ils jugeront polluant? Ça, c’est impossible à chiffrer.» 

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DÉPENSES PUBLIQUES POUR LE GRAND PRIX DU CANADA (2017-2022)  

  • Nouveaux paddocks: 67 M$  
  • « Zone hospitalité »: 18 M$  
  • Promotion post-pandémie: 5,5 M$      
  • Améliorations au circuit: 8,7 M$  
  • Droits annuels versés à la F1 (2017, 2018, 2019 et 2022): 74 M$  
  • Total: 173 millions $   

Des fonds publics à une entreprise très active dans les paradis fiscaux  

Les millions de dollars que déboursent chaque année les gouvernements pour assurer la présence de Montréal dans le calendrier de la F1 aboutissent dans les coffres d’une entreprise américaine qui compte des filiales dans les paradis fiscaux que sont les îles Caïmans et Jersey.

Depuis 2017, la Formule 1 appartient à Liberty Media, qui est également actionnaire du réseau de radio numérique SiriusXM et des Braves d’Atlanta dans le baseball majeur.

Faible taux d’imposition

John C. Malone. Multimilliardaire américain
John C. Malone. Multimilliardaire américain Photo AFP

À la fin de 2016, le plus important actionnaire de Liberty, John C. Malone, avait qualifié de « brillante » la structure fiscale de la Formule 1. On évoquait alors un taux d’imposition d’à peine 2 %.

L’an dernier, Liberty a inscrit une dépense d’impôts de 45 millions de dollars américains à ses états financiers. Si elle avait dû payer le taux d’imposition fédéral américain de 21 %, l’entreprise aurait plutôt dû débourser 166 millions $ US. L’écart s’explique par des crédits d’impôt et d’autres raisons, indiquent les plus récents documents financiers annuels de Liberty.

La décision récente des pays de l’OCDE de fixer un taux minimum d’imposition de 15 % pourrait avoir pour effet «d’affecter négativement la Formule 1 puisque les revenus de celle-ci seraient [alors] imposés à des taux effectifs plus élevés», reconnaît l’entreprise.

Pour Colin Pratte, chercheur à l’IRIS, la situation fiscale de Liberty Media rend encore plus périlleuse la décision de subventionner lourdement le Grand Prix de Montréal.

«Il faut s’interroger sur le versement de fonds publics dans une entreprise qui multiplie les stratagèmes fiscaux pour payer le moins d’impôt possible», dit-il.     

  • De 2015 à 2031, les contribuables auront versé plus de 300 millions $ en droits à la F1 pour le Grand Prix du Canada.  
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