«Charlie et la Chocolaterie» passé à l'eau de javel: on détruit bien la littérature...


Mathieu Bock-Côté
Depuis quelques années, les maisons d’édition embauchent de plus en plus ce qu’on appelle des «lecteurs de sensibilité».
Ceux-ci ont pour fonction de réviser les textes des auteurs pour s’assurer qu’ils ne comportent pas de propos «blessants» pour les «minorités». Ou du moins, pour les militants prétendant parler en leur nom.
Ce sont des censeurs ayant pour fonction de conformer les manuscrits qu’ils reçoivent aux standards de l’idéologie multiculturaliste et néoféministe. On s’assurera qu’ils deviennent «inclusifs».
- Écoutez la rencontre Mathieu Bock-Côté et Richard Martineau diffusée chaque jour en direct 9 h 35 via QUB radio :
Charlie
Ce n’était qu’une question de temps pour que cette logique de censure franchisse une prochaine étape, en s’intéressant non plus seulement aux livres à venir, mais à ceux provenant du passé.
C’est ce qui vient d’arriver aux œuvres de Roald Dahl, l’auteur de Charlie et la chocolaterie, et de tout l’univers que l’on connaît.
L’heure était venue de rééditer ses œuvres. Mais la censure de notre époque s’en est mêlée. Et on a ainsi assisté à leur réécriture pour gommer des expressions et des mots supposés choquer nos contemporains.
Appelons ça une forme d’hygiénisme littéraire.
Le féminisme s’impose: une femme qui, dans la première édition, était caissière ou secrétaire devient désormais scientifique de haut niveau ou dirigeante d’entreprise. Je veux bien qu’elle le devienne dans un prochain livre, mais dans celui-là, tel n’était pas le cas.
De même, dans la nouvelle version, on ne dit plus d’une vieille femme désagréable que les «vieilles harpies comme elles ont toujours des démangeaisons aux ventres».
Ce passage est tout simplement biffé.
Une référence à Joseph Conrad, jugé trop masculin et colonialiste, est remplacée par une référence à Jane Austen.
Mais cela va plus loin. Dahl parle un moment d’un petit garçon un peu gras. Dans la version originale, il écrivait qu’il devait faire un régime.
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Dans la nouvelle, ce passage a été gommé.
Quant à la «grosse souris brune», elle devient simplement la «souris brune». Halte à la grossophobie!
Je pourrais multiplier les exemples.
L’œuvre ne compte plus. Il faut la passer à l’eau de Javel.
Quant à l’auteur, son livre n’est plus qu’un matériau à retravailler par des réécriveurs militants.
Cette entreprise d’épuration d’une œuvre littéraire relève de la purge. Mais il s’agit aussi de lui faire perdre sa vocation propre pour la mettre au service de l’idéologie dominante.
On détruit ainsi la littérature.
Quelles seront les prochaines victimes du littérairement correct? Balzac? Flaubert?
Censure
Au temps de nos arrière-grands--parents, on parlait de la littérature édifiante, censée faire de nous de bons chrétiens. La littérature était le support de la morale. Les livres moralement proscrits étaient mis à l’index.
En URSS, l’art était soumis aux exigences de ce qu’on a appelé le réalisme socialiste. Il s’agissait de mettre l’art au service de la révolution et du communisme. Les artistes qui ne se pliaient pas à cette exigence étaient perçus comme des dissidents.
Aujourd’hui, la culture doit servir la promotion de la «diversité». Rien n’échappera à l’empire du politiquement correct.
Gardez vos vieilles éditions, mes amis. Un jour, elles vaudront cher.