Tragédie du Vieux-Montréal: le feu a été allumé par une main criminelle
Erika Aubin, Maxime Deland et Frédérique Giguère
L’incendie majeur qui avait coûté la vie à sept personnes en mars dernier dans un immeuble patrimonial du Vieux-Montréal a été allumé par une main criminelle.
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La thèse de l’accident pour expliquer le violent incendie qui a entièrement détruit l’édifice patrimonial situé sur la place d’Youville a été complètement écartée, a fait savoir David Shane, responsable des communications au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
«Nous parlons donc désormais d’une enquête criminelle», a laissé tomber l’inspecteur lors d’une conférence de presse en après-midi.

«Nos enquêteurs ont identifié une zone où a débuté l’incendie. Et des traces d’accélérant ont été retrouvées, ce qui a pu contribuer à expliquer la vitesse de propagation du brasier combiné à la structure patrimoniale », a précisé M. Shane.

Plusieurs résidents du bâtiment — qui abritait de nombreux appartements de type Airbnb — ont vécu l’horreur lors de cette nuit fatidique du 16 mars. Parmi les 22 personnes présentes dans les logements, seulement six s’en sont sortis complètement indemnes.
Coincés à l’intérieur
Le feu s’était rapidement propagé à l’ensemble de l’immeuble patrimonial et certains locataires s’étaient retrouvés coincés au cœur du brasier, incapables de s’enfuir. Sept personnes ont ainsi perdu la vie.
C’est notamment le cas de la jeune Charlie Lacroix, 18 ans, qui avait communiqué avec le 911 alors que l’incendie faisait rage, suppliant de venir la chercher.
Elle se trouvait avec son ami, Walid Belkahla, également âgé de 18 ans, dans un appartement loué sur la plateforme Airbnb.
Durant l’appel au 911, la ligne avait coupé, ce qui laisse croire que les deux jeunes adultes sont morts quelques instants plus tard, prisonniers de l’immeuble en flammes.
Par ailleurs, neuf autres personnes ont été blessées et avaient dû être transportées en centre hospitalier.

Pendant plusieurs jours après le drame, les équipes d’urgence ont travaillé sans relâche afin de récupérer les corps des victimes parmi les décombres.
- Écoutez la chronique Crime et Société avec Félix Séguin, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor au micro d'Alexandre Moranville via QUB radio :
Plus aucun doute
Il aura finalement fallu cinq mois aux enquêteurs des crimes majeurs et du Module des incendies criminels et explosifs pour en venir à la conclusion que l’incendie est d’origine criminelle.
«C’est le temps requis pour les différentes expertises. [...] Par exemple, on avait besoin d’un rapport d’ingénieur électrique pour écarter la cause d’un trouble électrique», a indiqué David Shane.
Feu de cuisson, mégot de cigarette... toutes les autres causes accidentelles possibles ont aussi été exclues une à une, a-t-il expliqué.
L’enquête se poursuit pour mettre la main sur le ou les suspects. L’inspecteur Shane n’a pas voulu dire si certains sont déjà dans la mire de la police de Montréal.
Pendant ce temps, l’enquête du coroner est mise en suspens jusqu’à la fin du processus judiciaire.
Ce tragique incendie a été le plus meurtrier des 48 dernières années dans la métropole. En 1975, l’incendie criminel du bar Gargantua, sur la rue Beaubien, avait fait 13 victimes. Trois années plus tôt, un incendie allumé par une main criminelle au bar le Blue Bird avait fait 37 morts et des dizaines de blessés.
Le SPVM demande à toutes personnes détenant des informations sur l’incendie du Vieux-Montréal de communiquer avec le 911, son poste de quartier ou de façon confidentielle via Info-Crime au (514) 393-1133.

Difficile à encaisser pour les proches
La veille de l’anniversaire de sa fille, le père d’une des sept victimes qui ont perdu la vie dans l’incendie du Vieux-Montréal a été abasourdi d’apprendre que quelqu’un a intentionnellement mis le feu à l’immeuble résidentiel.
«Je ne m’attendais pas à ça. Jamais je n’aurais cru que quelqu’un ait pu allumer délibérément un incendie dans un gros immeuble comme ça [...] Ça ne fait pas de sens », a laissé tomber au bout du fil Louis-Philippe Lacroix, le père de Charlie.
La police de Montréal l’a appelé quelques heures plus tôt aujourd’hui pour lui faire savoir que l’incendie est d’origine criminelle. Demain, sa fille Charlie Lacroix aurait dû célébrer son 19e anniversaire.
« Ça rebrasse toutes sortes d’émotions, confie-t-il. N’en demeure pas moins que s’il y avait eu une fenêtre dans la chambre où se trouvait ma fille, elle aurait peut-être été capable de sortir de là saine et sauve.»
Au moment de l’incendie, la jeune femme se trouvait dans un logement sans fenêtre loué sur la plateforme Airbnb.

Pas toujours conforme
D’ailleurs, deux enquêtes criminelles sont en cours dans ce dossier: la première pour meurtres et la deuxième pour négligence criminelle causant la mort, selon nos informations.
Le propriétaire du bâtiment patrimonial, l’avocat Emile Haim Benamor, avait reçu plusieurs avis d’infraction du Service de sécurité incendie de Montréal depuis son achat en 2009.
Escaliers de secours non conforme, séparations coupe-feu absentes et chambres sans fenêtres font partie des infractions qui avaient été notées dans l’immeuble comportant une quinzaine de logements.
Un résident sauvé in extremis par des pompiers à la fenêtre de son appartement avait aussi raconté au Journal n’avoir entendu aucune alarme incendie au moment où les flammes se propageaient.
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Quelques semaines après le drame, Randy Sears a intenté une action collective de plus de 22M$ contre le propriétaire de l’immeuble, un entrepreneur qui y louait des unités, mais aussi contre Airbnb pour avoir permis des locations illégales. Résident du Nouveau-Brunswick, M. Sears est le père de Nathan, un doctorant de 35 ans qui a lui aussi perdu la vie dans l’incendie mortel.
Identités des victimes de l’incendie du Vieux-Montréal
Camille Maheux, 76 ans
An Wu, 31 ans
Dania Zafar, 31 ans
Saniya Khan, 31 ans
Nathan Sears, 35 ans
Charlie Lacroix, 18 ans
Walid Belkahla, 18 ans