«Je dis ma vérité»: la victime alléguée a dû se défendre d'avoir «inventé une histoire», au procès des ex-joueurs d'Équipe Canada junior


Antoine Lacroix
LONDON | Talonnée de questions au quatrième jour de son contre-interrogatoire, la victime alléguée des cinq ex-hockeyeurs de l’Équipe Canada junior 2018 a dû se défendre d’avoir «inventé une histoire» pour mieux convaincre les membres du jury.
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«Je dis ma vérité, mon histoire», a lancé la jeune femme d’un ton ferme, l’air agacé au palais de justice de London.
Cette dernière se fait interroger depuis mercredi matin par Me Megan Savard, qui représente Carter Hart, l’un des cinq accusés. Dans un échange tendu, l’avocate de la défense la pressait de questions à savoir dans quelles circonstances elle en était venue à pleurer dans la chambre d’hôtel.
«Dans votre esprit, il n’y a aucune différence entre affirmer au jury [qu’ils ont dit]: “ne pars pas” et “ne la laissez pas partir, elle pleure”, a demandé Me Savard. La version que vous avez dite à la police en 2018 semble beaucoup moins criminelle que ce que vous dites au jury aujourd’hui.»
«J’ai vieilli et je suis plus mature, j’ai une meilleure compréhension de ce qui m’est arrivé maintenant», a répondu celle qu'on ne peut désigner que par les initiales E.M., en raison d'un interdit de publication sur son identité.
Inventer une histoire
La victime alléguée s’est ensuite fait accuser par l’avocate de la défense «d’inventer une histoire» au sujet des paroles échangées.
«Je vais vous suggérer qu’à plusieurs occasions, vous prenez un élément, quelque chose qui est arrivé, vous déformez les mots pour que ça sonne encore bien pire», a avancé Me Savard.
«Je ne savais pas comment communiquer chaque détail précisément, j’essayais juste de tout faire sortir», a expliqué la jeune femme.
L’avocate de la défense lui a ensuite fait remarquer qu’elle était en train de faire un baccalauréat à l’université, ajoutant qu’elle aurait dû avoir une certaine facilité à s’exprimer.
«Après quelque chose comme ça, c’est vraiment difficile de communiquer ce qui venait d’arriver. Oui, j’ai une bonne éducation, mais j’étais traumatisée», a lancé E.M., l’air un peu outré.
La réponse n’a pas semblé satisfaire Me Savard, qui lui a reproché de «vouloir faire en sorte que le jury va accepter qu’il est plus probable qu’un crime ait été commis ici».
«Je dis ma vérité, mon histoire, et comment je me rappelle de tout ce qui s’est passé. Je n’essaye pas de faire apparaître ça encore pire que c’est. C’est que je n’arrive pas à dire mot pour mot ce qui a été dit», lui a-t-elle répliqué.
Qui blâme-t-elle ?
En fin d’après-midi jeudi, c’est l’avocat d’Alex Formenton, un autre accusé, qui a amorcé son contre-interrogatoire, lui posant notamment de nombreuses questions au sujet de sa consommation d’alcool le soir des événements.
«Nous avons parlé de cet alter ego que vous avez. Lorsque vous buvez, vous changez, d’une certaine manière, il y a une métamorphose. Nous allons l’appeler “Fun E.M.”, parce vous sentez que vous ne pouvez pas avoir du plaisir sans avoir bu», a lancé Me Daniel Brown.
Le concept n’a pas semblé plaire à la victime alléguée, estimant qu’elle est «capable d’avoir du plaisir sans alcool».
«“Fun E.M.” agit sous l’effet de pulsions, non ?, a avancé Me Brown. “Sobre E.M.” n’aurait pas choisi de tromper son copain. [...] “Fun E.M.” ne pense pas aux conséquences.»
«Je ne suis pas sûr que j’aime l’idée d’un alter ego, je ne suis pas sûre de comprendre», a-t-elle répondu.
Il lui a plus tard demandé si c’était «son choix» d’avoir bu autant.
«Oui, mais j’ai le droit de faire cela et ne pas avoir à me préoccuper que quelque chose comme ça m’arrive», lui a-t-elle rétorqué.
L’avocat de la défense lui a aussi demandé «qui blâme-t-elle» pour les agressions alléguées.
«Seriez-vous d’accord qu’il est bien plus facile de nier ses choix délibérés que de reconnaître la honte, la culpabilité et l’embarras qu’on a ressentis à cause de ces choix ?», a ajouté Me Brown.
«Je me suis mis beaucoup de culpabilité sur mes épaules, mais je crois aussi que d’autres personnes devraient être tenues responsables de ce qui s’est passé cette nuit-là», a affirmé la jeune femme.
Nuit d’horreur
Elle avait 20 ans au moment des faits reprochés aux cinq accusés, Carter Hart, Michael McLeod, Dillon Dubé, Alex Formenton et Cal Foote. L’événement serait survenu à London, en juin 2018, à l’occasion du triomphe quelques mois plus tôt de l’équipe canadienne au championnat mondial.
E.M. avait rencontré les hockeyeurs dans un bar, où elle avait bu plus d’une dizaine de consommations alcoolisées, dont plusieurs shooters.
Elle se serait finalement retrouvée dans sa chambre d’hôtel de McLeod, au Delta de London.
Une relation sexuelle consensuelle a eu lieu entre les deux, mais c’est juste après que la nuit de la jeune femme aurait pris une tournure cauchemardesque quand d'autres hockeyeurs sont arrivés dans la chambre.
Lundi au début du procès, elle a raconté avoir été agressée à répétition et avoir eu l’impression d’être « emprisonnée » dans la chambre.
Elle subit présentement le troisième contre-interrogatoire d’une série de cinq. Chaque accusé possède son équipe légale, qui pourra la questionner et tenter de soulever des contradictions pour remettre en doute sa version des faits.
Le témoignage d'E.M. se poursuit vendredi avant-midi au palais de justice de London.
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