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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

«Nous allons pomper ce truc»: ils se seraient enrichis de plus de 22M$ grâce à une vaste manipulation boursière

Une partie des gains a servi à financer un projet de l’ex-commandant Robert Piché qui est tombé à l’eau

Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir du coin supérieur gauche: Serge Beausoleil, Leigh Hughes, Martin Tremblay et Johnson Joseph.
Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir du coin supérieur gauche: Serge Beausoleil, Leigh Hughes, Martin Tremblay et Johnson Joseph. Photomontage Le Journal. Sources des photos: Fondation Beausoleil, LinkedIn, Tenet Fintech.
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Photo portrait de Sylvain Larocque

Sylvain Larocque

2025-04-19T04:00:00Z
2025-04-22T15:59:11Z
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Une vaste manipulation boursière a permis à quatre financiers d’empocher plus de 22 millions $, soutient l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans une poursuite consultée par Le Journal. Une partie des gains a permis d'appuyer un projet de centre de traitement des dépendances mené par l’ex-commandant Robert Piché.

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Selon le chien de garde des marchés, Serge Beausoleil, Leigh Hughes, Martin Tremblay et Johnson Joseph se sont «concertés» pour faire grimper artificiellement la valeur boursière de Peak Fintech, une entreprise de technologie financière active dans les prêts commerciaux en Chine. Celle-ci s’appelle aujourd’hui Tenet Fintech et est toujours cotée en Bourse.

Peak Fintech
Peak Fintech

Beausoleil et Tremblay ont mis en place un stratagème semblable pour faire de l’argent illicitement avec Ryah, une entreprise montréalaise dont le «produit phare» était un vaporisateur d’herbes sèches, d’après l’AMF.

«Plans de promotion»

«Le modus operandi [...] consistait essentiellement à exercer une certaine influence auprès de ces sociétés pour obtenir à faible coût des titres de celles-ci et mettre en œuvre un plan de promotion continue visant à accroître le cours de ces titres et à générer un volume important des négociations», explique l’AMF dans la poursuite.

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Les «plans de promotion» des actions de Peak et de Ryah «reposaient notamment sur une diffusion régulière de communiqués de presse [...] et ce, de façon coordonnée avec des personnes embauchées pour mener des activités promotionnelles sur les réseaux sociaux [...] sans que ces liens d’affaires ne soient divulgués», détaille l’AMF.

C’est ainsi que, d’avril 2020 à novembre 2021, Peak a publié plus de 100 communiqués, lesquels ont été amplifiés par des centaines de messages sur Twitter (aujourd’hui X), des entrevues vidéo diffusées sur des sites web comme Wall Street Reporter et des commentaires faits sur des forums de discussion.

Photo d’archives
Photo d’archives
De 50 cents à 13$

Les efforts des quatre hommes ont fini par porter leurs fruits. De 50 cents au début d’avril 2020, le titre de Peak est monté jusqu’à plus de 13$ en septembre 2021. Il vaut aujourd’hui moins de 4 cents.

Tremblay et Beausoleil ont eu moins de succès avec Ryah. Le titre a progressé de 10 à 15 cents au milieu de 2021, avant de retomber à 5 cents en décembre. En novembre 2021, l’AMF a effectué des perquisitions chez Beausoleil, ce qui semble avoir sonné la fin de la récréation. L’entreprise a fait faillite l’an dernier.

Au bout du compte, Serge Beausoleil a empoché 17,7 millions $ en vendant des actions de Peak et de Ryah qu’il dit avoir payées environ 1 million $. De cette somme, la fondation de Beausoleil a versé 3,7 millions $ à la Fondation Robert Piché pour un centre de traitement des dépendances à Sherbrooke. Ce projet a été abandonné en 2022.

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Le défunt Centre Robert Piché à Sherbrooke.
Le défunt Centre Robert Piché à Sherbrooke. Photo Fondation Robert Piché

Notons que M. Piché n’a pas participé aux stratagèmes reprochés à Beausoleil. Il n’est pas nommé dans la poursuite de l’AMF.

Selon l’AMF, Hughes a réalisé des gains de plus de 2,9 millions $ grâce aux manipulations, tandis que Tremblay a encaissé tout près de 2 millions $.

Amendes de 21M$

L’organisme réclame des amendes totalisant 21 millions $ dans cette affaire, dont 10 millions $ à Serge Beausoleil.

Joint par Le Journal, le sexagénaire a nié en bloc les allégations de l’AMF.

«Il n’y a pas personne qui s’est fait voler dans ça, jure-t-il. Nous autres, on a fait de l’argent. Mais ç’a l’air de ne pas faire l’affaire de personne parce qu’on nous accuse d’avoir manipulé des stocks. Je vais faire la preuve en cour que c’est complètement farfelu.»

Quant à Johnson Joseph, il a nié «tout acte répréhensible» et assuré qu’«il a toujours agi avec intégrité» dans un communiqué publié en décembre par Tenet.

Leigh Hughes, qui habite aujourd’hui au Texas, et Martin Tremblay, qui réside au Costa Rica, n’ont pas répondu au Journal.

Le «roman» de Beausoleil

Serge Beausoleil est un ancien courtier en valeurs mobilières qui dit investir dans des actions cotées en cents (penny stocks) depuis 25 ans. De la fin de novembre 2020 jusqu’au début de janvier 2021, il a envoyé plusieurs courriels à son «club de placement», composé d’une centaine de personnes qui seraient liées aux transactions sur Ryah.

Serge Beausoleil
Serge Beausoleil Photo Fondation Beausoleil

Ces messages ont pris la forme de 10 «chapitres». Selon l’AMF, le «roman» de Beausoleil visait «à s’assurer que les membres de son club de placement seront prêts à lui emboîter le pas et à le soutenir dans cette manipulation de titres» à partir de mai 2021.

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Dans son «roman», Beausoleil affirme notamment que les activités économiques d’une entreprise sont moins importantes que le «plan de marketing» ayant pour but de faire croître ses actions en Bourse. Dans le cas de Peak, un «simple plan de marketing, pour ne pas dire un show de boucane» a permis de créer de la valeur, relève-t-il.

Des messages révélateurs

Serge Beausoleil, Martin Tremblay, Leigh Hughes et Johnson Joseph ont échangé des centaines de messages en 2020 et en 2021. Voici quelques extraits percutants.

«Pomper notre sortie»

«Concentrons-nous sur Peak, mon ami!! Nous avons un gros gain possible pour notre poche à très, très court terme», écrit Tremblay à Hughes sur WhatsApp, en août 2020. «Nous allons pomper ce truc [...] et après nous allons revenir quand ce sera le temps de pomper notre sortie», ajoute-t-il.

«J’ai un plan»

«J’ai un plan pour nous. Nous devons donner un coup de pied pour que ce truc monte aux environs de 1$. Les gars, nous avons besoin de nouvelles, de nouvelles, de nouvelles, de beaucoup de nouvelles et nous serons corrects», écrit Hughes à Tremblay et Joseph quelques jours plus tard.

«Pump and dump»

«Les institutions et les courtiers plus sophistiqués vont regarder cela et n’embarqueront pas si ç’a l’air d’un pump and dump ["gonfler et larguer"]», écrit Tremblay à Joseph en septembre 2020.

«Les trouble-fête»

L’AMF «est la seule entité qui peut venir jouer les trouble-fête dans ce dossier», prévient Beausoleil à son club de placement en février 2021.

«Combien de balles dans ton gun

«Si tu parles à tes gars, tu peux leur dire que c’est un bon deal aujourd’hui. La nouvelle du prospectus sort demain», écrit Joseph à Tremblay le 24 juin 2021. En fin d’après-midi, il lui demande: «On est dans les dernières 30 minutes de trading. Y te reste combien de balles dans ton gun?» Tremblay répond: «Faut juste que je trouve qui répond chez le courtier, ostie, ils sont tous en bateau au Québec».

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