«Nauetakuan – Un silence pour un bruit»: guérir des violences passées


Marie-France Bornais
Poète, chanteuse, actrice et militante innue, la talentueuse Natasha Kanapé Fontaine signe cet automne un premier roman coup de poing, qui nous traverse comme un éclair, Nauetakuan – Un silence pour un bruit. À travers la quête identitaire de Monica, elle décrit la réalité d’une jeune artiste qui lutte pour faire sa place, trouver son identité, faire face au rejet et au racisme systémique. Un parcours initiatique inspiré de sa propre expérience. Un parcours où l’art aide à guérir les violences du passé.
Monica, jeune femme en pleine quête identitaire, cherche sa liberté et son propre chemin, mais aussi ses liens. Elle qui vient d’abandonner son bac en histoire de l’art vit une épiphanie pendant un vernissage.
En découvrant les toiles et les installations de Rebecca Belmore, une artiste anishinabe, elle ressent quelque chose de fort qui la bouleverse complètement.
Monica se lance dans une quête qui la mène d’un bout à l’autre du continent, à la recherche de ce qui la définit, mais aussi de ce qui peut l’aider à guérir les blessures du passé. Elle en a beaucoup à surmonter : les traumatismes intergénérationnels, héritage des pensionnats ; une enfance vécue hors de sa culture ; des amours avec des hommes toxiques.

L’art contemporain
En entrevue, elle explique qu’il y a beaucoup d’elle-même dans ce roman.
« Je me suis découverte grâce à l’art contemporain. J’ai une pratique en arts visuels depuis mes débuts : avant d’écrire, je faisais de la peinture et de l’art performatif. C’est comme ça que j’ai découvert Nadia Myre et Rebecca Belmore. Je leur rends hommage dans mon livre. »
Elle s’est beaucoup nourrie de ses propres expériences, en tant qu’Innue qui a grandi un peu à l’extérieur de Pessamit.
« Je suis retournée dans mon village il y a une dizaine d’années et c’est comme ça que je me suis reconnectée à ma culture, à moi-même. Quand je suis venue vivre à Montréal, il fallait voir la vie différemment, découvrir la vie autochtone urbaine, et encore plus me découvrir par l’art. »
Les pensionnats
L’écrivaine ajoute que son livre tombe à point, avec les découvertes liées aux pensionnats autochtones, mais qu’elle faisait déjà un cheminement personnel.
« Je me suis rendu compte que, des fois, notre anxiété, nos peurs, c’est relié à la honte de s’exprimer. Mais ça vient des pensionnats aussi. Il faut comprendre comment ça nous est parvenu, de génération en génération. »
« Je pense que c’est un questionnement dans lequel on s’en va présentement, mais ça fait plusieurs années que je travaille là-dessus. J’espère que ça va contribuer à la réflexion. »
« Je raconte mon histoire et l’histoire de mon peuple. Mais on ne sait pas à quel point les violences du passé ont encore une incidence sur nous, sur notre comportement, sur notre façon d’être en lien avec les autres, aujourd’hui. Je pense qu’on est en train d’entrer dans ce questionnement et qu’on s’intéresse de plus en plus aux traumatismes intergénérationnels. »
Sa grand-mère
L’an dernier, elle a fait ses recherches dans le registre des survivants des pensionnats pour voir si une de ses grands-mères était passée par là.
« On me l’a confirmé. L’apprendre il y a un an et demi, c’était tout un processus. Et les autres découvertes, cette année, c’est un autre processus qui est encore plus dur. Il faut comprendre que quelqu’un dans ma famille a vécu ça et que ça s’est répercuté jusqu’à moi. Mais ça aurait été quoi si elle n’avait pas survécu ? Je n’aurais pas été là. »
Elle a aussi vécu plus que sa part de rejet et de racisme systémique. « C’est plus pernicieux encore que la violence physique. »
EXTRAIT
« J’aimerais revenir au village et parcourir à nouveau ses rues. Sentir l’odeur de ses arbres lorsque j’arrive, ouvrir les fenêtres de la voiture et détacher ma ceinture. L’effet de ce parfum parcourt mon corps chaque fois. C’est comme reconnaître l’odeur de sa mère parmi celles de milliers de femmes.
Mon village, c’est ma mère. Je n’en ai pas d’autres. Revenir à la maison, c’est revenir à mon enfance paisible. Me jeter dans les bras du passé en courant. »
- Natasha Kanapé Fontaine est une poète innue.
- Elle est également artiste en arts visuels et militante pour les droits autochtones et environnementaux.
- Elle a publié de la poésie et divers ouvrages, et l’essai épistolaire Kuei je te salue, coécrit avec Deni Ellis Béchard et paru chez Écosociété.
- Elle a interprété le personnage d’Eyota Standing Bear dans la série télé Unité 9.
- Elle présente des spectacles de musique et de poésie.