Grève dans la construction résidentielle: «Je préfère travailler que perdre des heures!»

Jean-Philippe Guilbault, Anouk Lebel, David Descôteaux, Diane Tremblay et Gabriel Côté
Bien des travailleurs du secteur de la construction résidentielle partout au Québec se sont rendus sur les chantiers mercredi malgré le déclenchement de la grève générale illimitée. Le Journal est allé à leur rencontre, mais la plupart d’entre eux ont requis l’anonymat de crainte de subir des représailles.
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«Je préfère travailler que de perdre des heures!»
Sur l’un des seuls chantiers résidentiels de Lévis encore actifs malgré la grève générale illimitée, le maçon Adam Demers lance sans hésitation qu’il «préfère travailler que de perdre des heures» en allant piqueter.

C’est le coût de la vie qui le motive à demeurer sur le chantier.
«On va peut-être juste gagner 20$ de plus sur notre paie par semaine, lâche celui qui est maçon depuis 3 ans et affilié au Syndicat de la construction du Québec. Si on est en grève pendant deux semaines, ça va me prendre je ne sais pas combien d’années pour me rembourser ça...»
Éviter de refiler la facture aux acheteurs
Une autre maçonne, Jenny Rhéaume, fait valoir qu’une hausse trop élevée des salaires des employés de la construction va se répercuter sur le prix des maisons déjà en forte hausse.

«Avec 55 000$ de plus sur une maison par exemple, je ne sais pas comment les gens vont arriver [à acheter]. Le prix des maisons est déjà très haut», avance-t-elle.
«On n’est pas obligés d’aller chercher le maximum de ce qu’on demande. Ce qui était proposé ça aurait été correct», ajoute-t-elle.
«La roue tourne pareil!»
Sur un autre chantier de la Rive-Sud de Québec, l’opérateur de pelle Jimmy est aussi à l’ouvrage malgré la grève, principalement pour des raisons financières.
«C’est sûr que ça n’aide pas pour les négociations, mais la roue tourne pareil et faut gagner notre pain! lance-t-il. On a aussi des délais de livraison qui ne nous appartiennent pas.»
«Si on avait moins de job ou qu’il n’y avait rien qui nous poussait on serait peut-être plus en grève», ajoute celui qui est affilié à la CSD Construction.
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Pas le choix de travailler!
Deux travailleurs d’un chantier de Sainte-Julie, Robin Sirois et Jim St-Louis, ont répondu à l’appel de leur patron qui ne voulait pas perdre pour 6000$ de béton.

«C’était prévu depuis un mois. Le béton, quand la recette est faite, si on ne coule pas, il faut qu’ils le jettent! Notre boss a voulu dépanner l’entrepreneur qui voulait absolument qu’on le coule», explique Robin Sirois.
Les travailleurs de la construction ont eu la visite des représentants syndicaux, mercredi, qui ont fait une exception et toléré leur présence pour la matinée.
«Je suis obligé d’aller travailler»
Un jeune charpentier croisé sur un chantier à Sainte-Julie, sur la Rive-Sud de Montréal ne voulait pas manquer une journée de travail malgré la grève.
«J’ai beaucoup de problèmes financiers, je suis obligé d’aller travailler», explique Zacharie Desroches, dans le domaine de la construction depuis cinq mois.

Il ne soutient pas la lutte syndicale.
«Si nos salaires sont augmentés, ça va augmenter l’inflation et tout va coûter plus cher», souligne le travailleur.
Il est déçu que son patron ait décidé de ne pas poursuivre le travail au-delà de mercredi pour ne pas s’attirer les foudres des représentants syndicaux, qui leur ont intimé de partir.
«Je me suis trouvé quelque chose en attendant, mais c’est sûr que ça va être moins payant», dit-il.
«Les trois quarts du monde sont absents»
Un carreleur était un des rares travailleurs sur un chantier de condos locatifs dans Lanaudière. «Je te dirais que les trois quarts du monde sont absents. D’habitude c’est plein ici», dit-il.
«Moi je travaille aujourd'hui parce qu’il faut bien nourrir les enfants. Les gens font la grève mais t'as le droit de travailler pareil, et nous on essaie aussi de respecter l'échéancier, c'est quand même un gros projet ici. On essaie d’équilibrer tout ça», dit l’homme dans la trentaine.
«J’aurais pu rester chez nous aussi ou aller piqueter avec les gars, mais je perdrais 200$ par jour et j’ai deux enfants à la garderie. Avec le prix de l’épicerie en plus...»
Iniquité salariale dénoncée
Un travailleur de la construction de la région de Québec, avec qui Le Journal s’est entretenu au premier jour de grève, disait devoir continuer à exercer son métier malgré les circonstances.

«Je n’ai pas vraiment le choix de continuer à travailler, car les entrepreneurs avec qui je fais affaire vont se virer de bord et donner l’ouvrage à quelqu’un qui continue pareil. [...] Malgré ce que le monde dit, on gagne quand même bien notre vie. Le fait que le commercial et l’industriel aient obtenu 22%, on ne peut pas avoir moins. Je suis pour la grève juste à cause de ça. On fait le même travail! Ça n’a aucun sens que ce soit différent entre les groupes. Ils ne travaillent pas plus fort, pas moins fort. Un charpentier, ça reste un charpentier pareil. C’est ça le gros du problème», a-t-il confié en requérant l’anonymat.
«Personne ne va m’empêcher de travailler si je veux»
Sur le site d’un nouvel ensemble résidentiel en construction dans le quartier de Saint-Émile, à Québec, quelques dizaines de travailleurs sont toujours à l’ouvrage malgré la grève.

«Personne ne va m’empêcher de travailler si je veux», confie l’un des plombiers au Journal pendant que l’autre opine d’un signe de tête. «Les grévistes, ils ont mon appui, et c’est vrai qu’il faut un rattrapage salarial dans le résidentiel, mais je ne veux pas rester chez nous.»
«C’est surtout des jeunes qui font la grève. C’est sûrement qu’ils ne veulent pas travailler!» rigole l’autre, qui n’était pas tout à fait sérieux.
«Des gars sont passés ce matin pour nous demander de partir»
Le temps des fiers-à-bras qui viennent vider les chantiers est révolu, selon un briqueteur rencontré quelques maisons plus loin sur le même site.
«Il y a des gars qui sont passés ce matin pour nous demander de partir, ils ont juste fait leur tour puis ils ont reviré de bord. C’était bien correct», explique-t-il.
«De toute façon, on a le droit de travailler, souligne un ouvrier devant une maison voisine. Ce n’est pas parce qu’il y a une grève qu’il n’y aura plus personne sur les chantiers».

De fait, s’il est vrai que les employeurs ne peuvent pas forcer les travailleurs pendant la grève, il n’en demeure pas moins que les représentants syndicaux ne peuvent pas mener de perturbations à l’intérieur du chantier.
«Si quelqu’un vient ici et me demande de partir, je vais le faire. Je vais juste aller ailleurs, ce ne sont pas les contrats qui manquent», lance un installateur de gouttière, en précisant que ce corps de métier n’est pas concerné par la grève.
«Le danger avec la grève, c’est de vider les chantiers résidentiels»
Le front en sueur, un plâtrier profite d’une pause à l’ombre avec deux collègues, devant une maison en construction à Québec.
«Le danger avec la grève, c’est de vider les chantiers résidentiels», prévient-il.
À son avis, les travailleurs iront simplement se trouver un autre emploi dans le secteur commercial s’ils ne peuvent pas vaquer à leurs occupations habituelles. «Il y a une pénurie de main-d’œuvre», rappelle le plâtrier en s’essuyant le visage avec le revers de la main.
«Puis si tout le monde part, qui va les construire les maisons?» ajoute-t-il.
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