Frappes américaines: quel est l'impact réel sur le trafic de drogues en Colombie?

AFP
Les États-Unis ont multiplié depuis début septembre les attaques de navires dans les Caraïbes puis, plus récemment dans le Pacifique, faisant 37 morts au total, avec l’objectif affiché de lutter contre les narcotrafiquants.
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Mais quel est l’impact réel de cette offensive militaire sur les tonnes de drogues qui quittent chaque jour la Colombie ? Aucun, selon des experts et des sources interrogés par l’AFP dans des zones de cultures de feuilles de coca, dans le pays qui produit le plus de cocaïne au monde.

À la frontière avec le Venezuela, en proie à des conflits, ou dans le Canyon de Micay, zone d’intense culture de coca en Colombie, l’économie de la drogue suit son cours à son rythme habituel, selon des habitants.
Les attaques laissent les narcotrafiquants « plutôt indifférents. Ils voient plutôt cela comme un spectacle international (...) qui n’a pas beaucoup d’impact », a déclaré à l’AFP un agriculteur de 45 ans qui a remplacé ses cultures de drogue par du café dans la région de Micay, dans le cadre d’une politique du président colombien de gauche Gustavo Petro.
Très actifs sur TikTok, les influenceurs guérilleros continuent de publier des vidéos vantant la vie des rebelles au milieu des cultures de feuilles de coca, au rythme des « narcocorridos », des chants qui glorifient les barons de la drogue. On n’y trouve aucune mention des États-Unis.
La Colombie produit, mais n’exporte pas de cocaïne
Ce que Trump « est en train de faire dans les Caraïbes n’aura aucun impact sur le trafic de drogue », estime Laura Bonilla, du centre de recherche colombien Pares, spécialisé dans le conflit entre les groupes armés et le gouvernement dans ce pays.

Selon elle, les chaînes logistiques ont changé après la pandémie. Aujourd’hui, les groupes colombiens se spécialisent dans la production de drogue et le contrôle de territoires, et ce sont les cartels internationaux qui achètent et distribuent la drogue généralement via le Pacifique.

La chercheuse ne croit ainsi pas aux affirmations du secrétaire américain à la Défense Pete Hegseth, selon lesquelles l’attaque lancée par Washington le 24 octobre a fait trois morts sur un bateau affilié à la guérilla colombienne de l’Armée de libération nationale (ELN) soupçonné de transporter de la drogue.
« C’est un mensonge total. Cela n’a aucun sens, car l’ELN n’exploite pas de bateaux dans les Caraïbes », ajoute Laura Bonilla.
L’organisation armée a affirmé mercredi qu’elle « n’a ni n’aura aucun navire lié au trafic de drogue ni dans les Caraïbes ni ailleurs ».
Ce sont des cartels mexicains comme Jalisco Nueva Generación et Sinaloa qui sont à la tête du trafic. Washington considère ces derniers comme les principaux responsables du trafic de fentanyl vers son territoire et les a déclarés en février « organisations terroristes étrangères ».
Le Pacifique, pas les Caraïbes
La Colombie bat chaque année son propre record de production de cocaïne. La production de chlorhydrate de cocaïne y a atteint 2,664 tonnes en 2023 selon l’ONU. Mais les Caraïbes ne sont plus la voie privilégiée des grands barons de la drogue.
L’ère des barons de la cocaïne, comme Pablo Escobar, est même révolue et a laissé la place à des trafiquants discrets et difficiles à repérer.
Dans ce nouveau paysage, l’Équateur et le Pérou, avec leur accès au Pacifique, sont les nouveaux pôles logistiques.
Selon le gouvernement équatorien de Daniel Noboa, 70 % de la cocaïne mondiale part des ports de son pays.
Les États-Unis ont frappé un deuxième bateau dans le Pacifique mercredi, faisant cinq morts au total.
Les experts s’accordent à dire que les attaques américaines dans les Caraïbes auraient d’autres objectifs, comme tenter de renverser le président vénézuélien Nicolás Maduro.
Caracas a accusé Washington de prendre prétexte de la lutte contre le trafic de drogue pour tenter de renverser son président.
Les intentions réelles de Trump
Juana Cabezas, de l’ONG pour la paix en Colombie Indepaz, estime que Donald Trump tente d’organiser « une prise de pouvoir » en Amérique du Sud et d’« influencer » l’élection présidentielle de 2026 en Colombie pour affaiblir la gauche dans la région.
Donald Trump a qualifié M. Petro de « baron de la drogue » et de « pire président que la Colombie ait jamais eu ». L’élu de gauche a répondu en annonçant porter plainte pour diffamation devant la justice américaine.
Selon le sénateur républicain Bernie Moreno, Donald Trump envisage d’imposer des sanctions financières à Gustavo Petro, notamment son inscription sur la liste noire de l’OFAC, le Bureau de contrôle des avoirs étrangers sous juridiction américain, un organisme du Trésor américain.
L’administration Trump a révoqué les visas du président colombien et de plusieurs de ses conseillers. Elle a retiré à la Colombie son statut de pays allié dans la lutte contre la drogue, annoncé la fin de son aide de plusieurs millions de dollars et envisagé d’imposer des droits de douane.