Fiasco SAAQclic: l’ex-PDG Nathalie Tremblay a caché au public et aux élus l’explosion des coûts

Nicolas Lachance
L’ex-PDG de la SAAQ a dissimulé des coûts supplémentaires de plusieurs dizaines de millions $ ainsi que l’abandon d’une partie du projet SAAQclic à l’automne 2020. Nathalie Tremblay affirme ne pas avoir eu «le réflexe» de communiquer l’information, invoquant une entente confidentielle.
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«Le coût du projet est passé de 376 millions à 682 millions $, et la part de la SAAQ a dû être supérieure à ce qu’on avait estimé au départ. De plus, l’Alliance va nous livrer moins que ce qui était prévu initialement pour le même montant», a reconnu Mme Tremblay, PDG de la SAAQ de 2012 à décembre 2021.
Comme l’avait révélé Le Journal au printemps dernier, la SAAQ s’est engagée à réinjecter 135 millions $ à la suite d’une médiation avec son fournisseur, l’Alliance SAP-LGS (IBM).
Mme Tremblay a rapidement informé la directrice de cabinet du ministre des Transports, François Bonnardel, de la signature de l’entente.
«J’allais lui annoncer une bonne nouvelle. On avait réglé le différend avec IBM et on était donc en mesure de poursuivre la livraison», a-t-elle mentionné. Elle ne se souvient pas d’avoir eu des questions sur les montants.
Le commissaire Denis Gallant semble en douter. Selon lui, la première question aurait dû être: «Ça s’est réglé à combien?»
Mme Tremblay a également admis que les «napperons» utilisés pour présenter les états financiers et l’avancement du projet aux ministres manquaient de détails. «Je conviens que ce n’est pas clair», a-t-elle dit.
Elle n’a d’ailleurs pas souvenir d’avoir informé précisément les ex-ministres François Bonnardel et Éric Caire de la réduction de la portée du projet. L’ex-PDG affirme toutefois que les cabinets ministériels ont été informés que le contrat se terminerait plus rapidement que prévu.
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Un projet amputé et plus coûteux
À l’époque, un conflit opposait la SAAQ et son fournisseur. Il manquait environ 1,4 million d’heures pour réaliser la portion SAAQclic de la transformation numérique.
L’entente modifiait la portée du projet. Plutôt que de signer un avenant qui aurait révélé l’explosion des coûts, la SAAQ a choisi de puiser directement dans le contrat de 458 millions $ signé avec l’Alliance en 2017 qui comprenait la réalisation complète du projet et son entretien.
Après la médiation, les fonds du contrat ont été exclusivement consacrés à la livraison 2 (SAAQclic).
Le contrat n’est donc plus respecté, a admis l’ex-PDG devant la commission Gallant.
Cette information n’a jamais été transmise aux élus de la Commission de l’administration publique, chargée de la reddition de comptes à l’Assemblée nationale. Les indicateurs transmis étaient au vert, mais ils auraient dû être «jaune pâle», a-t-elle reconnu.
Une fois de plus, elle admet que l’information «aurait pu être plus claire».
Pas «le réflexe»
Mme Tremblay a également affirmé ne pas avoir eu «le réflexe» de publier un avenant pour rendre public l’ajout de centaines de millions $ au projet. Elle a plaidé que l’entente était confidentielle.
Elle avait aussi l’assurance légale qu’elle pouvait puiser dans les sommes prévues pour l’entretien de SAAQclic afin de compléter la réalisation du projet.
«Pour éviter la catastrophe, soit tout arrêter et risquer de se retrouver devant les tribunaux, c’était la meilleure option», a-t-elle dit.
Mme Tremblay refusait de mettre fin au contrat, car cette décision aurait entraîné des pénalités de 80 millions $ et un risque élevé de poursuites avec IBM.
La troisième livraison a été retirée, et l’argent prévu au contrat pour l’entretien est disparu.
L’ex-PDG a soutenu le travail de son équipe, notamment celui de Karl Malenfant.
«Le pied sur la hose»
Inévitablement, à force de puiser dans l’argent prévu pour l’entretien, la SAAQ allait devoir réinjecter des sommes pour compléter le projet.
À l’automne 2021, Karl Malenfant et la vice-présidente aux finances, Francine Lepinay, suggèrent à l’ex-PDG de signer un premier avenant, ce qu’elle a refusé.
«Pour moi, il était hors de question que, tant que cette Alliance ne nous avait pas démontré qu’elle allait nous livrer, à notre satisfaction, un produit de qualité, il était hors de question de lui donner une cenne de plus», a-t-elle déclaré.
Elle mentionne avoir mis son «pied sur la hose» quelques mois avant de prendre sa retraite. Elle ne voulait plus donner d’argent à IBM.
On apprendra en juin 2022 que la SAAQ avait besoin de 222 millions $ pour simplement compléter la livraison 2 (SAAQclic) du projet. Le montant sera scindé en trois versements par le successeur de Mme Tremblay, afin d’éviter les risques médiatiques et politiques.
Un départ précipité
Par ailleurs, Mme Tremblay a fait le point sur son départ à la retraite. Mme Tremblay avait décidé de quitter son poste un an avant la fin de son mandat et le déploiement de son «bébé», SAAQclic. Plusieurs témoins de la commission avaient soulevé son surprenant départ. Émotive, l’ex-PDG a expliqué que la gestion en mode COVID avait été très difficile. Son père avait également reçu un diagnostic de cancer incurable. Mme Tremblay souhaitait effectuer une transition bien avant le déploiement afin de permettre à son successeur de s’approprier le projet.
Explosion des coûts et disparition d’éléments du projet
- En 2017, la SAAQ prévoyait un investissement de 376 millions $ pour la création de CASA/SAAQclic.
- Un contrat de 458 millions $ a été signé avec l’Alliance SAP-LGS pour la réalisation du projet et son entretien jusqu’en 2027.
- Le projet devait comprendre trois livraisons, l’entretien de la solution et la mise en place d’une facture unique pour les permis de conduire et les immatriculations.
- La SAAQ prévoyait injecter 120 millions $ pour la réalisation du projet et 224 millions pour l’entretien, à même ses budgets d’exploitation habituels.
- Selon un document présenté par la Commission, le coût total prévu en 2017 pour la transformation numérique et l’entretien de CASA/SAAQclic s’élevait à 823 millions de dollars.
- Avant la médiation avec l’Alliance, à l’été 2019, ce montant avait grimpé à 973 millions.
- À la suite de la signature de l’entente, un seul montant apparaît dans les livres: 682 millions $.
- Selon le vérificateur général du Québec, le projet coûtera 1,1 milliard $, soit 500 millions $ de plus que prévu.
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