Fausses signatures: Desjardins connaissait la problématique depuis 10 mois
La coopérative a attendu de longs mois avant d’informer les autorités que certains de ses employés avaient imité durant quatre ans la signature d’un commissaire à l’assermentation


Kathryne Lamontagne
Desjardins a attendu dix mois avant d’informer les autorités que des employés de l’institution financière imitaient la signature d’un commissaire à l’assermentation, ce qui pourrait aujourd’hui mettre en péril d’innombrables procès et enquêtes criminels.
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Dans une lettre envoyée à la fin du mois d’avril 2025 et obtenue par notre Bureau d’enquête, Desjardins reconnaît que des employés du bureau de liaison ont remis aux autorités des informations faussement assermentées, à partir de mars 2020.
Cette pratique aurait été corrigée en juin 2024, écrit Marie-Andrée Alain, chef de la conformité pour le Mouvement Desjardins. Si bien qu’à partir du 1er juillet 2024, les déclarations «ont été assermentées de manière conforme», rédige-t-elle.
Or, bien qu’elle ait pris connaissance de l’existence de cette problématique à l’été 2024, Desjardins a attendu à la fin du mois d’avril 2025 avant d’en aviser les autorités concernées.

«C’est scandaleux. Les forces de l’ordre ont été informées presque un an plus tard!» peste un de nos informateurs, qui subit les contrecoups de cette problématique.
Il n’est pas le seul. Des organismes traitant de dossiers de fraude, les corps policiers, les poursuivants provinciaux et fédéraux, le fisc, l’Autorité des marchés financiers, etc., et qui ont obtenu des déclarations assermentées de Desjardins ont aussi reçu cette lettre.
Ils pourraient donc tous être appelés à réviser leurs dossiers pour s’assurer notamment que les documents remis par Desjardins sur une période de plus de quatre ans sont encore admissibles en preuve.
C’est que le sceau d’un commissaire à l’assermentation est requis lorsque les institutions bancaires communiquent des informations aux autorités, pour certifier leur authenticité.
Des «validations»
Notre Bureau d’enquête a révélé l’existence de ces fausses signatures il y a quelques semaines. Dans un échange de messages texte, le porte-parole de Desjardins, Jean-Benoit Turcotti, se disait alors dans l’impossibilité de dire à quel moment la coopérative a réalisé que cette bévue avait été commise.

Aujourd’hui, il reconnaît que la situation a été régularisée en juillet 2024, mais soutient que des «validations complémentaires étaient requises à l’interne» afin de dresser un «portrait clair» de la situation. Cet exercice aurait pris 10 mois, après quoi les parties prenantes ont été notifiées, dit-il.
Rappelons que la Sûreté du Québec a annoncé la semaine dernière qu’elle enquêtait sur cette affaire de fausses signatures.
Pas une première
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Desjardins retiendrait de l’information. Dans la foulée du scandale du vol des profils financiers de tous ses clients, en 2019, la coopérative avait prêté flanc aux critiques des forces policières, qui lui reprochaient d’avoir gardé pour elle des renseignements qui auraient pu faire avancer l’enquête.
En raison de ces délais, notamment, la justice a mis cinq ans à accuser Sébastien Boulanger-Dorval, un ex-employé du siège social de l’institution, situé à Lévis, ainsi que ses complices, en lien avec cette fuite de données.

Ces procédures pourraient être, elles aussi, impactées en raison des fausses signatures chez Desjardins, révélait en début de semaine Radio-Canada.
Avec Félix Séguin.
La pandémie en cause
Desjardins soutient que les déclarations assermentées «non conformes» ont débuté dans la foulée de la pandémie, en mars 2020.
En raison du télétravail, la pratique d’assermentation «papier» a laissé place à une nouvelle technique d’assermentation électronique, explique Marie-Andrée Alain, chef de la conformité pour le Mouvement Desjardins, dans une lettre obtenue par notre Bureau d’enquête.
Mais à partir de ce moment, des employés de l’équipe du bureau de liaison ont fourni des déclarations assermentées, «alors que dans les faits, aucun commissaire à l’assermentation n’était intervenu», reconnaît-elle.
«Ces employés signaient leur propre déclaration et apposaient eux-mêmes le sceau et la signature d’un commissaire à l’assermentation», ajoute-t-elle.
Elle indique que la véracité des informations transmises aux agences d’application de la loi (policiers, poursuivants, fisc, etc.) n’est toutefois pas remise en question.
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