Essai: la bataille du masculin et du féminin

Jacques Lanctôt
J’ai longtemps cru que si le masculin l’emportait sur le féminin dans la pratique de la langue française, c’était par souci d’économie et de simplicité.
En d’autres mots, c’était d’un commun accord et « d’une évidence naturelle » que le masculin l’emporte sur le féminin. Or j’apprends que j’avais tout faux, qu’il s’agirait bien d’un projet politique, entrepris au 18e siècle, alors que même après la Révolution française, le droit de vote n’est réservé qu’aux hommes, les seuls à être considérés comme des citoyens à part entière.
Même Louis-Nicolas Bescherelle, le créateur du petit livre vert que tout le monde connaît, « s’insurgeait contre les formes féminines de noms de métiers [...] par la raison que ces mots n’ont été inventés que pour les hommes qui exercent ces professions ».
À la même époque, un autre de ces illuminés affirmera, lui : « Essayer de dire une femme savante, une grande femme, une femme d’affaires, une femme d’État — autant parler d’un homme de ménage. » D’autres n’hésitent pas à affirmer clairement que le genre masculin est plus noble que le genre féminin. J’ai mon voyage, comme qui dirait. Mais qui prend des décisions concernant l’état de la langue et les formes qu’elle peut engendrer, se demandent les auteurs de la deuxième édition de cette Grammaire pour un français inclusif ? Ce pouvoir n’appartient pas qu’aux institutions comme l’Office québécois de la langue française ou l’Académie française qui s’érigent en autorités langagières, répondent-ils.
Car l’écriture inclusive, défendue ici par les trois auteurs, ne fait pas l’unanimité, loin de là.
Des noms féminisés
L’Académie ne s’est pas fait prier pour lancer un cri d’alarme : « Devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures. »
Au Québec, on connaît d’autres périls qui menacent de mort lente notre langue française. Ainsi en est-il du mot contesté « autrice ». J’avoue que je préfère de loin le mot « auteure » pour des raisons phonétiques. Pourtant le mot spectatrice ne m’indispose pas. Pourquoi ? Il va de soi, affirme-t-on, qu’une femme soit spectatrice, mais pas auteure, une chasse gardée prestigieuse et masculine.
Or, il appert que la chasse au mot autrice a des relents sexistes. Ainsi, au 19e siècle, une femme ne pouvait pas être écrivaine : « Pas plus que la langue française, la raison ne veut qu’une femme soit auteur. Ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l’homme seul », affirmait en 1809 un certain Sylvain Maréchal, pourtant militant reconnu de l’égalité sociale et précurseur de la grève générale.
Ce n’est que le 1er mars 2019, soit il y a à peine quatre ans, que l’Académie française reconnaîtra les formes féminisées des noms de métiers et titres de fonctions.
Au Québec, c’est en 2020 que feront leur entrée les mots auteure et autrice dans le grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Il est normal qu’aujourd’hui on tende vers l’égalité des genres et cela ne se fera pas sans heurt.
Mais il faut reconnaître que notre société a énormément progressé.
Mais encore
Il me semble évident, surtout avec les nombreux exemples apportés par les auteurs, que le masculin n’est pas un genre neutre et que son utilisation peut oblitérer la présence féminine.
Mais affirmer qu’il existe encore des petites filles qui « n’ont jamais lu ou entendu les féminins autrice, avocate, chirurgienne ou politicienne » me semble exagéré. Même constat avec le désir d’inclure des formulations langagières qui tiennent compte des personnes non binaires, comme autaire, iel, professionnèle, dans le but de « contrevenir à la binarité du genre grammatical et de suggérer l’existence d’autres genres dans la sphère sociale ». Jusqu’où cela s’arrêtera-t-il, est-on en droit de se demander ?
Existe-t-il des personnes bipolaires qui se disent non binaires un jour et qui affirment leur genre un autre jour ?
Bref, le débat est loin d’être terminé.