Exclusif: les militants écolos qui ont escaladé le pont Jacques-Cartier étaient minutieusement préparés

Les militants écologistes qui ont escaladé le pont Jacques-Cartier, ce qui a mis en colère des milliers de citoyens, à Montréal, le 22 octobre dernier, sont des activistes professionnels et ce coup d’éclat était réglé au quart de tour.

• À lire aussi: Désobéissance civile: un phénomène sous surveillance

Température, vitesse du vent, heure de lever du soleil, fonds juridique, relations médias, sécurité: rien n’a été laissé au hasard le matin du 22 octobre, a constaté l’équipe de J.E qui a eu un accès exclusif.

Ce jour-là, la vitesse du vent était de 4km/h au sol. Olivier Huard le sait parce qu’il l’avait vérifiée. La météo favorable fait partie des facteurs qui l’ont convaincu de choisir ce moment pour gravir le pont avec son collègue Jacob Pirro.

«C’est la journée où il y avait le moins de vent dans la semaine», explique-t-il.

Les deux grimpeurs, qui sont liés aux groupes militants Dernière Génération et Collectif Antigone, sont formés en escalade industrielle, un cours qui se donne depuis de nombreuses années dans le milieu militant de gauche.

«Ce n’est pas quelque chose qu’on fait du jour au lendemain en se disant: "Bon, ce matin je vais aller faire chier le peuple", lance Jacob Pirro. On prend ça au sérieux et on prend toutes les précautions pour que personne ne soit mis à risque.»

Il ajoute qu’escalader le pont Jacques-Cartier est «étrangement simple».

Un petit groupe d’organisateurs

Les militants qui organisent des actions de désobéissance civile comme celle-ci le font généralement des mois à l’avance et en petit comité.

Écoutez le journaliste d'enquête Félix Séguin au balado de Mario Dumont, tous les jours via la plateforme QUB :

«On y va étape par étape», confie Olivier Huard. Le but est d’abord de ne pas incriminer les personnes qui ne souhaitent pas participer. Le secret est donc gardé par un petit groupe restreint jusqu’à la toute fin.

«Même si on dit que c’est une action conjointe de Dernière Génération et du Collectif Antigone, ce n’est pas tout le monde [dans ces deux groupes] qui le savait», explique-t-il au sujet de l’escalade du pont.

Dans ce cas-ci, ils se sont même assurés d’avoir un «budget légal» pour se défendre en justice après coup. Ils s’étaient procuré des téléphones cellulaires temporaires pour communiquer avec les autorités et avaient prévu l’aide de collègues pour la gestion des médias.

Après plus de six heures, perchés en haut du pont, les deux grimpeurs ont été arrêtés et accusés de méfait et d’entrave au travail des policiers.

Ils ont passé plusieurs jours en prison avant d’être libérés sous conditions. La date de leur procès n’est pas encore connue.

Le fil des événements

L’équipe de l’émission J.E a eu un accès exclusif aux coulisses de ce coup d’éclat du Collectif Antigone et de Dernière Génération. À voir à l’émission J.E vendredi, à 20h, et dimanche, à 22h30, à TVA, en rediffusion samedi et dimanche 13h et 19h, sur LCN.

4h45

Les deux grimpeurs, Jacob Pirro et Olivier Huard, et leurs collaborateurs se rencontrent à 4h45 du matin au parc des Faubourgs, au pied du pont Jacques-Cartier.

Deux éclaireurs à vélo sont d’abord envoyés. Lorsque le feu vert est donné, leurs collègues se mettent en route à leur tour, également à vélo.

---

4h57

Ils atteignent le site à escalader peu avant 5h. Pendant que l’un d’eux bloque la piste cyclable à d’éventuels passants pour éviter tout risque d’accident, les grimpeurs vérifient leur matériel.

Une simple échelle télescopique et une perche leur permettent de franchir la clôture et d’escalader la première structure d’acier du pont, à partir de la piste cyclable.

---

5h06

Dès que Jacob Pirro et Olivier Huard sont dans la structure du pont, l’échelle est rangée, les vélos sont ramassés et leurs collaborateurs quittent les lieux. Un cycliste croisé quelques minutes plus tôt a déjà appelé la police et les sirènes ne tardent pas à se faire entendre au loin.

---

5h18

Une première voiture de la Sûreté du Québec s’arrête. Les deux policiers qui en débarquent parlent avec Michèle Lavoie. Elle est ce que les militants appellent la «liaison-police». Son rôle est d’assurer la communication entre les activistes et les policiers.

Elle leur explique que les grimpeurs sont sécuritaires et professionnels et tente de négocier pour garder au moins une voie de circulation ouverte sur le pont. Impossible, lui dit-on, c’est une question de sécurité.

À deux reprises, l’un des policiers ordonne aux activistes de descendre au moyen du mégaphone de sa voiture. Ceux-ci continuent d’avancer lentement, mais sûrement.

Pour eux, c’est une course contre la montre. S’ils veulent réussir leur coup, ils doivent atteindre le haut de la structure avant l’arrivée du Groupe d’intervention tactique.

---

5h30

Peu avant 5h30, le pont est complètement fermé à la circulation.

---

6h40

La banderole est déroulée à 6h40. On y lit: «Le pétrole nous tue». Olivier Huard et Jacob Pirro se félicitent d’avoir réussi leur coup.

Une pochette de sable qui servait à tenir la banderole en place se détache et tombe au sol. «Je m’en veux. Je ne suis pas content de ça», nous a plus tard confié Olivier Huard lors d’une entrevue, un mois après l’action. «C’est la première fois que ça m’arrive», a-t-il dit. Heureusement, puisque le pont était fermé à ce moment-là, cet incident n’a eu aucune conséquence fâcheuse.

---

9h

Vers 9h, la Sûreté du Québec entre en contact avec les grimpeurs pour négocier leur reddition. Olivier Huard tente de gagner du temps. «Un autre moment média fort, ce serait les émissions du midi. On pensait que ça pourrait être intéressant qu’on puisse faire des entrevues jusque-là», explique-t-il à son interlocuteur.

---

10h15

Jacob Pirro et Olivier Huard sont appréhendés. Le tout se fait pacifiquement et sans résistance. «Vous étiez sécuritaires, en tout cas! Je vous ai regardés travailler...» lance l’un des intervenants aux activistes.

---

12h02

Le pont est rouvert après plus de six heures de fermeture, ce qui pourrait avoir empêché environ 32 000 voitures de passer, selon une estimation de la société des Ponts Jacques Cartier et Champlain.

Leurs revendications

• La création d’une agence nationale de gestion des catastrophes climatiques;
• Que le Canada endosse et respecte le Traité de non-prolifération des combustibles fossiles;
• Le démantèlement du pipeline 9B.