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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Enfants influenceurs québécois: leurs parents comme producteurs

Deux familles québécoises exploitent la popularité de leurs enfants pour vendre des produits sur le web

Arthur pose avec Ronald McDonald, tandis que la famille Ventura transforme sa cuisine en plateau de tournage Disney: deux modèles d’enfants influenceurs qui soulèvent les mêmes questions légales.
Arthur pose avec Ronald McDonald, tandis que la famille Ventura transforme sa cuisine en plateau de tournage Disney: deux modèles d’enfants influenceurs qui soulèvent les mêmes questions légales. PHOTOMONTAGE LE JOURNAL / Photos @arthuro_show et @LaFamilleVentura
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Photo portrait de Julien McEvoy

Julien McEvoy

2025-06-28T04:00:00Z
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Deux familles québécoises misent sur la popularité de leurs enfants sur les réseaux sociaux et les transforment en machines à revenus publicitaires, ce qui soulève bien des questions chez les experts.

• À lire aussi: Faire croire aux millions faciles sur TikTok et Instagram

• À lire aussi: Comment les influenceurs gagnent-ils leur argent?

La famille Ventura accumule plus de 100 millions de visionnements sur YouTube depuis 2015, tandis qu’Arthur Arsenault compte 97 000 abonnés TikTok à seulement 5 ans.

«Ils font exactement ce que la Loi sur la protection du consommateur souhaite éviter», dénonce Nadia Seraiocco, professeure à l’UQAM spécialisée en réseaux sociaux.

«Sous prétexte de présenter des contenus amusants et des défis, dit-elle, on présente des produits de consommation, on incite les jeunes de moins de 13 ans à consommer.»

Le modèle québécois
Arthur maîtrise déjà l'art de l'incarnation: de Tim Hortons à Starbucks en passant par Ashton, chaque costume raconte une histoire publicitaire. Arthur maîtrise déjà l'art de l'incarnation: de Tim Hortons à Starbucks en passant par Ashton, chaque costume raconte une histoire publicitaire. Arthur maîtrise déjà l'art de l'incarnation: de Tim Hortons à Starbucks en passant par Ashton, chaque costume raconte une histoire publicitaire.
Arthur maîtrise déjà l'art de l'incarnation: de Tim Hortons à Starbucks en passant par Ashton, chaque costume raconte une histoire publicitaire. PHOTOMONTAGE LE JOURNAL / Captures d’écran tirées du compte @Arthuro_Show sur Instagram et TikTok

Le petit Arthur, devenu viral après la pub du lait au Bye bye 2024, vendait à ses débuts des bombes à cocktail avec sa voix de gamin: «Voici le bon cocktail! Pour vous, on a un code promo. Famille Arsenault. Ça vous donne 10%.»

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Aujourd'hui, les marques sont nombreuses à s’afficher sur sa chaîne «Arthuro Show», gérée par sa mère, Audrey. La dame refuse de révéler son nom de famille en entrevue.

Son fils est «membre de l’Union des artistes depuis l’âge de 2 ans», dit-elle. Les cachets «sont versés à son nom, dans son compte bancaire», et «Arthur fait ses impôts depuis trois ans déjà».

«C'est exactement comme un enfant qui choisit de pratiquer un sport», soutient-elle, ajoutant qu'«il n'y a aucun enjeu financier» pour sa famille «dans cette aventure».

Les vidéos de la famille Ventura cumulent des millions de vues avec des titres chocs qui attirent les enfants vers du contenu commercial déguisé. Les vidéos de la famille Ventura cumulent des millions de vues avec des titres chocs qui attirent les enfants vers du contenu commercial déguisé. Les vidéos de la famille Ventura cumulent des millions de vues avec des titres chocs qui attirent les enfants vers du contenu commercial déguisé.
Les vidéos de la famille Ventura cumulent des millions de vues avec des titres chocs qui attirent les enfants vers du contenu commercial déguisé. PHOTOMONTAGE LE JOURNAL / Captures d’écran tirées du compte @LaFamilleVentura sur YouTube

Sur YouTube et ailleurs, la famille Ventura offre des défis ludiques à 2,5 millions d’abonnés au total. Colorées, les vidéos sont présentées comme du divertissement familial, mais sont bourrées de logos de Nike, McDonald’s, Disney, Amazon et autres.

On y voit Priscilla Brosseau et Emmanuel Ventura donner une carte de crédit à leurs enfants Ezekiel, Marianna et Madison pendant 24 h, leur offrir 100 cadeaux en une journée, leur faire transformer un trampoline en salle de jeux vidéo ou fabriquer une pièce secrète Barbie.

Les Ventura sont représentés par un agent aux États-Unis, James Harrison. Ni lui ni son agence n’ont répondu à nos multiples demandes.

Protection insuffisante

Le Québec interdit la publicité aux moins de 13 ans depuis 1978, mais cette protection ne s’applique pas clairement aux plateformes numériques, selon des familles d’influenceurs.

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«C’est faux, tranche Pierre Trudel, juriste à l’Université de Montréal. Sauf que la ligne est floue entre le contenu familial et la publicité dirigée vers les enfants.»

« Si on n'a pas le courage d'appliquer la loi en ligne, il faut se poser des questions. »

Pierre Trudel, professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal

- Pierre Trudel, professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal

UdeM

André H. Caron, spécialiste du rôle des médias dans la vie des jeunes, observe que «les enfants ne comprennent pas le concept de publicité» et qu’ils subissent une «immersion dans des messages commerciaux sans supervision parentale».

L’Union des artistes constate un vide juridique, qui laisse les enfants influenceurs sans protections comparables à celles pour les enfants acteurs. «La plus grande différence, c’est le contrat», observe sa présidente, Tania Kontoyanni.

Des solutions émergent

YouTube Canada rappelle que sa plateforme est «pour les 13 ans et plus» et que l’identification des promotions payantes est exigée.

«Il faut une mise à jour sérieuse de la loi», plaide Pierre Trudel. L’Illinois a adopté en 2024 une protection obligeant les parents à verser au minimum 15% des revenus dans un compte bloqué jusqu’à la majorité de l’enfant.

L’OPC confirme que sa loi s’applique au web, mais qu’elle manque de moyens pour surveiller les milliers de comptes familiaux québécois. «Il faudrait vraiment qu’on commence à ajuster les règles», constate André H. Caron.

Quels revenus tirent-ils?

Le petit Arthur et ses codes promotionnels font réfléchir Jacques Eastwood, pionnier du marketing d’influence québécois.

«Ton enfant, il n’a pas consenti à ça. C’est impossible. Il ne peut pas», lance le fondateur de Topic Talents, une agence de créateurs de contenu – tous des adultes –, qui ne traite qu’avec des entreprises du Fortune 500 pour la pub.

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L’entrepreneur, qui est aussi organisateur du ContenFest de Montréal, décortique un phénomène méconnu: la rentabilité des jeunes et des moins jeunes sur les réseaux sociaux.

«En 2024, selon Statista, 578 millions $ ont été dépensés au Canada en brand deals avec les créateurs», assure-t-il, au sujet de ces budgets autrefois destinés à la radio-télé.

Trouver sa niche

Avec leurs 2,5 millions d’abonnés, les Ventura sont en position de toucher leur part de ce gâteau grâce aux logos de Nike, McDonald’s et PlayStation. Mais les abonnés ne font pas foi de tout.

«Je connais des créateurs avec 15 000 followers qui font 200 000$ par année et des influenceurs à un million de followers sans revenus», raconte le patron de Topic Talents.

En 2024, l’UCLA Entertainment Law Review a établi que les vidéos avec enfants de moins de 13 ans reçoivent jusqu’à trois fois plus de vues que les autres.

L’important pour un créateur, souligne Jacques Eastwood, c’est de trouver sa niche. Et les enfants constituent une niche en or: contenu viral garanti, audience captive, parents prêts à dépenser.

Revenus multiples

Les sources de revenus se combinent: placements de produits (Nike, McDonald’s), codes promotionnels, partenariats avec des marques, revenus publicitaires de YouTube.

«On ne peut pas laisser nos enfants regarder YouTube sans surveillance. Ils se font endoctriner, ils adoptent des manières, des cultures, des expressions jamais dites à la maison», reconnaît M. Eastwood, qui est père de cinq enfants.

Ce que dit ou non la loi

  • Loi québécoise: interdit la publicité aux moins de 13 ans depuis 1978, applicable au web, selon les experts;
  • Plateformes: YouTube officiellement réservé aux 13 ans et plus;
  • Zones grises: le contenu familial et la publicité déguisée sont difficiles à départager;
  • Protection ailleurs: l’Illinois exige 15% des revenus en fiducie, la France encadre les enfants influenceurs.
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