En pleine crise du logement, des millions de dollars à un roi d’Airbnb
Dominique Cambron-Goulet et Jean-François Cloutier et Nicolas Brasseur | Bureau d'enquête
En pleine crise du logement, Québec fournira une aide de 30 millions $ à une entreprise controversée de location à court terme qui exploite 389 appartements à Montréal, dont plusieurs sur Airbnb.
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Québec a attribué dans les derniers mois une première tranche de 6 millions $ au géant américain Sonder. Le reste suivra durant les quatre prochaines années.
La firme offre des dizaines de logements sur Airbnb dans le Sud-Ouest, Ville-Marie et le Plateau Mont-Royal, où la crise du logement est prononcée.
« C’est une entreprise qui a causé une perte nette de logements traditionnels et qui accapare le parc locatif », dénonce Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ).
Des logements montréalais sont aussi offerts sur la plateforme de Sonder et notamment sur les sites Booking.com et Hotels.com.
Plusieurs appartements sont situés dans des zones où la location à court terme est aujourd’hui interdite, selon la réglementation municipale, mais où la compagnie bénéficie d’un « droit acquis » ou d’une dérogation.
Jouer sur les mots
L’entreprise et ses partenaires utilisent les termes hôtel, hôtel-appartement ou encore résidence de tourisme, mais dans tous les cas, il s’agit de logements complets.
Par exemple, sur le Plateau Mont-Royal, une ancienne maison d’édition a été convertie en « hôtel » de 54 appartements.
Sonder exploite aussi des logements dans un immeuble de la rue Saint-Denis où devait se trouver une clinique médicale, mais qui sert d’« hôtel » (voir autre texte plus bas).
Dans Ville-Marie, un projet où Sonder est actif, le Penny Lane, a obtenu en 2017 une autorisation spéciale pour lui permettre de louer à court terme 58 logements. Valérie Plante avait exprimé sa dissidence, mais la résolution a été adoptée par l’ex-administration Coderre.
L’entreprise se défend en disant respecter la réglementation.
« Sonder travaille avec ses partenaires dans le domaine de l’immobilier à Montréal, souvent pour rafraîchir des propriétés en besoin de réfection et contribuer à remettre des biens immobiliers, à usage commercial, sur le marché », dit la porte-parole, Fiona Story.

Annoncé en 2020, le prêt de Québec vise entre autres à créer un centre de croissance et 700 emplois à Montréal. La première tranche du prêt n’a toutefois pas encore été prélevée, selon l’entreprise.
Une visite de notre Bureau d’enquête sur le site prévu pour le centre nous a toutefois permis d’apercevoir de nombreux espaces vides. Sonder dit employer plus de 160 personnes à Montréal, mais ne pas encore avoir rouvert ses bureaux à la suite de la pandémie.
Réglementation plus sévère
Le responsable de l’habitation à Montréal, Benoit Dorais, n’a pas voulu commenter au sujet de Sonder, mais il souhaite une réglementation plus sévère.
Le gouvernement du Québec estime de son côté que Sonder « opère dans un cadre légal où le zonage le permet ».
« Les logements offerts par Sonder, au même titre que les hôtels, ne sont pas issus de transformation d’immeubles locatifs en établissements d’hébergement », a indiqué Mathieu St-Amand, attaché de presse du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon.
QU’EST-CE QUE SONDER ?
- Cofondée en 2014 par le Montréalais Francis Davidson
- Davidson sous-louait des appartements sur Airbnb en offrant du vin et un service de valet parking à ses hôtes
- En 2017, Sonder a déménagé son siège social de Montréal à San Francisco
- En 2019, la firme valait plus d’un milliard $ US, selon Forbes
- Cotée au Nasdaq en janvier 2022, l’action a depuis perdu près de 80 % de sa valeur
- Gère 6300 logements dans le monde
- Présente dans 35 villes dans dix pays
COMMENT ÇA MARCHE ?
L’entreprise signe des baux à long terme avec des propriétaires immobiliers.
Elle s’occupe de décorer les logements loués et de les sous-louer sur différentes plateformes, dont Airbnb.
Sonder communique avec les clients presque exclusivement via internet ou par téléphonie mobile.
– Avec Nicolas Brasseur
UN PASSÉ TROUBLE
L’entreprise Sonder s’est déjà retrouvée sur la sellette dans le passé pour ses façons de faire dans la métropole.
En 2017, l’émission La Facture à Radio-Canada avait révélé que Sonder louait illégalement, sans détenir le moindre permis, une centaine de logements dans la métropole. Le PDG de l’entreprise, Francis Davidson, avait alors admis travailler « dans le gris » et ne détenir aucun permis, même si c’était pourtant exigé clairement à l’époque par la loi.
Il s’était vanté d’avoir une des plus grosses firmes de location à court terme dans le monde.
Un reportage du journal Métro il y a trois ans avait de plus révélé que l’entreprise louait encore aussi tard qu’en 2019 un appartement sur Airbnb sans détenir de permis.
Tentative d’éviction
Par ailleurs, en 2019 et 2020, un projet de conversion d’un immeuble s’est retrouvé devant les tribunaux. Des locataires avaient alors affirmé être évincés d’un immeuble de six logements de la Petite-Bourgogne pour faire place à un projet de location à court terme géré par Sonder.
Une juge du Tribunal administratif du logement avait rejeté la demande du propriétaire de l’immeuble, car elle avait estimé que la Ville s’apprêtait à légiférer contre l’usage prévu.
Le jugement a été porté en appel par le propriétaire, mais il s’est par la suite désisté. Le projet avec Sonder n’a jamais vu le jour, selon une des locataires concernées à l’époque, Charlotte Jacob-Maguire. Elle dit toutefois garder un goût amer de cette expérience.