«On pousse nos entrepreneurs du Québec à aller voir aux États-Unis»: elle perd plus de la moitié de ses travailleurs étrangers temporaires
L’entreprise Tremcar avait payé plus d’un demi-million de dollars pour arriver à les faire venir au Québec


Francis Halin
Une semaine après la sortie d’un patron de PME du Bas-Saint-Laurent, Tremcar dénonce à son tour les nouvelles règles d’Ottawa, qui lui coupe la moitié de ses travailleurs étrangers temporaires (TET) et qui la force à regarder du côté des États-Unis pour déménager une partie de ses activités, faute de bras.
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«On pousse nos entrepreneurs du Québec à aller voir aux États-Unis et au Mexique pour rester compétitifs. C’est comme si le gouvernement nous disait qu’il ne voulait pas chez nous», soupire au Journal Mélanie Dufresne, directrice stratégique de Tremcar, en faisant visiter ses installations de Saint-Jean-sur-Richelieu.
«Ce n’est pas normal que l’on doive se battre pour rester chez nous. On est au Québec depuis 1962. On a acheté des entreprises centenaires aux États-Unis et en Ontario, et là, on nous dit que l’on ne pourra pas opérer ici», regrette la haute dirigeante de l'entreprise, qui craint un impact majeur.
Depuis la fin du mois de septembre dernier, le gouvernement Trudeau n'autorise plus d’avoir plus de 10% de TET. Ceux-ci auront également droit à un visa de travail pour un an maximum plutôt que pour deux ans.
Or, pour ajouter une couche, Le Journal rapportait lundi dernier que le ministre fédéral de l’Emploi, Randy Boissonnault, forcera aussi les employeurs québécois à augmenter le salaire médian de leurs travailleurs de 5,49$ pour passer de 27,47 à 32,96$ de l’heure, et ce dès le 8 novembre prochain.
Pour Tremcar, cela représentera des hausses salées de 2$ à 10$ l'heure.
«Ça vient défaire nos conventions collectives. Nous n’avons tout simplement pas les moyens de faire ça. Notre compétitivité va tomber. Nous n’aurons pas le choix de laisser nos travailleurs temporaires partir», se désole Mélanie Dufresne de Tremcar.
Nous allons réduire le nombre de travailleurs étrangers temporaires au Canada.
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) October 23, 2024
Nous instaurons des règles plus strictes qui obligent les entreprises à prouver qu’elles ne peuvent pas embaucher en premier lieu des travailleurs canadiens.
Cela fera mal à l’entreprise familiale fondée par les frères Tougas, Aldé et Léo, sous le nom de A & L Tougas Ltd, deux soudeurs de métier, avec des ventes dépassant les 120M$.
«On va en perdre 27 sur 41 du jour au lendemain. Ça nous a coûté 20 000$ par travailleur pour les recruter», déplore Mélanie Dufresne. «On a une école en soudure depuis 2018. On paye les jeunes Québécois pour étudier et on n’est pas capables de combler nos besoins», ajoute-t-elle.
À côté d’elle, Claude Clouâtre, directeur d’usine, est sans mots. «C’est l’équivalente de 25% de la production. Ce sont des citernes en retard pour les clients. Pour eux, ça aura un impact financier et pour nous aussi», lance-t-il.

«Décision économique»
C’est que, faute de bras, Tremcar, qui est l’un des plus gros manufacturiers de remorques-citernes en Amérique du Nord avec des usines à Saint-Jean-sur-Richelieu, à Saint-Césaire, à London (Ontario), à Strasburg (Ohio) et à Haverhill (Massachusetts), devra bouger vite.
«Ça va nous amener à regarder des opportunités aux États-Unis. On n’aura pas le choix si on veut survivre, c’est une décision économique. Ce n’est pas cela que l’on veut. On a des employés que l’on aime et auxquels on tient», souffle celle qui se démène depuis des années pour attirer les talents dans l’entreprise.
Chez Tremcar, les salaires de 27 de ses ouvriers étrangers spécialisés et soudeurs sont payés entre 22$ et 31,04$ de l’heure. Résultat? C’est juste en dessous du seuil de 32,96$ proposé pour la région de Montréal par Ottawa pour qualifier un salarié comme étant «bien rémunéré».
Avec l’ancienneté, l’établissement, les responsabilités, les bonus, les primes de soir, les conventions collectives et les tâches, ils peuvent gagner jusqu’à 40$ l’heure, plaide l’entreprise en colère contre les nouvelles règles.
«C’est un sentiment de désespoir. On investit chez nous. On agrandit. On automatise. On robotise», énumère Mélanie Dufresne, de Tremcar.
«Il me manque déjà une trentaine d’employés et on m’en enlève 27. C’est sûr que ça fait mal», insiste-t-elle.
Employés nerveux
Entre les citernes, Nicaide Gildas Maharitronja, de Madagascar, arrivé depuis un an, se confie au Journal. Il a perdu le sourire ces derniers jours.

«J’ai pensé que tous mes rêves venaient de s’écouler en un instant», souffle-t-il.
«Je suis déçu. Il y a subitement une règle que le gouvernement veut imposer», poursuit l'assembleur-finisseur et inspecteur.
Plus loin, Onomo Marie Martien, soudeur-assembleur, depuis le 18 septembre dernier, refuse de perdre espoir.

«Tremcar me fait confiance. Je suis de bonnes formations», partage-t-il.
«Je garde espoir», conclut un peu plus loin Karim Hamdi, fraîchement arrivé de Tunisie.

EMPLOYEURS QUI ONT DÉNONCÉ LES NOUVELLES RÈGLES
Lepage Millework, à Rivière-du-Loup (Le Journal)
-Il perdra la moitié de ses 90 TET
Tremcar (Le Journal)
-Elle en perdra 27 sur 41
Fornirama (Le Journal)
-Il en perdra un sur 10
Groupe Meloche (La Presse)
-Ses 105 TET devront avoir un salaire bonifié de 20%
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