Économie québécoise: 10 façons de faire un pied de nez à Trump
Le Journal explore des façons d’adapter notre économie à l’ère des États-Unis de Trump 2.0

David Descôteaux et Gabriel Côté
La menace de tarifs douaniers américains combinée à la faiblesse de notre économie fait peser une incertitude sur l’avenir de nos industries. Plusieurs en appellent à préparer notre économie à l’ère des États-Unis de Trump 2.0, et tout est sur la table.
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Avec un personnage aussi imprévisible que le président américain, il faut travailler sur ce que l’on contrôle. C’est-à-dire notre économie, nos façons de faire et nos propres choix.
La vive incertitude qui règne a eu pour effet de donner un coup de frein aux investissements privés au Québec. Plusieurs entreprises souffrent déjà d’une baisse des commandes de leurs clients américains et ont commencé à faire des mises à pied par dizaines. Le gouvernement est prêt à sortir son chéquier pour renflouer les coffres des entreprises à risque.
Le premier ministre, François Legault, a souligné nos problèmes récurrents de productivité, d’innovation et de diversification des marchés. Les pistes sont nombreuses pour rendre nos entreprises plus compétitives et moins dépendantes du marché américain. Profiter du faible dollar canadien, utiliser notre électricité pour nos entreprises, promouvoir l’achat local, réduire les barrières entre provinces... Le Journal a consulté des experts pour proposer des solutions afin de repenser nos façons de faire.
Ne pas voyager aux États-Unis... et convaincre les Américains de venir ici!

«Il faut attirer davantage d’Américains chez nous!», lance la PDG de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec, Geneviève Cantin. Avec la faiblesse du huard, le Québec constitue une «destination de luxe à prix raisonnable» pour nos voisins du Sud. «Ça nous permettrait de pallier le manque à gagner» qui résulterait d'une baisse des exportations aux États-Unis, note Mme Cantin, en rappelant que le marché américain est déjà «prioritaire» pour notre industrie touristique. «Sur les 4,1 milliards $ de devises étrangères qui sont rentrées au Québec en 2023, 2,1 milliards $ venaient des touristes américains», explique-t-elle. «Alors on leur dit: “You are more than welcome.”»
Se tourner vers l’Europe et le reste du monde

«Ce n’est pas compliqué, si tu as un seul gros client et qu’il te fait un coup bas, tu es dans le trouble», dit le courtier en douane Pierre Dolbec, pour mettre en relief l’importance de réduire notre dépendance au marché américain. Les trois quarts des exportations du Québec prennent la route des États-Unis et bien des entreprises hésitent à se tourner vers l’Europe et l’Asie à cause des prix de transport. «Il faut qu’elles fassent leurs devoirs», lance M. Dolbec. «Ça coûte moins cher d’envoyer un conteneur en France qu’à Calgary ou au Texas. Il s’agit de cibler les bons endroits, les pays avec lesquels on a des ententes, d’évaluer les coûts de transport. Le temps de se faire des contacts, on peut entrer sur un nouveau marché en trois ans. Mais il faut s’y mettre, ça presse!»
Garder notre électricité

Notre importante production d’électricité propre est un avantage indéniable pour le Québec. Plusieurs proposent de s’en servir dans une éventuelle guerre commerciale. D’abord en réservant les rares blocs d’électricité restants aux entreprises d’ici au lieu de les allouer à des géants étrangers, mais aussi en limitant l'exportation de notre électricité aux États-Unis. «Dans le contexte actuel, c’est encore plus frustrant de voir des quantités d’électricité d’Hydro-Québec contractées pour le long terme en faveur d’usines compétitrices aux États-Unis, plutôt que de répondre aux besoins de nos usines», dit Jocelyn B. Allard, de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité.
Favoriser la deuxième transformation

Le Québec devrait-il se tourner vers la fameuse «deuxième transformation» de ses matières premières afin d’être moins dépendant des États-Unis? «Oui, c’est sûr», répond l’économiste Jean-Pierre Aubry. «Mais il va falloir être sélectif et miser sur des produits dont la production ne demande pas énormément de travailleurs, comme on a peu de marge de manœuvre de ce côté», ajoute-t-il aussitôt. Appelé à donner un exemple de secteur où cela serait possible, M. Aubry cite le cas de l’aluminium. «Plutôt que d’exporter seulement des lingots, on pourrait le transformer ici.»
Faire tomber les barrières entre provinces

Si on pouvait enlever toutes les barrières au commerce interprovincial qui existent au pays, le Canada gagnerait entre 110 M$ et 200 M$ en PIB, selon une étude. Quels sont ces obstacles? On entend souvent l’achat d’alcool, mais il existe des centaines de règlements de toutes sortes qui nuisent au commerce. «Par exemple, des ambulanciers formés à l’extérieur du Québec n’ont pas de reconnaissance dans certaines provinces. Même chose pour des travailleurs de la construction ou de la santé», explique Gabriel Giguère, chercheur à l’IEDM. «Le transport par camion est aussi un casse-tête, avec des règles différentes pour le poids ou la grosseur des roues selon la province. Tout cela augmente le coût de faire des affaires pour nos entreprises», dit-il. Le premier ministre, Justin Trudeau, a plaidé vendredi pour un «authentique libre-échange entre les provinces». Mais ce vaste chantier incombera à son successeur.
Continuer la bataille de l’information

«Il faut continuer de mener la bataille de l’information, car le gouvernement de Donald Trump, lui, va continuer sa propagande», lance l’économiste Jean-Pierre Aubry. Pour cet ancien cadre de la Banque du Canada, le plus important est de faire comprendre aux Américains qu’ils seront perdants si une guerre commerciale est déclenchée. «Ce qui va arriver là-bas, c’est que les prix vont monter, et ce sont les consommateurs qui vont payer», rappelle-t-il. «D’ailleurs, cette idée de transférer de chez nous à chez eux beaucoup de production est étrange, car ils ont un taux de chômage d’à peine 4%. Ils n’auraient même pas les bras pour le faire!»
Redoubler sur l’achat local

«Arrêtons d'attendre les crises pour mettre l'achat local au centre de nos vies», dit François Vincent, de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI). Mais si tout le monde est d’accord avec le principe, acheter local est plus compliqué que l’on pense. «Est-ce que c'est mieux d'acheter un sac de chips canadien au Walmart, ou un sac de chips américain chez un détaillant québécois? Si un petit détaillant a de gros stocks de produits américains, alors le boycott va lui nuire.» François Vincent propose une méthode simple: d'abord aller dans un petit commerce local au lieu d’une grande surface, puis essayer de trouver un produit fabriqué au Québec.
Hausser la productivité

La faible productivité du Canada et du Québec fait les manchettes depuis des années. Un rapport de l’Institut du Québec montrait que lorsqu’une entreprise du Danemark, par exemple, produit 2,3 unités par heure, l’entreprise québécoise n’en produit qu’une seule. S’améliorer sur ce plan permettrait de nous enrichir et de rendre nos entreprises plus compétitives. Pourtant, corriger la situation semble laborieux. «Il n'y a pas de recette automatique. Il faut avoir une vision à long terme et planifier des investissements, ça ne se fait pas du jour au lendemain», explique l’économiste Jean-Pierre Aubry. «Le gouvernement peut aider, mais le gros de l'effort doit être fait par les entreprises. C'est leur responsabilité», dit-il.
Contourner les droits de douane?

Les entreprises exportatrices pourraient-elles se «décanadianiser» pour éviter de payer des droits de douane aux États-Unis? «Non, il n’y a rien à faire», lâche Pierre Dolbec. «Si les tarifs se concrétisent, elles vont toutes passer au cash». Pour illustrer son propos, le courtier en douane donne l’exemple de l’industrie automobile. Une voiture assemblée en Ontario, en tout point pareille à celle qui est faite à Detroit, sera frappée de droits de douane au moment de traverser la frontière. «L’entreprise américaine qui opère au Canada est quand même enregistrée au Canada, ça ne change rien», explique-t-il.
Innover, innover, innover

«Avec de bonnes innovations, tu fais des gains de productivité», souligne Jean-Pierre Aubry. Sur ce plan, le Québec essaie de rattraper son retard depuis plusieurs années. Il y a trois ans, seulement 51% des entreprises québécoises avaient réalisé un projet d’innovation dans les deux années précédentes. En 2024, cette proportion est passée à 69%, un signe que les PME comprennent que c’est dans leur intérêt d’innover pour rester compétitives. Le gouvernement peut-il en faire plus pour les aider? «Le moteur, ça doit être l’entreprise privée», estime M. Aubry. «Il y a toujours un danger que le gouvernement investisse à gauche et à droite et qu’il perde de l’argent. La responsabilité de l’État est de soutenir les entreprises, notamment avec de la bonne recherche.»
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