Du blackface au fatshaming: c’est quoi le problème avec les filtres TikTok?


Anne-Sophie Poiré
Après le «chubby filter» la semaine dernière, une nouvelle tendance qui reprend les codes du blackface en modifiant la couleur de la peau des utilisateurs suscite l’indignation sur TikTok. Assisterions-nous à une montée des filtres discriminatoires sur la plateforme?
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«Vous pensez que c’est devenu un métier pour ces gens de créer des filtres problématiques et d’être toujours plus insultants envers les communautés?», demande la créatrice de contenu Sid dans une vidéo publiée sur TikTok.
@siduzl Filtre « si j’étais noir.e » 🧌 #apprendresurtiktok #blacktiktok #blacktiktokcommunity @La Mère Castor 🦫💬 #siduzl #coucoulespetitscastors ♬ original sound - Sid 👩🏾🏫
Dans les derniers jours, des utilisateurs se sont amusés à essayer le nouveau filtre «Si j’étais noir», une sorte de blackface numérique qui utilise l’intelligence artificielle pour foncer la peau et les cheveux d’une personne.
Mais ce filtre jugé «raciste» et «discriminatoire» n’a rien d’amusant, dénoncent de nombreux créateurs qui rappellent que la couleur de peau n’est ni un «déguisement» ni un «filtre».
«Si le blackface de Justin Trudeau n’était pas acceptable, pourquoi un filtre qui rend la peau noire le serait plus?», observe la professeure associée à l'École des médias de l’UQAM, Laurence Grondin-Robillard, dont la thèse de doctorat porte sur la circulation de l’information sur TikTok.
«Ce genre de tendances peut certainement influencer les idées des jeunes», estime la spécialiste des médias socionumériques.
Le filtre a été supprimé de l’application, mais les vidéos en faisant la promotion continuent de se propager.
Des filtres plus dangereux?
La semaine dernière, c’est le filtre «chubby» qui faisait controverse.
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Grâce à la magie de l’intelligence artificielle, encore, des personnes ont pu voir ce à quoi elles ressembleraient si elles prenaient du poids. Des vidéos dans lesquelles elles montrent leur «métamorphose», pour la plupart accompagnées de la chanson Anxiety, cumulent parfois plusieurs milliers de mentions «J’aime».
«Le message est clair: l’idée de prendre du poids est anxiogène et on doit tout faire pour ne pas que ça arrive», commente Laurence Grondin-Robillard.
Presque au même moment que l'alternative «chubby», un filtre «minceur» apparaissait sur la plateforme.
Pendant que certains cherchaient la motivation d’aller au gym en ajoutant des kilogrammes à leur silhouette mince, d’autres ont usé de la médecine contraire en générant des photos d’eux flanquées de la légende suivante: «De quoi j'aurais l'air si j’étais mince .»
Les filtres TikTok seraient-ils de plus en plus discriminatoires?
«On est loin des oreilles de chiens et des museaux de souris qu’on nous a vendus au début. On voit peut-être un relâchement depuis l’élection de Donald Trump dans la mesure où toutes les plateformes assouplissent leurs règles», fait valoir la professeure Grondin-Robillard.
«C’est une possibilité qui semble assez logique, surtout que la situation de TikTok n’est pas aussi précaire qu’elle l’était depuis la suspension de la loi censée interdire l’application aux États-Unis», poursuit-elle.
Les filtres cosmétiques bannis
Si ces tendances n’ont pas leur place sur l’application, elles n'ont toutefois rien de nouveau, selon l’experte.
En 2021, la lanceuse d’alerte Frances Haugen, qui a travaillé pendant des années chez Facebook, dévoilait les conclusions d’une étude interne sur les effets d’Instagram sur la santé mentale des adolescentes.
Après avoir balayé les publications sur le réseau social, une jeune fille sur trois souffrirait des comparaisons avec les autres et perdrait leur estime de soi, jusqu’à développer des troubles alimentaires comme l’anorexie ou la boulimie.
«Le 27 novembre, on annonçait que TikTok allait interdire les filtres beauté pour les mineurs afin de préserver la santé mentale des jeunes», rappelle Laurence Grondin-Robillard.
Cette décision a notamment été motivée par le fait que nombre d’adolescentes ont avoué se trouver «laides» après avoir utilisé des filtres à outrance.