Diabète, maladie du foie gras, obésité, caries dentaires: le fléau du sucre ravage la santé des enfants et inquiète de nombreux spécialistes
Beaucoup de petits Québécois sont malades parce qu’ils en consomment trop

Héloïse Archambault
Diabète, maladie du foie gras, obésité, caries dentaires: la consommation excessive de sucre fait des ravages sur la santé de beaucoup d’enfants québécois qui nécessitent de lourds et coûteux soins de santé, s’inquiètent des médecins.
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Boissons sucrées, biscuits, barres tendres, gâteaux: le sucre sous toutes ses formes est largement consommé par les petits Québécois.
«Plus on en mange, plus notre cerveau en veut, souligne la pédiatre Dre Julie St-Pierre, spécialisée en obésité chez les jeunes. On en mange plus souvent [qu’avant] et plus dans tout.»
- Écoutez la rencontre Huot-Durocher avec Isabelle Huot, docteure en nutrition via QUB :
«Je n’étais pas capable de résister»
Les principaux problèmes de santé liés au sucre chez les enfants sont: l’obésité, le diabète de type 2 et une «épidémie silencieuse» de caries dentaires chez les tout-petits (à lire lundi).
Certains deviennent plus dépendants que d’autres au sucre, une addiction qui peut rendre malade.
«Je n’étais pas capable de résister, c’était juste plus fort que moi d’en prendre», s’est confié Alexandre Lazure-Lagacé, 13 ans, à propos de sa consommation de boissons gazeuses.
Le Journal a aussi rencontré un enfant qui a eu un diagnostic de foie gras à seulement deux ans.
Selon plusieurs spécialistes, les boissons sucrées (jus, boissons gazeuses, cafés ou thés spécialisés), qui contiennent souvent plus de 30 grammes (g) de sucre par portion, sont la principale source de surconsommation chez les jeunes. Dans une journée, la quantité totale de sucre ingérée ne devrait pas dépasser 10 % des calories (voir tableaux plus bas).
«Notre environnement rend ça beaucoup plus accessible, il y en a partout où on se tourne, résume Marie-Claude Paquette, nutritionniste à l’Institut national de santé publique du Québec. Ce n’est pas cher et le sucre est un goût inné chez l’enfant.»
«Il faut vraiment réduire. Je vois en clinique des jeunes qui en prennent un litre par jour [du jus de fruits]», constate la Dre Mélanie Henderson, endocrinologue à l’hôpital Sainte-Justine.
Selon la Dre St-Pierre, le sucre représente un criant problème de santé publique, au même titre que la cigarette par le passé.
Comme la cigarette
«Quand je vois un enfant avec un Coca-Cola ou un thé glacé, ça me choque autant qu’un enfant qui aurait une cigarette dans le bec», compare la spécialiste de l’Hôpital de Montréal pour enfants.
La relation entre le sucre et l’obésité «est claire», écrit la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC.
Fait inquiétant, les nouveaux cas de diabète de type 2 ont augmenté de 60% chez les enfants canadiens entre 2008 et 2019, a montré une étude publiée en 2023. Une maladie qui n’existait presque pas il y a 20 ans.

«C’est vraiment majeur», affirme la Dre Henderson, qui s’inquiète pour l’avenir déjà hypothéqué de ces enfants.
«C’est un fléau en ce moment», ajoute la Dre St-Pierre.
Le principal facteur de risque du diabète de type 2 est l’obésité, qui touche environ 10% des enfants québécois. Deux éléments ressortent pour justifier ce bond de diagnostics: la mauvaise alimentation (dont le sucre) et le mode de vie sédentaire. Des facteurs génétiques entrent aussi en ligne de compte.
Les médecins s’inquiètent d’autant plus que cette maladie à un jeune âge est plus agressive et l’échec du traitement est plus fréquent. À Sainte-Justine, des jeunes de 12 ou 13 ans ont même déjà des maladies associées à leur diabète (yeux, reins, hypertension).
Mieux choisir les gâteries
D’autres problèmes peuvent aussi être liés à une consommation excessive de sucre, comme des troubles de concentration et de mémoire. À plus long terme, des problèmes cardiaques et des cancers sont aussi associés.
Malgré tout, les spécialistes ne croient pas que les parents doivent interdire le sucre à leurs enfants, mais qu'ils doivent mieux doser les gâteries.
«Le but n’est pas d’éliminer à 100% toutes les sortes de sucre dans l’alimentation, mais il faudrait leur redonner une juste place», explique Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon, nutritionniste à l’Association pour la santé publique du Québec.
Le sucre est-il une drogue ?
Le sucre peut créer une dépendance aussi forte que celle aux drogues dures, à l’alcool ou au jeu compulsif, confirme la Dre Julie St-Pierre, pédiatre. Comme pour toutes les drogues, certains individus sont plus à risque que d’autres.
Le sucre envoie un message de plaisir au cerveau et fait monter le niveau de dopamine. Plus le cerveau s’habitue, plus la dose doit être forte pour ressentir le même plaisir. Les enfants sont autant à risque de dépendance au sucre que les adultes.
«Plus on commence jeune, plus il y a une chance de développer cette addiction-là au sucre», ajoute Dre St-Pierre.
Quelle quantité de sucre peut-on manger par jour?
Le sucre ne devrait pas dépasser 10% des besoins énergétiques au quotidien et idéalement 5%. Voici les recommandations à 10 %:
▪ 0-2 ans: 0 g
▪ Jeunes enfants: environ 15 g à 40 g par jour *, soit de 4 à 10 cuillérées à thé
▪ Enfants et adolescents: environ 48 g pour un régime de 2000 calories, soit 12 cuillérées à thé
* La quantité de sucre recommandée varie selon l’apport énergétique quotidien. Plusieurs facteurs l'influencent: l’âge, le sexe et le niveau d’activité. Les chiffres sont à titre indicatif. Avec un apport de 5 %, on diminue les quantités de moitié.
Source : OMS, Fondation Cœur+AVC, Société canadienne de pédiatrie, naître et grandir
Et les collations?
Les sucres contenus dans les fruits, les légumes et le lait ne sont pas nocifs pour la santé. Or, plusieurs parents seraient surpris de voir la quantité de sucre dans certaines des collations préférées de leurs enfants. Voici quelques exemples:
Le jus naturel, c’est bon?
Boire un jus de pomme fait ingérer beaucoup plus de sucre que manger une pomme. Le fruit apporte des nutriments, des fibres et un sentiment de satiété. Le jus ne comble aucun besoin nutritionnel.
La solution: boire de l’eau
Remplacer les boissons sucrées par de l’eau est un élément crucial pour réduire la consommation de sucre puisqu’elle est bonne pour la santé et gratuite, insistent plusieurs experts.

Le sucre sous toutes ses formes :
▪ Sucre naturel: celui qu’on retrouve dans les fruits ou le lait
▪ Sucres ajoutés ou sucres libres: valeur nutritive faible ou nulle (boissons sucrées)
▪ Les types de sucre: Sucre blanc, cassonade, mélasse, miel, sirop d’érable
▪ Autres appellations: Glucose, fructose, dextrose, maltose, sucrose
Source : Fondation cœur + AVC
Pas juste la responsabilité des parents
Réduire la consommation de sucre des enfants passe par une meilleure éducation et plus de règlementations de l’industrie, plaident plusieurs experts.
«Les parents ont certainement une part de responsabilité, mais on ne peut pas tout mettre sur leurs épaules. [...] Le marketing est très agressif, insiste la nutritionniste Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon, de l’Association pour la santé publique du Québec. On a besoin de milieux qui favorisent les saines habitudes.»
Tous les intervenants contactés par Le Journal sont d’accord: le gouvernement doit davantage baliser la vente des produits sucrés et éduquer la population.
«Tant qu’on n’aura pas mis entre les mains du consommateur le pouvoir de choisir dans la connaissance, ça ne changera pas», estime la pédiatre Dre Julie St-Pierre.
Exemple de balises:
▪ Étiquetage moins trompeur sur les produits dits «santé» ou «naturels»
▪ Limiter la quantité de sucre permise dans les produits
▪ Coter les produits selon leur valeur nutritionnelle (vert, jaune, rouge)
D'ailleurs, un nouvel étiquetage fera son apparition sur les produits ultratransformés au Canada dès 2026. Les produits trop gras, trop sucrés ou trop salés devront être munis d’un symbole en forme de loupe sur le devant pour éclairer le consommateur.

Taxer les boissons sucrées?
La taxation des boissons sucrées a aussi eu des effets bénéfiques sur la consommation dans certains pays comme le Mexique. Au Québec, plusieurs experts sont favorables à cette mesure.
«La taxation serait intéressante si les montants colligés étaient remis dans le système de la santé pour la promotion des habitudes de vie», souligne la Dre Mélanie Henderson, endocrinologue à l’Hôpital Sainte-Justine.
Par ailleurs, l’éducation des consommateurs est aussi un élément clé pour leur permettre de faire de bons choix.
«Il y a des gens plus vulnérables que d’autres, souligne Michel Lucas, chercheur au CHU de Québec spécialisé en épidémiologie nutritionnelle. Le consommateur qui n’a pas d’éducation est complètement mêlé là-dedans. [...] Ça devient un problème, une roue infernale.»
«Les grands-parents ont un rôle à jouer, ajoute-t-il. On pense faire du bien en donnant une gâterie, mais ce n’est pas la bonne chose.»
Environ 40% des collations dans les écoles provenant de dons sont bourrées de sucre
Les muffins, jus de fruits ou les fameuses galettes «Pattes d’ours» sont encore bien présentes dans les écoles québécoises: environ 40% des collations offertes aux élèves qui proviennent de dons sont bourrées de sucre, selon une enquête québécoise publiée l’an dernier.
C’est un sondage réalisé par le collectif Vital (anciennement la Coalition Poids) qui a permis d’y voir un peu plus clair dans la variété d’aliments offerts aux élèves dans les écoles primaires, à la lumière d’un sondage réalisé auprès de 273 intervenants du réseau scolaire.
«On avait des parents qui se plaignaient de dons que certaines écoles recevaient et on a voulu savoir ce qui se passe», indique sa directrice générale, Corinne Voyer.
Les aliments reçus sous forme de dons, provenant d’organismes communautaires, d’épiceries ou d’entreprises, ont été ciblés puisqu’il semble y avoir plus de «laxisme» sur ce plan comparé aux aliments achetés directement par les écoles, explique Mme Voyer.
Résultat: les dons d’aliments étaient présents dans 64% des écoles qui ont participé à ce sondage, et parmi les collations offertes gratuitement, environ 40% étaient des produits «ultratransformés riches en sucre» (comme des barres tendres, des desserts, des yogourts sucrés ou du lait au chocolat), ce qui va à l’encontre des orientations en vigueur dans le réseau scolaire.
En plus d’avoir des retombées sur la santé des enfants, le fait que ces collations sucrées soient distribuées à l’école envoie un bien «mauvais message» aux élèves, affirme Mme Voyer.
Par ailleurs, les élèves les plus susceptibles de manger des collations bourrées de sucre sont ceux vivant en milieu défavorisé, où les dons sont les plus fréquents, alors que ce sont souvent eux qui consomment le plus d’aliments peu nutritifs à la maison.
«À mon avis, on nuit à ces élèves, parce qu’on augmente nos écarts de santé», déplore Mme Voyer.
— Daphnée Dion-Viens, Le Journal de Québec