Devrait-on cesser de voyager pour sauver la planète?


Maude Carmel
CHRONIQUE – Enfin! Votre escapade en Italie est arrivée, après des années à en rêver. Toutefois, vous avez les ongles rongés par la culpabilité: êtes-vous une mauvaise personne parce que vous prendrez l’avion pour vous déplacer? Vous n’êtes pas seuls. Ces questionnements, moi aussi je les ai.
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Étant un peu une porte-parole du mode de vie grano-écolo, on s’attend à ce que je coche toutes les cases de la liste des sacrifices qu’il est possible de faire pour réduire son empreinte carbone.
Pourtant, au début du mois de juin, j’ai pris l’avion pour aller visiter la province de Terre-Neuve en famille. C’est juste deux heures d’avion, Terre-Neuve. Mais ça représente quand même une bonne tonne d’équivalent de CO2.

Ça fait des années qu’on en rêve, de ce voyage, et après cinq étés à visiter le Québec et l’est de l’Ontario en voiture, on s’est dit qu’on «méritait» cette aventure et que c’était notre dernière chance de la faire avant que notre progéniture ait l’habileté de nous faire part de ses opinions.
«Mériter un déplacement en avion.» Y a-t-il un barème de sacrifices par décennies à respecter pour avoir le droit de découvrir une autre culture et s'imprégner de nouveaux paysages sans se faire couvrir de honte?
Les dilemmes
Qu’on se le dise: voyager est un privilège et la seule réflexion de prendre l’avion ou non pour éviter les émissions de gaz à effet de serre (GES) est l’apanage d’une minorité d’humains sur cette planète.
Reste que c’est une discussion collective qu’il est important d’avoir, surtout dans cette ère post-pandémique où les citoyens ont soif de sortir de chez eux pour explorer le monde. Voyager n’est pas un besoin essentiel, mais ça permet à un tas de gens de réduire leur stress, d’ouvrir leur esprit, d’échanger et de s’éduquer.

Nous nous trouvons toutefois à une ère d’urgence climatique et, selon les chiffres de 2019, un aller-retour transatlantique peut représenter le cinquième des émissions de CO2 d’un individu par année. Pour faire notre part, on pourrait se promettre de garder les pieds bien ancrés au sol pour le reste de notre vie et de ne voyager qu’en voiture sur le continent!
Le problème, c’est que les road trips en voiture ne sont pas nécessairement plus écologiques. Par exemple, aller sur la Côte-Nord dans une voiture à essence, dépendamment du nombre de personnes dans l’automobile, peut-être plus polluant que s’y rendre en petit avion 50 places, ou même qu’un vol vers l’Europe.
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Visiblement, très difficile de s’évader une fois de temps en temps sans traîner dans sa valise une étiquette de pollueur.
On fait quoi, alors?
Le mieux serait évidemment de ne voyager qu’en bus et en train entre les villes. Malheureusement, le Québec ne jouit pas d’un réseau optimal et il peut être frustrant de passer ses vacances dans le Bas-Saint-Laurent à attendre des autobus qui ne passeront peut-être jamais.
Voyager en vélo peut être une option intéressante, encore faut-il avoir la forme pour le faire, et, surtout, le temps.
Le temps, cette denrée insaisissable.
C’est le manque de temps commandité par nos horaires de ministres qui nous poussent à prendre l’avion pour explorer d’autres contrées pour une semaine ou deux seulement.

Si on pouvait partir assez longtemps pour être rassasiés pour les années à venir, peut-être que les aller-retours seraient moins fréquents!
Je pense en fait que la solution réside dans notre façon de voyager. Non seulement il faut cesser de voir le voyage comme une obligation annuelle, mais il est également temps d’envisager le temps de transport comme faisant partie intégrante des vacances.
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Au-delà du tourisme durable qui nous propose de payer des crédits carbones et d’encourager les communautés locales (ce qui est évidemment important), il peut être intéressant de se familiariser avec le tourisme conscient, celui où on admire chaque montagne sur le chemin de la destination, où on s’intéresse aux villages qui se dressent sur notre route et où on prend le temps de s’imprégner de chaque lieu, si banal puisse-t-il être. Celui où on optimise au maximum chaque kilomètre parcouru.
Dans le fond, pas besoin de se priver complètement d’aventures pour être compatible avec les ressources limitées de la Terre. Il faut simplement commencer à voyager de la même façon qu’on essaie de vivre: plus lentement, plus respectueusement, et surtout plus consciemment.