Des victimes de la thalidomide à bout de patience malgré les promesses d’Ottawa

Guillaume St-Pierre
OTTAWA | Le gouvernement Trudeau continue de faire languir des victimes de la thalidomide impatientes de savoir si elles pourront enfin obtenir une précieuse aide financière qui leur rendrait un peu de dignité, malgré les promesses de faire mieux et plus vite.
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Prisonnière d’un corps difforme depuis sa naissance, Jeanne d’Arc Otis a fourni en juillet 2023 tous les papiers nécessaires au traitement de son dossier par Ottawa.
Neuf mois plus tard, elle attend encore qu’un comité d’experts se penche sur son cas.
«Je commence à me dire qu'ils essayent par tous les moyens de m'oublier», peste la femme de 65 ans.
Pire, lorsque les experts de Santé Canada poseront leurs yeux sur son dossier, ils mettront de six à huit mois avant de rendre leur verdict.
Pourtant, à l’automne 2022, après une série de reportages du Journal, le ministre fédéral de la Santé de l’époque, Jean-Yves Duclos, avait promis de sermonner ses fonctionnaires qu’il jugeait trop lents à réagir.
«Le message est très clair: il faut que ce soit mieux fait et que ce soit fait plus rapidement», avait-il déclaré à la suite de la publication dans nos pages de témoignages de citoyens malmenés par le Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide (PCSST).
Or, encore aujourd’hui, plusieurs demandeurs comme Jeanne d’Arc Otis se sentent largués par Epiq Canada, un service d’actions collectives embauché par Ottawa pour administrer le programme.
Parcours du combattant
Au tournant des années 1960, le Canada s’est retrouvé pris dans un scandale pharmaceutique mondial lorsqu’il autorise la prescription de la thalidomide, un sédatif d’origine allemande qui calme les nausées des femmes enceintes.
Rapidement, on constate des effets dévastateurs sur les bébés qui naissent avec d’importantes malformations.
Pendant des décennies, le Canada a refusé d’indemniser les victimes à la hauteur du drame vécu.
Jeanne d’Arc Otis n’a jamais touché un sou en indemnisation du fédéral, malgré ses nombreuses malformations.
Consciente que son espérance de vie est probablement diminuée à cause de tous ses maux, la résidente de Beauport aimerait profiter des prochaines années pour s’offrir quelques petites douceurs.
Avoir accès au programme d’indemnisation lui «permettrait de retrouver une certaine dignité, un certain goût à la vie», souffle-t-elle en entrevue.
C’est aussi le cas d’une autre victime, Richard Nantais, lui aussi bloqué à l’étape finale de l’étude de son dossier que doit éventuellement évaluer un comité formé de cinq experts.
«On dirait qu'ils font tout ce qu'ils peuvent pour retarder, déplore-t-il. J'ai un rapport qui dit qu’on est certain à 86% que c'est la thalidomide. C'est complètement loufoque.»

Bouchon
Santé Canada admet qu’il peut y avoir des «retards» dans le traitement des demandes en raison de la «complexité de la maladie», selon une porte-parole, Anne Génier.
Les demandeurs sont aussi plus nombreux à se rendre à la dernière étape du comité d’experts, puisque la Cour fédérale a invalidé, en 2022, l’utilisation d’un simple algorithme pour trier les demandeurs, sans même qu’un être humain ne pose un avis médical.
«Ce changement a considérablement augmenté le nombre de demandes en attente d'évaluation à» l’ultime étape, explique Santé Canada.
Or, Ottawa n’a pas cru bon procéder à des embauches ou augmenter ses ressources afin de débloquer le goulot d’étranglement.
«Le nombre d'experts et de spécialistes dans le domaine de l'embryopathie de la thalidomide est très limité, tant au Canada qu'à travers le monde», affirme Mme Génier.
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