Des nouvelles de Claude Valade
Six ans après sa dernière apparition publique
Daniel Daignault
Tout le monde se souvient de la chanson Aide-moi à passer la nuit, qui a été l’énorme succès de la chanteuse Claude Valade. Question de nous remémorer des souvenirs et de savoir ce qu’elle devient, nous l’avons rencontrée en compagnie de son mari, le journaliste René-Pierre Beaudry.
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Elle dira que j’exagère, mais Claude Valade, maintenant âgée de 83 ans, n’a pas changé. Ou si peu. Nous ne nous étions pas vus depuis de nombreuses années, et j’ai retrouvé la même femme à l’esprit vif et à la voix solide que j'ai connue. Devenue une retraitée drôle et heureuse, elle s’est notamment amusée à nous raconter des anecdotes au sujet de sa carrière.
Comme bien des femmes qui ont eu une vie très active, elle trouve la retraite un peu trop tranquille à son goût. «J’ai toujours couru, et là, disons que ma vie est moins active. J’ai eu deux filles, que j’ai élevées toute seule. Et maintenant, c’est comme si plus rien ne se passait. Mais je suis bien. Aujourd'hui, quand je me lève le matin, je me dis que je peux faire ce que je veux de ma journée, mais j’aimerais parfois avoir un rendez-vous pour m’obliger à me préparer et à m’habiller», confie-t-elle.
La dernière fois qu'elle s'est produite en public, c'était le 21 mai 2019, lors du spectacle Le retour de nos idoles, présenté au Centre Vidéotron de Québec. «Quand Mario Lirette m’a présentée, il a dit au public que ce serait la dernière fois que je chanterais, se souvient-elle. L’émotion m’a gagnée. Heureusement, le public m’a aidée à chanter Aide-moi à passer la nuit. La retraite était une grosse décision, mais je voyais que le show-business changeait et je n’avais pas envie que les gens disent que je m’accrochais et qu'ils aient une image de moi vieillissante. Quand on part, il faut laisser une belle image. Mais quand j’ai arrêté, ç'a été très dur. Il a fallu que je fasse mon deuil de mon métier que je pratiquais depuis si longtemps. Depuis, je n’ai plus ouvert la bouche pour chanter.»
L'héritage maternel
Claude Valade était âgée de six ans quand elle a commencé à chanter à Sainte-Agathe, où elle vivait avec ses parents. «Ma mère m’amenait dans des concours amateurs, dans des hôtels. Je chantais, puis elle me ramenait à la maison. Ma mère chantait très bien, elle était aussi musicienne. Elle m’assoyait sur une chaise et elle chantait des chansons que je devais interpréter avec elle.»
Son conjoint, René-Pierre, se joint à la conversation pour mentionner que Claude était une première de classe. Elle a même remporté la dictée provinciale et se dirigeait vers des études en pharmacologie, mais elle gagnait tellement de concours amateurs qu'elle a dû choisir entre les études et la chanson. «Ma mère aimait beaucoup me voir chanter, mais elle était tiraillée, précise la chanteuse. Elle me disait que ce n’était pas un métier. Quand j’ai décidé de m'installer à Montréal, à 16 ans et demi, elle a été très surprise. Elle ne pensait pas que j’allais faire carrière dans ce métier, mais elle a accepté ma décision.» Sa mère est décédée trois mois plus tard, à l’âge de 38 ans. Elle n’a donc pas pu voir sa fille se faire connaître du grand public en 1963 grâce à la chanson Sous une pluie d’étoiles.
C'est peut-être ce qui a forgé son caractère fort, pour lequel elle a toujours été reconnue dans l'industrie. «Les responsabilités me sont tombées dessus quand j’étais jeune. Quand j'ai perdu ma mère, j’ai dû mener ma barque seule. Aujourd’hui, mes deux filles sont âgées de 57 et de 60 ans. Je suis grand-mère de deux petits-fils qui ont 19 et 24 ans.»
Son ami Frank
Au cours de sa carrière, Claude Valade a pu se vanter, entre autres, d’avoir eu l’occasion de chanter en première partie du spectacle de Frank Sinatra. Elle a pris part à une dizaine de spectacles de la tournée d’adieu américaine du célèbre chanteur, entre autres, à Los Angeles, à Las Vegas et à Boston. «C’était énervant un peu», dit-elle avec le sourire.
La rencontre entre Frank et Claude vaut la peine d’être racontée. Elle a eu lieu à l’hôtel Fontainebleau de Miami, alors que la chanteuse venait d’interpréter C’est beau la vie en français. Un membre de l’équipe de celui qui avait été surnommé le Chairman of the Board s’est alors présenté à sa table en lui disant: «Mr. Frank Sinatra is in the house. He would like to speak with you.» (M. Frank Sinatra est là. Il voudrait vous parler.). «Je ne savais pas que Sinatra était dans la salle, confie Claude. J’ai fait sa connaissance, et il m’a dit qu’il n’avait pas compris un mot de ce que j’avais chanté, mais que je lui avais donné la chair de poule! J’étais vraiment flattée. Puis il a ajouté qu’on allait me rappeler. Je n’y croyais pas vraiment, mais la semaine suivante, j’ai reçu un appel de quelqu’un de son entourage, et c’est comme ça que j’ai été invitée à partir en tournée avec Sinatra.» Le chanteur, qui avait vu et entendu quantité de chanteuses au cours de sa vie, avait en somme craqué pour la voix et la beauté de Claude.
Une suggestion gagnante
C'est toutefois la chanson Aide-moi à passer la nuit, version française de la chanson Help Me Make It Through the Night de Kris Kristofferson, qui lui a permis d'atteindre les sommets dans sa carrière. Elle raconte comment elle en est venue à enregistrer cette chanson, qu’elle ne connaissait pas, lors d'un voyage à Boston. Elle avait alors fait la connaissance de Bob Gaudio, un des membres du célèbre groupe The Four Seasons, à qui elle avait demandé de lui écrire une chanson. «Il m’a dit qu’il allait y penser. Puis, après m’avoir entendue répéter pour la première partie de Frank Sinatra, il est venu me voir et m’a dit: “Je viens d’entendre ta voix et je pense que tu devrais faire Help Me Make It Through the Night. Tu as la même voix que Sammi Smith (une chanteuse country qui avait interprété cette chanson en 1971).” Quand je suis revenue à Montréal, le lendemain, je suis entrée en studio pour l’enregistrer en français. C’était une bonne idée et quand même tout un hasard. Mais la chanson avait déjà été faite en français, avec d'autres paroles, par Fernand Gignac et André Sylvain. Je suis arrivée après», précise-t-elle.
Résultat: plus de 418 000 disques vendus - un exploit incroyable! -, et des demandes qui n’en finissaient plus pour présenter des spectacles au Québec. «Claude m’a déjà raconté que les samedis, il lui arrivait de présenter trois spectacles dans trois endroits différents. Elle embarquait dans l’auto avec sa robe longue pour se rendre à l’autre endroit et monter sur scène», raconte René-Pierre Beaudry, qui partage sa vie depuis 1983. Mariés en 1987, Claude et René-Pierre forment un couple qui dure et dont le succès est notamment basé sur le respect. «Nous sommes très différents et nous nous complétons bien. On ne se chicane pas, mais on s’obstine!», dit-elle en riant.
«Ç'a été difficile d’essayer de surpasser le succès d’Aide-moi à passer la nuit, mais j’ai quand même fait cinq ou six albums par la suite. Au cours de ma carrière, j’ai fait 38 longs-jeux. Ma fille Marie-Claude les a tous! Ça en fait des chansons pour une p’tite fille de Sainte-Agathe!» Parmi les titres enregistrés, Viens t’étendre au creux de mes bras (version française de For the Good Times) a connu beaucoup de succès, tout comme plusieurs autres chansons francophones adaptées de tubes anglais.
La conquête avortée
L’un des grands moments de la carrière de Claude a été sa participation à un grand concours au Japon. «J’ai participé au Festival international de la chanson de Tokyo, et c’est la chanson que j’interprétais, On peut mourir d’amour pour un homme de Francis Lai, qui a été la grande gagnante. Je représentais les États-Unis.» Elle a aussi eu l’occasion de chanter trois chansons au Carnegie Hall en ouverture de Frank Sinatra, ce qui demeure un beau moment pour elle. «Mon nom était sur la marquise. C’était quand même quelque chose!»
Outre la chanson, Claude a fait de la radio durant plusieurs années. «J’aimais ça parce que ça me permettait d’être à l’affût de tout ce qui se passait sur la scène culturelle et aussi de mettre la chanteuse de côté, d’aller voir ailleurs.» De plus, elle a fait de la télé au défunt réseau Télé-Cogeco. Elle ne devait y animer que 13 épisodes de l'émission Claude Valade rencontre, et elle a fini par en faire 90!
Claude aurait aussi pu faire carrière aux États-Unis: elle avait une voix superbe, un look accrocheur et chantait parfaitement en anglais, mais il aurait fallu qu’elle aille vivre là-bas, ce qu'elle n'a jamais pu se résoudre à faire. «Mes enfants avaient 6 et 11 ans, il fallait que je fasse un choix. Si je n’avais pas eu d’enfants, j’aurais essayé. Mais à ce moment-là, mes filles passaient en premier. De toute façon, franchement, je n’ai pas de regrets. J’aurais aimé en faire plus, mais je suis très satisfaite de ce que j’ai fait. Surtout, je suis très contente d’avoir eu l’opportunité de le faire, parce qu’il y avait bien d’autres chanteuses qui avaient le même talent, ou même un plus grand talent que le mien, et qui n’ont pas eu cette chance. Alors, je dis merci à la vie!»
