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L'article provient de TVA Nouvelles
Société

Des mâles alphas, vraiment? La science conteste le concept de domination masculine (chez les primates)

L’influenceur masculiniste américain Andrew Tate et un gorille.
L’influenceur masculiniste américain Andrew Tate et un gorille. Photos d'archives et Adobe Stock
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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2025-07-11T14:26:49Z
2025-07-11T16:59:35Z
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Les masculinistes qui s’attribuent un rôle d’alpha devront penser à changer leur argument selon lequel le mâle est biologiquement construit pour dominer. Une nouvelle étude menée auprès de 121 espèces de primates démontre que dans la majorité des cas, le rapport de force est partagé entre les sexes et parfois même inversé.

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«Le concept de ce qui est naturel n’existe pas. Il n’y a pas de composante génétique qui détermine la domination au sein d’un groupe», affirme d’emblée la primatologue et professeure au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, Iulia Bădescu.

En biologie évolutive, il a longtemps été admis que les mâles dominaient les femelles sur le plan social chez la plupart des mammifères.

Et cette théorie plait bien aux partisans du masculinisme qui n’hésitent pas à s’autoproclamer «mâles alphas».

Ceux qui prétendent s’inspirer du monde animal pour prôner une autorité physique, matérielle et sexuelle envers les femmes, rejettent l’égalité des sexes et le 50-50 au profit d’un mode de vie dit «traditionnel» où l’homme commande, protège et pourvoit.

«C’est biologique», clament les adeptes de ce mouvement antiféministe.

Et pourtant, une étude d’envergure parue le 7 juillet dernier dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) témoigne du contraire.

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Une équipe de scientifiques a observé plus de 250 populations provenant de 121 espèces de primates pour comprendre la fréquence et les conditions dans lesquelles le mâle ou la femelle remportait un «affrontement».

Dans près de 70% des cas, les deux sexes ressortent occasionnellement gagnants des conflits.

«On s’aperçoit que la domination masculine n’est pas la norme et que la relation de pouvoir est surtout égalitaire. La nature contient beaucoup de variation, de flexibilité et de diversité», souligne Mme Bădescu.

Biais de connaissances

«Cette idée est le résultat d’observations partielles et de biais dans nos connaissances. Chez les espèces qui ont très bien été étudiées, ce sont majoritairement les mâles qui dominent», résume la primatologue.

Selon la recherche publiée dans PNAS, la domination strictement masculine – les mâles gagnent 90% des conflits – n’est pourtant observée que dans 17% des populations étudiées.

Elle est plus fréquente chez les primates qui vivent en groupe, comme les grands singes, et repose souvent sur la supériorité physique.

Il n’est pas étonnant, donc, que ces espèces soient les favorites des masculinistes.

«Une pratique pour justifier la supériorité masculine consiste à piger des exemples chez les animaux qui semblent correspondre à la thèse qu’on veut défendre, comme les chimpanzés», explique le professeur de science politique et chercheur à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM, Francis Dupuis-Déri.

«Le sexisme et l’antiféminisme ne parlent jamais des bonobos où les femelles choisissent leurs partenaires sexuels», ajoute-t-il.

Et même dans la «supériorité physique», il existe des nuances.

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«Ce n’est pas le chimpanzé le plus macho qui devient l’alpha», assure la professeure Bădescu.

«Ce ne sont pas les plus grands, les plus musclés ou les plus dominants qui ont le plus de succès et qui maintiennent leur rôle le plus longtemps: ce sont les mâles stratégiques dans leurs relations sociales, qui préfèrent s’adonner au toilettage social qu’à la bagarre», fait-elle valoir.

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Les femelles dominent aussi

Mais, il n’y a pas que les mâles qui remportent les conflits. Les confrontations entre les sexes chez les primates, qui sont assez fréquentes selon l’étude, peuvent aussi jouer en faveur des femelles.

La domination strictement féminine concerne 13% des populations étudiées par les chercheurs, principalement dans les sociétés où elles ont un contrôle substantiel sur la reproduction.

«Chez la majorité des lémuriens, l’ovulation survient un ou deux jours par année et toutes les femelles du groupe vont ovuler en même temps. Elles ont ainsi un grand pouvoir», illustre la chercheuse Iulia Bădescu.

«Les mâles n’ont pas de choix de se soumettre puisqu’ils veulent à tout prix s’accoupler», précise-t-elle.

La domination masculine ne serait donc pas si «biologique» que ça, comme le prétendre les partisans du masculinisme, qui tentent de justifier leur idéologie par des thèses en apparence scientifiques, rappelle Francis Dupuis-Déri.

«Si on veut vraiment s’intéresser au monde animal, il faut le faire sérieusement et on découvre alors une grande diversité de réalités animales, parfois même chez une même espèce», dit-il.

«Malheureusement, les masculinistes ne s’intéressent ni à la science ni à la vérité anthropologique et historique.»

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