Dépenses à la FTQ-Construction: des camions à près de 80 000$ pour plusieurs dirigeants
La caisse syndicale a servi à acheter au moins 13 camionnettes

Sarah-Maude Lefebvre et Jean-Louis Fortin
Des dirigeants de la FTQ-Construction s’offrent des camions flambant neufs valant près de 80 000$, à même les cotisations des travailleurs. Une pratique inusitée dans le milieu syndical, a constaté notre Bureau d’enquête.

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Depuis 2021, la caisse syndicale a servi à acheter au moins 13 camions destinés aux employés rattachés au siège social de l’organisation syndicale. Ces employés exercent des activités syndicales à temps plein, et non pas du travail sur les chantiers.
Certains de ces camions comportent des options coûteuses, notamment celui du directeur général du syndicat, Éric Boisjoly.
Le prix d'achat de 76 789,55$ de son Ram 1500 comprend 14 000$ en options dont un «capot sport haute performance», des essuie-glaces sensibles à la pluie et un démarreur à distance.

Selon nos informations, ces véhicules sont aussi utilisés pour les déplacements personnels des dirigeants de la FTQ-Construction.
Unique à la FTQ-Construction
Nous avons posé la question à tous les syndicats de la construction et avons constaté que l’achat de camions valant près de 80 000$ pour des dirigeants est loin d’être une pratique répandue:
- À la CSD Construction, aucun véhicule n’est acheté pour les membres de la direction. Seul le kilométrage parcouru est remboursé.
- À la CSN-Construction, on nous indique qu’«aucun achat de véhicule n’a été effectué [au syndicat], et ce, depuis toujours». Deux véhicules loués sont mis à la disposition de deux employés qui doivent effectuer des déplacements fréquents. Les autres employés utilisent leur véhicule personnel et reçoivent une indemnité en fonction du kilométrage parcouru.
- À l’Inter, quatre petits véhicules de moins de 50 000$ sont fournis aux employés qui se déplacent beaucoup. Ces derniers doivent remplir des rapports d’activités et de kilométrages tous les mois.
- Le Syndicat québécois de la construction n’a pas voulu répondre à nos questions.
Deux camions en deux ans pour Éric Boisjoly
Certains des véhicules achetés par la FTQ-Construction ne sont pas utilisés très longtemps. Par exemple, Éric Boisjoly a obtenu, en janvier 2024, un Ram 1500 pour remplacer le modèle 2022 que lui fournissait déjà son organisation.
Quatre autres achats de camions de la FTQ-Construction en 2024 ont aussi été faits en retour d’un véhicule d’échange, soit des Ram 1500 de 2021 ou 2022.

Le professeur en organisation et ressources humaines à l’UQAM Michel Séguin, spécialisé en gouvernance et éthique, questionne la nécessité de telles dépenses.
«Le camion neuf, est-ce qu’on a besoin de ça? Est-ce que c’est nécessaire de donner cet avantage-là à cette personne-là? Ça n'a pas de lien avec la capacité d’effectuer son travail efficacement», dit-il.
«Les dirigeants de la FTQ-Construction sont les fiduciaires de quelque chose qui appartient aux travailleurs. Ils sont imputables de faire la démonstration que ce qu’ils font et dépensent est dans l’intérêt des travailleurs», affirme M. Séguin.
Une «bonne pratique»
La FTQ-Construction n’a pas souhaité nous accorder d’entrevue afin d’expliquer pourquoi ses employés avaient besoin de camions à 80 000$ et pourquoi ses politiques diffèrent autant de celles d’autres syndicats.
Elle nous a cependant envoyé une déclaration écrite dans laquelle elle explique que ses directeurs, représentants régionaux et agents de promotion «disposent d’un véhicule de fonction».
«Il s’agit d’une bonne pratique lorsque le personnel doit couvrir souvent de longues distances, puisque les frais encourus sont prévisibles et contrôlés par l’employeur», soutient l’organisation, qui a aussi envoyé une mise en demeure au Journal.
L’utilisation personnelle des véhicules, incluant le déplacement entre la maison et le lieu de travail, constitue un avantage imposable, fait remarquer le syndicat.
Les véhicules achetés pour les dirigeants de la FTQ-Construction en 2024
- Directeur général, Éric Boisjoly: Ram 1500 2023 Crew Cab 4X4 Sport SWB «gris acier». Prix de vente: 76 789,55$
- Directeur adjoint, Stéphane Payette: Ram 1500 2023 Crew Cab 4X4 Sport SWB «blanc éclatant». Prix de vente: 77 618,50$
- Responsable de la coordination en santé et sécurité du travail, Simon Lévesque: Ram 1500 2023 Crew Cab 4X «blanc éclatant». Prix de vente: 78 293$
- Responsable à la formation syndicale et coordonnateur, Raphaël Lavoie: Ram 1500 2023 Crew Cab 4X «crystal granit». Prix de vente: 78 738$
*Les montants ci-haut représentent la valeur des véhicules achetés par la FTQ-Construction. Le syndicat a pu déduire certains montants des factures, notamment en raison du retour de camions 2021 et 2022 en échange.
Vin, bière et cocktails
Au cours des dernières semaines, notre Bureau d’enquête a également questionné la FTQ-Construction sur les dépenses suivantes :
- L’achat de trois pichets de bière par le directeur général, Éric Boisjoly, pour deux de ses collègues et lui-même, lors d’une soirée à La Cage aux sports, le 11 juillet 2024, soit l’équivalent d’entre cinq et six verres par individu.
- Une facture de 405,99$ pour un souper pour trois au Beffroi Steakhouse, à Québec, incluant deux bouteilles de vin rouge, soumise par le responsable de la santé et sécurité Simon Lévesque.
- Un repas avec bières et cocktails à 400$ pris un dimanche soir, le 12 août 2024, dans un restaurant Bâton Rouge de Terrebonne. M. Boisjoly le justifie par le fait que quatre collègues et lui avaient participé quelques heures plus tôt au Défilé de la Fierté... à Montréal.
Ces dépenses «ont toutes été engagées dans le cadre d’activités professionnelles», s’est limitée à commenter la FTQ-Construction.
Des dépenses qui font réagir
Au cours des dernières semaines, notre Bureau d’enquête a révélé une série de dépenses faites par des dirigeants de la FTQ-Construction avec l’argent des cotisations syndicales.
«Réunion d’équipe» à 4500$ avec des verres de scotch à 55$ chacun, achat de bouteilles de spiritueux pour les vacances, steak à 88$... Sans compter un dîner pour deux personnes qui a duré tout l’après-midi et lors duquel l’équivalent de 16 consommations d’alcool a été commandé.
Des révélations qui avaient fait réagir le ministre du Travail Jean Boulet. «Ce qui se passe actuellement ébranle mon lien de confiance [envers la FTQ-Construction]», a-t-il déclaré à la fin janvier, se disant «choqué et profondément outré».
Après nos reportages, la FTQ-Construction a indiqué qu’elle s’était engagée, récemment, dans un processus pour «réviser l’ensemble de sa gouvernance et ses politiques de gestion».