Deano Clavet révèle les préjugés qu’il a dû combattre pour devenir acteur
Alicia Bélanger-Bolduc
Deano Clavet s'est fait connaître des Québécois par ses victoires en boxe, mais son rêve d'enfance a toujours été de devenir acteur. Derrière son image de combattant coriace ou son évocation du parrain à la Marlon Brando se cache un homme dévoué à sa famille, passionné d'arts et de ce sport qui lui a offert une carrière enrichissante. Il revient aujourd'hui sur grand écran dans le film Négligence.
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Tu fais ton retour sur grand écran avec le film Négligence. Qu'est-ce qui t'a motivé à participer à ce projet?
Je vais incarner un ancien boxeur retraité, un personnage positif. C'est rafraîchissant d'avoir ce type de rôle, puisque j'interprète habituellement des méchants! Ma rencontre avec le réalisateur Leonardo Fuica remonte à plusieurs années, lorsque je l'ai entraîné pour des séquences de boxe dans la série Lance et compte. Il m'a recontacté bien plus tard pour m'offrir un petit rôle dans l'un de ses courts métrages. Notre collaboration s'étant bien déroulée, il a souhaité m'intégrer à son nouveau projet, Négligence. Malgré son budget modeste, j'ai été vraiment impressionné par la qualité de la production. La bande sonore et la photographie sont magnifiques. Le film illustre parfaitement une problématique sociale importante, celle de ces nombreux enfants livrés à eux-mêmes, délaissés. Le tournage représentait un beau défi, car nous avons filmé simultanément en français et en anglais. J'ai vraiment hâte que le public découvre ce film et partage ses impressions.
Est-ce un sujet qui est venu te chercher plus particulièrement?
En tant que boxeur, j’ai eu accès à toutes sortes de personnes, autant dans les studios de boxe qu’en parallèle. On m’a souvent invité à visiter les prisons, j’ai fait des conférences, je suis allé dans les écoles pour motiver les jeunes. J’ai fait 56 métiers et j’ai longtemps été au service à la clientèle chez VIA Rail. Plusieurs voyageurs ne prennent pas le train par plaisir: faillite, divorce, maladie, des gens démunis. J’ai appris tôt à ne juger personne, mais tout simplement à les accueillir comme ils sont. Je carbure à la présence humaine et ce qui m’intéresse en tant que comédien, c’est de comprendre pourquoi certaines personnes réagissent de différentes façons. En tant que comédien, je m’inspire de chaque personne qui croise ma route. Malheureusement, de la négligence, j’en ai côtoyé beaucoup dans ma vie, donc c’est certain que je n’y suis pas insensible.
En incarnant un ex-boxeur à la retraite, ce qui reflète assez bien ta propre expérience, comment as-tu abordé ce rôle pour t'éloigner de ton vécu personnel?
J’ai pu côtoyer beaucoup d’enfants qui n’ont pas eu la vie facile, donc je suis parti d’eux. Les yeux sont le miroir de l’âme, et je peux voir quand ils ne sont pas aimés, qu'ils sont incompris. J'ai cette capacité à les comprendre, à les analyser, à les respecter et à leur offrir une chance, quelle que soit leur situation. Moi-même, je n'ai pas toujours été irréprochable. Mes parents étaient bons et attentionnés, mais j'ai commis certaines erreurs. Cette familiarité m'a permis de me projeter dans le personnage de l'enfant du film. Comment aurais-je réagi si j'avais été négligé? Je me suis inspiré des relations d'aide que j'ai développées avec plusieurs jeunes.
Tu as joué dans des séries dernièrement, comme Société distincte et Double jeu. Vois-tu ce film comme ton retour au cinéma?
Ces relations professionnelles se construisent progressivement, mais rien n'est jamais acquis dans ce métier. J'ai commencé dans les séries il y a 30 ans. Pendant sept mois, j'ai travaillé chaque semaine. J'étais fier de montrer aux autres que j'étais enfin devenu comédien, mais j'ai rapidement compris que cette carrière ne pouvait pas toujours offrir une telle stabilité. À force de croire en ses rêves, on finit par les concrétiser. J'ai voulu devenir acteur dès l'âge de 13 ans et j'ai travaillé dur, jusqu'à ce que ça marche. C'est en rentrant chez moi que j'ai aperçu ma mère émue aux larmes devant la télévision, et je me suis dit que je voulais devenir comédien pour toucher les mamans jusque dans leur foyer! Beaucoup m'ont jugé et mal compris, mais j'ai persévéré pour réaliser mon rêve.

Il convient de rappeler aux gens que vous êtes devenu boxeur professionnel dans le but de poursuivre une carrière d'acteur! Ce parcours sort clairement des sentiers battus.
À l'école, j'adorais l'art et le théâtre, mais on n'étudiait que les grands classiques qui, à mon âge, ne m'intéressaient pas du tout. À 19 ans, j'ai commencé à travailler pour le CN et je suis tombé sur le journal de l'ancien boxeur Jean-Paul Belmondo, devenu acteur. Si j'avais vu qu'il avait pratiqué la claquette pour devenir comédien, j'aurais fait pareil, il n’y avait pas de logique. Je me disais que c'était comme ça qu'on se démarquait. J'ignorais l'existence de l'École nationale de théâtre, sinon je m'y serais inscrit immédiatement. J'ai eu de la chance: étant un bon boxeur, j'ai vite progressé, ce qui m'a permis de me faire connaître et de donner de bonnes entrevues, où mon aisance devant les caméras a été remarquée.
As-tu parfois ressenti un jugement lorsque tu es passé de la boxe à l'art?
J'utilisais ma notoriété pour obtenir des auditions. Un jour, Georges Dor, avec qui j'avais développé une bonne relation, m'a proposé la série L’âme sœur, tout en m'avouant que l'équipe était réticente à l'idée de collaborer avec moi. Ils avaient entendu dire que les boxeurs causaient souvent des problèmes et craignaient que j'aie un caractère explosif et que je m'emporte facilement. Certains préjugés m'ont parfois désavantagé, mais en contrepartie, mon nom était reconnu. J'ai choisi de me concentrer sur l'aspect positif de cette situation.

As-tu déjà regretté d'avoir suivi ce parcours atypique?
Je ne regrette rien. Bien sûr, si c'était à refaire, j'irais approfondir mes connaissances théâtrales, explorer les grands classiques et découvrir le théâtre dans son essence. J'aurais peut-être aussi emprunté un chemin complètement différent. La géographie et l'histoire me passionnent beaucoup. Sans l'influence de ma mère, qui a partagé avec moi ce qu'elle ressentait en regardant la télévision, je ne serais probablement pas dans ce milieu aujourd'hui. Cependant, j'avais besoin de cette dimension enivrante qu'offre le jeu d'acteur. Mon père a travaillé toute sa vie comme mécanicien, mais il a rarement été félicité. Je ne me considère pas comme supérieur à lui ou à la personne qui asphalte la rue, j'exerce simplement un métier qui offre une grande reconnaissance sociale.
Quelle place prend la boxe dans ta vie, maintenant?
Je dirais que c'est plutôt 50-50, car ma carrière d'acteur fluctue, mais c'est ce sur quoi je me concentre davantage maintenant. J'enseigne la boxe récréative dans trois gymnases différents, principalement aux femmes et aux enfants. Nous nous concentrons surtout sur l'autodéfense. Mes filles de 22 et 26 ans s'entraînent toujours avec moi. Elles ne participeront pas à des combats, mais ça me rassure de savoir qu'elles possèdent les outils nécessaires en cas de besoin. Les personnes fortes respectent celles qui le sont aussi. J'adore voir la transformation des enfants, qui arrivent souvent avec peu de confiance en eux, le dos courbé et le regard baissé. Après quelques séances, ils se tiennent droits et sourient. C'est ce que j'apprécie dans ce sport. On peut l'associer à la violence, mais c'est bien plus profond. J'ai beaucoup étudié la boxe, l'anatomie du corps et l'intelligence de cette discipline. C'est un sport olympique qui offre davantage que ce qu'on perçoit initialement, où les règles et le cadre sont essentiels.

On t’a connu aussi pour ta ressemblance indéniable avec le parrain, joué par Marlon Brando. As-tu encore des projets en lien avec ce personnage?
J'ai un spectacle intitulé De l'arène à la scène, que j'ai développé et commencé à présenter. Je souhaite le diffuser davantage, mais je dois trouver les bons contacts. Le spectacle est structuré en actes, comparables à des rounds. Durant les 20 premières minutes, je partage mes anecdotes de boxe, puis j'évoque mon parcours d'acteur, suivi d'un numéro musical personnalisé. Peu de gens savent que j'ai enregistré un album. Mon personnage de parrain est apprécié et reconnu, j'ai même participé à America's Got Talent, où j'ai reçu un bel accueil. Je dois néanmoins surveiller mes publications sur les réseaux sociaux, car certaines personnes prennent mon personnage trop au sérieux. J'ai même reçu des menaces d'Italiens mécontents de mon interprétation! En résumé, je crois profondément en ce personnage et en mon projet.
En terminant, comment vont tes deux filles et ta conjointe, Chantale?
Mes deux filles se portent à merveille. Elles ont désormais 26 et 22 ans. J’ai une très belle relation avec elles, j'ai même leurs noms tatoués sur mon bras! Cela fait maintenant deux décennies que je partage ma vie avec mon amoureuse, et elles l'ont acceptée comme leur propre mère. Lors du décès de sa mère, mes filles ont fait le déplacement depuis Mirabel pour lui apporter leur soutien. Elles partagent toutes une grande passion pour les animaux. Mon amoureuse travaille comme zoothérapeute, tandis que Lily Jade pratique l'équinothérapie aux côtés de sa mère. Sophia est en période de reconversion et aime beaucoup l'univers des réseaux sociaux. Comme mes parents, je les encourage à suivre leurs aspirations, pourvu qu'elles y trouvent leur bonheur.