De plus en plus de jeunes ouvertement homophobes et transphobes à l’école: «C’est épeurant»

Anne-Sophie Poiré
Des professeurs et des organismes LGBTQ+ observent dans la dernière année une montée sans précédent des incidents homophobes et transphobes en milieu scolaire, si bien que certains craignent pour leur sécurité et celle des élèves.
Un élève vandalise du matériel destiné à souligner le mois de la Fierté. Pour justifier ses actions, il affirme que ce ne sont pas les valeurs qu’il a apprises à la maison et qu’il pense que l’école veut le rendre gai.
Des adultes utilisent des insultes comme «fif» ou «tapette» dans la salle des professeurs.
Des jeunes se disent ouvertement homophobes devant toute la classe, sans gêne, alors que ça ne se voyait pas il y a quelques années à peine.
«C’est surprenant et épeurant», confie une enseignante d’une école secondaire privée de Montréal qui a été témoin de ces événements dans la dernière année. Elle a demandé de garder l’anonymat.
«Du jamais vu»
Un peu partout sur le terrain, le discours est le même.
«C’est du jamais vu en 27 ans d’existence. C’est le premier recul des droits LGBTQ+ que l’on constate», affirme Dominic Théberge, directeur général de l’organisme Le JAG, en Montérégie, qui offre des ateliers en milieu scolaire depuis 1997.
La hausse des incidents aurait commencé vers le 2 avril dernier, dit-il, à la suite de la manifestation visant à perturber l’heure du conte avec la drag queen Barbada, devant la bibliothèque de la ville de Sainte-Catherine.
- Écoutez l'entrevue avec Marie Houzeau, directrice générale de GRIS-Montréal à l’émission de Benoit Dutrizac via QUB :
C’est aussi ce que remarque le directeur général d'Interligne, Pascal Vaillancourt.
«Depuis un an, on sent un certain ressac au niveau de l’homophobie, mais surtout de la transphobie. Pendant les formations dans les écoles, des jeunes ont ouvertement des propos haineux. Certains demandent même à être libérés de ces ateliers. Et c’est déjà arrivé que l’école accepte pour des raisons religieuses ou parentales.»

La montée des incidents envers les communautés LGBTQ+ dans les écoles n’est pas étrangère à celle des courants de droite aux États-Unis et au Canada.
Mais de récentes décisions gouvernementales encourageraient également ce genre de discours, selon M. Vaillancourt.
Il cite la fermeture du gouvernement Legault au projet de toilettes mixtes dans les écoles à l’automne dernier, la mise sur pied du Comité de sages en décembre ou le report à 2025 de toute décision relative à l’utilisation du marqueur de sexe «X» pour les personnes trans et non binaires sur les permis de conduire.
Une haine décomplexée
Les propos homophobes et transphobes appartiennent à une faible minorité de personnes, assurent les organismes. Mais les intimidateurs, préviennent-ils, sont de plus en plus bruyants, autant dans les classes que sur les réseaux sociaux.
«C’est passé de quelques petites voix à un discours décomplexé, fait valoir Dominic Théberge. Ce n’est pas juste un ou deux étudiants. Ils sont cinq, 10 et on le voit aussi dans le corps enseignant. On ne peut plus dire que ces propos sont marginaux.»
Dans les écoles, les syndicats rapportent également que les réactions violentes face à la visibilité des enjeux LBGTQ+ se multiplient.
«On le voit à tous âges, de la petite-enfance à l’éducation supérieure. C’est fou! On se permet non seulement de passer ces commentaires-là, mais on s’en dédouane. Il n’y a plus de filtre. Le vivre-ensemble est mis à mal», souligne la deuxième vice-présidente à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Anne Dionne.
L’enseignante trans de mathématiques au secondaire Élyse Bourbeau constate bel et bien une hausse de la haine homophobe et transphobe sur les réseaux sociaux, mais jamais elle n’a entendu pareil discours dans sa classe.
«Je suis pourtant une femme lesbienne», affirme la membre fondatrice du comité Diversité-Identité LGBTA de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal où elle est maintenant vice-présidente.
Elle n’a toutefois jamais arrêté de parler d’inclusion et de dénoncer l’homophobie ou la transphobie, dit-elle.
«Je faisais beaucoup de sensibilisation à ce sujet, parce que c’est ma réalité. Il faut que les gens soient gênés d’entretenir ces idées et propos.»
La peur monte
Les groupes LGBTQ+ craignent une escalade de la violence dans les écoles, comme aux États-Unis. La semaine dernière, une personne non binaire de 16 ans est décédée à la suite d'une agression survenue au début du mois dans les toilettes de son école en Oklahoma, après avoir enduré un an d’abus en raison de son identité de genre.
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«Ce n’est pas quelque chose de très encourageant», déplore la directrice générale du Groupe de Recherche et d'Intervention Sociale (GRIS)-Montréal, Marie Houzeau.
«Ça fait bientôt 25 ans que je travaille sur ces questions-là. On entendait ces commentaires dans les classes au début des années 2000. Le discours des jeunes s’est ouvert, on arrivait à avoir des conversations, mais on sent un recul dans les dernières années. On se demande où ça va arrêter.»
Depuis, le téléphone ne cesse de sonner dans les organismes.
Les intervenants sont appelés à faire plus de formation dans les établissements scolaires, même si certains y sont aussi victimes d’intimidation.
«Je n’ai jamais eu une année avec autant de billets de médecin et d’arrêts de travail. Nos intervenants craignent d’aller seuls aux toilettes et de se faire tabasser», dénonce Dominic Théberge du JAG.
«On a déjà eu besoin d’une intervention policière pour les accompagner à la sortie de l’école en raison de menaces. On a caché toutes nos adresses sur le registraire des entreprises depuis. On ne pensait jamais que ça allait arriver», avoue-t-il.
Si vous avez besoin d'aide
Interligne
- www.interligne.co
- 1 888-505-1010
REZO
- www.rezosante.org/ta-sexualite/consommation/
- 514 377-2293
Jeunesse, J’écoute
- www.jeunessejecoute.ca
- 1 800 668-6868
Tel-jeunes
- www.teljeunes.com
- 1 800 263-2266