De nouveaux traversiers espérés pour la traverse Québec-Lévis
La traverse Québec-Lévis, dont les navires arrivent en fin de vie, navigue en eaux troubles depuis des années


Marc-André Gagnon
L’abandon du troisième lien autoroutier remet de l’avant la pertinence du transport de véhicules à bord de la traverse Québec-Lévis, considèrent ses syndiqués, qui pressent la STQ de remplacer ses vieux traversiers. Un expert met toutefois en garde contre les dépassements de coûts potentiels.
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Construits en 1971, au chantier Davie, les deux traversiers officiels de la traverse Québec-Lévis atteindront la fin de leur durée de vie utile en 2031.
Même s’ils ont été modernisés au début des années 2000, dans huit ans, le Lomer-Gouin et le Alphonse-Desjardins devront être remplacés.
À ce jour, la Société des traversiers du Québec (STQ) n’a toujours aucun plan de remplacement connu pour ces deux navires vieillissants, dont un est prêté au moins jusqu’à l’été à la traverse de L’Isle-aux-Coudres, où deux bateaux sont en réparation.
Cette situation, que le syndicat des employés de la traverse Québec-Lévis trouve « gênante », se répète depuis plus de deux ans. Pour un deuxième hiver consécutif, la traverse de Québec-Lévis fonctionne avec un seul bateau, et quand le seul navire disponible fait défaut, les traversées sont annulées, ce qui prive les usagers du service.
« À Québec-Lévis, on va sauver les autres traverses. On déshabille une traverse pour en habiller un autre », regrette le président du Syndicat des employés de la Société des Traversiers Québec-Lévis, Patrick St-Laurent.
Un troisième lien sans voiture
En 2022, le gouvernement Legault avait mandaté la STQ pour qu’elle étudie la possibilité « d’opter pour des navettes fluviales destinées aux cyclistes et piétons » en remplacement des deux traversiers actuels.
« Avec la mise en service du tunnel Québec-Lévis [...] il est projeté que l’achalandage automobile de la traverse Québec-Lévis devienne caduc », faisait valoir Québec.
L’abandon du projet de tunnel routier vient vraisemblablement de changer la donne.
« Pour le moment, la STQ poursuit la collecte de l’ensemble de ses informations pour estimer les besoins futurs de la traverse Québec-Lévis », a rapporté le porte-parole de la STQ, Simon Laboissonnière.
« La mobilité des citoyens est en transformation dans la grande région de Québec et plusieurs projets pourront influencer les habitudes de déplacement dans la région. La STQ doit en tenir compte pour soumettre ses conclusions », a-t-il souligné.
La Davie bientôt débordée ?
Avec sept brise-glaces et deux traversiers interprovinciaux à construire pour le gouvernement fédéral – des contrats en négociation totalisant plus de 8,5 milliards $ –, le chantier Davie, à Lévis, en aura bientôt plein les bras.
Pour le syndicat des employés de la traverse, qui est affilié à la CSN (comme chez Davie), il serait « logique » que la STQ commande de nouveaux traversiers pour sa desserte entre Québec et Lévis, avant que le carnet de commandes du chantier Davie ne soit trop rempli.
« Le temps est un luxe que la STQ n’a pas », croit M. St-Laurent.
La direction du chantier Davie, de son côté, se fait rassurante. « Même avec les contrats de la Stratégie nationale de construction navale (SNCN), Davie dispose de toute la flexibilité nécessaire pour répondre aux besoins de la STQ », a indiqué Denis Boucher, vice-président, affaires publiques et relations stratégiques chez Chantier Davie Canada.
Aujourd’hui à la retraite, l’architecte naval John T. Stubbs plaide pour une meilleure planification à la STQ. Il a participé, au début des années 1970, aux premiers essais sur le Saint-Laurent du Alphonse-Desjardins et du Lomer-Gouin. Il était alors étudiant.
Cet expert, qui a depuis participé à la construction d’une cinquantaine de navires, dont plusieurs vraquiers brise-glaces, constate que la STQ paie trop cher pour ses nouveaux traversiers.
Apprendre de ses erreurs
S’ils coûtent si chers, c’est notamment parce que la STQ met trop de temps à les faire construire. En revanche, « il ne faut pas se précipiter », met en garde M. Stubbs, qui craint d’autres histoires de dépassements de coûts.
« On est dans un cercle vicieux, parce que ça prend trop de temps, ça coûte trop cher puis parce que ça coûte trop cher, on repousse tout le temps. Et quand on repousse, ça coûte de plus en plus cher », résume M. Stubbs.
Pour apprendre de ses « mauvaises expériences », la STQ doit absolument s’entourer d’experts compétents, mieux évaluer le risque et mieux planifier ses acquisitions. Il s’agira certainement d’un « gros défi », selon lui, pour la nouvelle PDG de la STQ, Gréta Bédard, dont la nomination a été entérinée mercredi dernier.
UNE FLOTTE VIEILLISSANTE
NM Lomer-Gouin
Traverse Québec-Lévis
- Construit en 1971 à la Davie Shipbuilding, Lauzon
- Modernisé en 2003
- Capacité : 590 passagers, 54 véhicules
- Arrivée en fin de vie en 2031
NM Alphonse-Desjardins
Traverse Québec-Lévis
- Construit en 1971 à la Davie Shipbuilding, Lauzon
- Modernisé en 2002
- Capacité : 590 passagers, 54 véhicules
- Arrivée en fin de vie en 2031
NM Joseph-Savard
Traverse L’Isle-aux-Coudres–Saint-Joseph-de-la-Rive
- Construit en 1985 par Versatile Davie, Lauzon
- Capacité : 367 passagers, 55 véhicules
NM Félix-Antoine-Savard
Traverse L’Isle-aux-Coudres–Saint-Joseph-de-la-Rive
- Navire de relève
- Construit en 1996 par Industries Davie, Lauzon
- Capacité : 376 passagers, 70 véhicules
NM Radisson
Navire de relève, en renfort à la traverse L’Isle-aux-Coudres–Saint-Joseph-de-la-Rive, parfois entre Québec et Lévis
- Construit en 1954 par la Davie Shipbuilding, Lauzon
- Capacité : 375 passagers, 58 véhicules
Quelques hypothèses
Maintenant qu’un troisième lien routier n’est plus dans les cartons, les perspectives d’avenir semblent bien meilleures pour la traverse Québec-Lévis, dont le maintien dans le futur était loin d’être assuré. Avec deux navires en fin de vie, la STQ pourrait faire le choix de les remplacer par d’autres navires moins âgés, sinon d’en faire construire des nouveaux. Voici quelques scénarios envisageables.
Acheter neuf

En début d’année, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a annoncé l’acquisition, d’ici 2029, de trois nouveaux traversiers électriques pour les traverses de L’Isle-aux-Coudres et de Sorel-Tracy, moyennant un investissement de 191,5 millions $, mais rien pour la traverse de Québec-Lévis.
« Le processus est entamé et se poursuit. Nous sommes présentement au tout début du projet qui s’échelonnera sur plusieurs années », a indiqué Simon Laboissonnière, responsable des communications à la STQ.
« Quand je vois d’ici 2029 pour construire trois traversiers, on ne s’aide pas », souligne l’architecte naval à la retraite John T. Stubbs (photo). Selon lui, trois sinon quatre années devraient suffire pour compléter le processus d’acquisition.
Questionné en marge de l’annonce de l’intégration du chantier Davie à la stratégie navale fédérale, le premier ministre François Legault a laissé entendre qu’il « n’est pas exclu » que Québec commande de nouveaux traversiers. « Mais il n’y a pas de plan confirmé », a-t-il laissé planer.
100 % piétonnier ?

C’est un scénario sur la table de la STQ depuis plusieurs années. En octobre 2011, Le Journal révélait qu’un troisième traversier destiné exclusivement aux piétons et aux cyclistes était dans les cartons. Sa mise en service était prévue d’ici 5 à 10 ans, soit quelque part entre 2016 et 2021. Il était alors question de prévoir un quai supplémentaire et de remplacer les deux navires actuels par de plus gros bateaux, similaires à ceux de la traverse de Tadoussac (photo), d’ici... 2023.
En 2022, dans le contexte du troisième lien, le gouvernement Legault a mandaté la STQ pour qu’elle évalue la possibilité de remplacer les navires de la traverse Québec-Lévis en navettes fluviales pour piétons et cyclistes seulement.
Pendant la campagne électorale, la CAQ proposait de recréer le Marché Champlain en lieu et place de la traverse, du côté de Québec, après quoi les traversiers actuels seraient remplacés par des navettes touristiques exploitées par le privé. Vérification faite, il n’y a eu aucun développement dans ce dossier depuis.
Rénover, adapter ?

Une fois ses deux nouveaux traversiers électriques livrés à L’Isle-aux-Coudres, la STQ pourrait récupérer les deux navires actuels de cette traverse et les utiliser entre Québec et Lévis.
Le NM Joseph-Savard et le NM Félix-Antoine-Savard (photo), construits respectivement en 1985 et en 1996, ont encore quelques bonnes années devant eux.
Ils peuvent toutefois accueillir environ 370 passagers, alors que ceux utilisés en ce moment peuvent en recevoir près de 600. Leurs salons de passagers sont aussi beaucoup plus petits que ceux du Alphonse-Desjardins et du Lomer-Gouin.
La STQ investit présentement 43,3 millions $ pour la modernisation du Joseph-Savard. Dans le cadre de ces travaux, qui ont débuté en 2021 et qui coûteront au moins 14 millions $ de plus que prévu initialement, de nouvelles rampes à piétons seront ajoutées, justement de façon à pouvoir être exploité comme navire de relève à la traverse Québec-Lévis. Le salon de passagers offrira aussi 125 places assises, soit deux fois plus qu’à l’heure actuelle.
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