Dans le labo d’un «Dr Frankenstein»
Un militant écolo réparateur récolte les produits Apple «morts» pour prélever et réassembler leurs «organes»


Louis-Philippe Messier
À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
Lorsque j’arrive dans la salle d’opération de la compagnie iPhoenix sur la rue Jean-Talon, Cédrick Guilbert, que je surnomme le Dr Frankenstein du Apple, me demande si je lui ai apporté un mort ou un malade. Oui, lui dis-je : voici un iPhone 5S décrété kaput à la suite d’une noyade.
Je ne sais pas pour vous, mais, chez moi, deux vieux iPhone dormaient dans une boîte depuis des années. Même le modèle détruit par l’eau, je l’ai gardé. Cédrick Guilbert sourit en voyant mon « mort ». Pour l’autopsie, il me donne deux tournevis.
« C’est toi qui vas l’ouvrir ! » m’apprend ce Français d’origine établi au Québec depuis 12 ans.
M. Guilbert a réparé des milliers d’appareils et agi comme bénévole dans des dizaines de « réparothons » et foires Zéro Déchet. Il m’explique comment éventrer feu mon iPhone, puis il observe ses viscères...
« Es-tu sûr qu’il ne marche vraiment plus, ton téléphone ? »
Il y a trois ans, dans une boutique de réparation, on m’a assuré que l’eau l’avait zigouillé, rien à faire... M. Guilbert le branche et, aussitôt, il détecte que la pile donne des signes de vie. Va-t-il ressusciter ?
Autre chose. M. Guilbert remarque que la carte-mère de ce téléphone que je croyais neuf n’est pas d’origine. Autrement dit, j’avais en main un appareil reconditionné sans le savoir ! M. Guilbert connaît les cartes-mères, il effectue des travaux de microsoudure pour les réparer (c’est pour ça, son microscope).

Fléau du gaspillage
Évidemment, je fulmine d’apprendre que mon iPhone acheté neuf et déclaré mort n’était ni l’un ni l’autre... Cédrick Guilbert, lui, n’est pas surpris.
« Que veux-tu, c’est le Far West ! Il n’y a pas de certification pour dire si un réparateur est compétent ou non. Même moi, je suis autodidacte. »
« Une quantité inouïe d’appareils Apple sont jetés ou mis au recyclage pour rien puisqu’il serait très facile de les réparer ou de réutiliser leurs pièces. Et souvent, les gens pensent avoir un authentique iPhone et je leur apprends, comme à toi, que des éléments ne sont pas d’origine. »
Des gens lui apportent régulièrement leurs MacBook « morts » pour qu’il réutilise les pièces, et lui les stupéfie en leur révélant que, moyennant une réparation mineure, l’appareil est réparable et encore bon pour longtemps.
« Ça m’arrive cinq ou six fois par semaine que je sauve un MacBook qu’un autre réparateur a décrété bon pour la ferraille. »
Transplantation
« It’s alive ! » s’écrie le Dr Frankenstein dans le film des années 1930 avec Bela Lugosi. Cette exclamation me revient en mémoire lorsque mon vieux iPhone 5S reprend vie après une demi-heure de recharge...

Les appareils morts, il les démembre. Leurs organes se retrouvent dans des bocaux et servent de greffes à d’autres appareils endommagés.
« Mon but ultime est de ne rien jeter, de tout réutiliser, et j’aimerais faire comprendre aux gens que racheter du neuf au moindre petit problème n’est pas toujours la chose intelligente à faire. »
La compagnie iPhoenix loue son espace à l’étage du café Mon Atelier de Quartier qui est en train de devenir le centre névralgique du mouvement de promotion de l’autoréparation à Montréal.