«C’est un job qui peut être très frustrant!»: la relation amour-haine de livreurs avec Uber Eats
La plateforme a ses failles, mais sait entretenir son attrait

Jean-Philippe Guilbault
Malgré les nombreux obstacles et difficultés vécus tant avec la plateforme qu’avec des clients, des livreurs développent une forme de relation amour-haine avec Uber Eats allant jusqu’à vouloir laisser leur compte actif toute leur vie.
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«J’aimerais ça garder mon compte actif jusqu’à la fin de ma vie, nous confie Issa Issa, un livreur Uber Eats de 23 ans que Le Journal accompagne depuis quelques heures. Ça ne veut pas dire que je vais en faire jusqu’à la fin de ma vie. Juste pour le fun, juste pour voir comment l’emploi va évoluer.»
Le jeune étudiant en relations industrielles à l’Université Laval d’origine kurde fait des livraisons pour la plateforme depuis 2022 à temps partiel. Il est autrement courtier en assurances et se sert d’Uber Eats pour générer un revenu supplémentaire.
Cette confidence entre deux livraisons dans l’ouest de Québec semble présager une vision romantique avec la plateforme californienne, mais Issa nuance rapidement le portrait.

«Mais c’est un job qui peut être très très frustrant», lâche-t-il.
Il en a notamment contre la multinationale qui n’épaule pas réellement ses livreurs, pourtant au cœur de son modèle d’affaires.
«Uber fait son argent et les livreurs: ''allez sur le terrain pis amusez-vous bien. Si vous faites de l’argent, tant mieux, sinon ce n’est pas notre problème''», se désole-t-il, soulignant que le service de soutien offert par la compagnie est «très scripté».
«On se fait souvent dire de changer de job si on n’est pas heureux, mais ce n’est pas si simple», ajoute celui qui fait aussi de la livraison pour d’autres plateformes ainsi que du transport de personnes avec Uber tout court.

À l’instar d’autres livreurs, Issa cite la flexibilité offerte par Uber Eats, quelque chose qui ne pourrait pas retrouver ailleurs sur le marché du travail.
Il en a aussi l’opacité de la rémunération offerte par Uber, qui varie grandement d’une course à l’autre et selon le nombre de livreurs sur le territoire. Et la plupart des courses offertes ne sont tout simplement pas rentables.
À titre d’exemple, alors que nous roulions dans les alentours de L’Ancienne-Lorette, l’algorithme lui offre de faire 20 kilomètres jusqu’à Lévis pour seulement 6$.

«En plus, c’est du Dairy Queen! La crème glacée, les chances qu’elle soit encore en bon état après 20 kilomètres sont extrêmement faibles», analyse Issa avant de refuser tout simplement la demande.
Des kilomètres et des jeux
Pour motiver ses livreurs à faire des courses peu intéressantes, Uber Eats propose des «quêtes» à ces derniers. S’ils réussissent à faire un certain nombre de courses en une semaine, un bonus monétaire leur est alors versé.
«C’est un bon jeu mental qu’ils ont fait. Ça fait en sorte que je ne travaille pas à la paie, je travaille pour les commandes», observe Issa qui se prête lui-même au jeu. Cette semaine, il devait compléter 65 courses en une semaine pour recevoir 180$.
«Mais 65 courses, c’est énorme! Ça frôle le temps plein. En temps normal [...] dans aucun monde, je prendrais ces courses-là», selon le livreur.
Reste qu’il s’accroche à la plateforme, passant même des moments à faire des livraisons avec sa copine comme passagère.
«J’aimerais ça voir “livreur depuis 2022’’... en 2032! Alors que je serai à un endroit complètement différent dans ma vie, rêvasse Issa. Je fais complètement autre chose, mais à n’importe quel moment je peux appuyer sur un bouton et me remettre en ligne et ramasser des livraisons.»
Sa plus grosse commande?
70 items dans une épicerie pour un total de 70$. J’ai fait ça en une heure, je n’ai jamais revu quelque chose comme ça en près de 3000 livraisons.
Sa commande la plus bizarre?
Mercredi, j’ai été chercher du Gaviscon, pour les brûlements d’estomac, une boîte de condoms pis du lubrifiant. Ça m’a donné 10$ pour 3 kilomètres, je me suis dit: pourquoi pas!