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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

C’est la guerre dans le monde de la bière au Québec

Le combat oppose des microbrasseries à un couple d’entrepreneurs qui menace leur survie

photo founie par Pol Brisset
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Photo portrait de Julien McEvoy

Julien McEvoy

2023-11-25T05:00:00Z
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Après Tite Frette, c’est au tour d’un autre gros joueur de faire souffrir l’industrie de la bière au Québec. Un important distributeur doit plus de 1 M$ à un microbrasseur, qui vient de claquer la porte en attendant son chèque.

• À lire aussi: Un détaillant de bières québécoises a de la broue dans le toupet 

«Ils ne nous payaient plus. Leurs excuses m’ont convaincu un temps. Je me suis tanné», s’offusque Pol Brisset, qui possède l’Alchimiste depuis 2019 et qui compte 27 ans de métier, au sujet de son distributeur, Transbroue.

Il était le premier partenaire de Transbroue, car le brasseur de Joliette se distingue avec des ventes en hausse de 300% sur quatre ans dans un secteur en net recul.

Transbroue lui doit 1 200 000$, une dette construite en 12 mois, assure, clame et jure Pol Brisset. C’est beaucoup d’argent dans ce petit milieu. 

«Je suis une victime, moi aussi», lance Tristan Bourgeois Cousineau, propriétaire du Groupe Triani et de Transbroue. Sa réputation a toujours été bonne, dit-il, mais depuis l’achat de Transbroue il y a 15 mois, «ça a commencé à chirer». 

La conquête

L’entrepreneur de 32 ans a fondé Triani en 2014 avec sa conjointe, Joannie Couture. Ils embouteillaient eux-mêmes du vin italien qu’ils vendaient dans les dépanneurs.

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Tristan Bourgeois Cousineau et Joannie Couture, en 2017, alors que le couple commence son ascension.
Tristan Bourgeois Cousineau et Joannie Couture, en 2017, alors que le couple commence son ascension. Carl Vaillancourt / JdeM

Neuf ans et de nombreuses acquisitions plus tard, le couple est aux commandes d’un groupe tentaculaire qui génère au moins 20 M$ de revenus par année. 

Triani possède les bières Glutenberg, Oshlag, Vox Populi et 2 Frères, ainsi que les boissons alcoolisées Baron, Octane et Mojo.

Ses produits sont vendus par Transbroue, qu’elle vient d’acheter et qui représente de nombreuses autres microbrasseries. La Caisse de dépôt a investi 2,5 M$ dans la boîte en 2017 avant que le couple ne l’achète.

Les opérations de Triani ont lieu à Terrebonne, dans une usine dont la superficie est passée de 34 000 pi2 en 2020 à plus du triple aujourd’hui. L’entreprise y fabrique aussi des produits pour d’autres, notamment Molson, Sleeman et Beach Day Every Day, qui appartient à Oliver Primeau. 

Olivier Primeau a affiché son partenariat avec Triani sur LinkedIn en juillet dernier.
Olivier Primeau a affiché son partenariat avec Triani sur LinkedIn en juillet dernier. capture d'écran tirée de LinkedIn / compte d'Olivier Primeau

«Je n’ai jamais parlé de ça à personne, c’est confidentiel», précise le patron, sans nier que ce sont ses clients. 

Les Bonnie et Clyde du Québec?

Cette histoire à succès ne rend pourtant pas tous les partenaires de Triani de Terrebonne humeur. 

«Tristan et Joannie gèrent des millions de dollars comme si c’était une petite entreprise familiale», accuse Pol Brisset, qui vient de claquer la porte du distributeur. 

Le Joliettain n’est pas seul à ne pas se faire payer. Transbroue fait vivre le même cauchemar aux quatre autres microbrasseries sous contrat – Shelton, 4 Origines, L'Espace public et MonsRegius.

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Certaines n’ont pas les reins aussi solides que Pol Brisset. La faillite les guette. Elles se demandent: comment Triani peut à la fois refuser de les payer et investir à Terrebonne pour agrandir l’usine? 

«J'ai mis des centaines d'heures à démêler ce que je croyais être un fouillis administratif de jeunes débutants», lance René Huard, de la brasserie Simple Malt. 

Triani lui doit environ 400 000$ dans d’autres dossiers. «Ils m'ont fait beaucoup de tort. Ils en font à toutes les PME qu'ils croisent», martèle l’entrepreneur. 

Il ne croit plus au simple fouillis. Le Québec ferait plutôt face à une vraie cavale digne de Bonnie et Clyde.

«Tristan et Joannie produisent plus de conflits que de produits. Ils mènent systématiquement leurs entreprises dans le mur», raconte-t-il. 

Il suspecte, comme beaucoup d’autres, que le couple prépare son «plan B». L’hypothèse veut qu’il se sauve bientôt avec «toutes les sommes provenant de ses multiples magouilles et détournées via une entreprise non reliée aux conflits».

Reine de la poursuite 

Triani est une habituée du palais de justice. Au moins 20 poursuites ont été déposées contre elle depuis quatre ans, lit-on dans le plumitif. 

Six entreprises l’accusent par exemple de leur devoir 635 000$. La Brasserie Générale lui réclame 154 225 $ et la brasserie À l’abri de la tempête, 141 403$, lit-on dans une poursuite déposée en août. 

«Le milieu brassicole est en décroissance et ton distributeur retient ton argent. En bon québécois, tu es vraiment dans la merde», a déclaré un brasseur à La Presse à ce moment-là.

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L’ex-dragon Nicolas Duvernois s’est aussi fait prendre. Le créateur de Pur Vodka a donné plus de 1 M$ à Triani pour la production d’un nouveau produit qu’il venait de vendre à la SAQ. 

«La SAQ paye Triani, car Triani a le permis. Mais Triani ne te paye pas», explique le patron de Duvernois Esprits Créatifs.

Il savait qu’il ne serait pas payé alors que ses produits étaient envoyés à la SAQ. D’autres ont subi le même sort, il le sait maintenant aussi. 

«Je ne vous dirai pas le nombre d’entreprises qui m’appellent! Elles ne savent plus quoi faire avec Triani. Il n’y a rien à faire. La loi doit changer», assène l’entrepreneur. 

Si Nicolas Duvernois est suffisamment solide financièrement pour perdre 1 M$, ce n’est pas le cas de tout le monde.

Triani refuse cette version des faits. 

«On veut aider les microbrasseries. Mais la tempête parfaite est arrivée et l’industrie est à moins 20. Au lieu de se serrer les coudes, certains ont décidé de me traîner dans la boue», avance Tristan Bourgeois Cousineau.

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