Bienvenue à Umoja, le village où les hommes sont interdits


Anne-Sophie Poiré
À Umoja, les hommes sont interdits. Seules les femmes sont autorisées à vivre dans le village du Kenya. Fondé il y a plus de 30 ans, il a d’abord servi de refuge aux victimes de violences sexuelles et conjugales qui sont aujourd’hui financièrement indépendantes et «débarrassées» de leur mari, disent-elles.
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Situé à 300 km de la capitale kényane, Nairobi, le village ressemble à des milliers d’autres dans le pays. Une vingtaine de huttes faites de branchages et de bouse de vache construites de manière traditionnelle en cercle abritent 30 familles environ, à proximité de la réserve nationale de Samburu.

Mais contrairement aux autres villages, Umoja est un «No Men’s Land».
À l’exception des touristes de passage, les hommes n’ont pas le droit d’y pénétrer. Seuls les garçons de moins de 18 ans peuvent y vivre avec leur mère.
Les villageoises ont toutes fui leur domicile familial en quête de liberté et de sécurité. Elles ont été pour la plupart victimes de mutilations génitales, de mariage forcé, de violence physique ou de viol.
«Pourquoi s’embarrasser d’un mari quand on est indépendante financièrement?», répètent-elles en riant.
Un refuge contre la violence
L’histoire du village remonte au début des années 1990. Avec une quinzaine de femmes du peuple Samburu, la fondatrice, Rebecca Lolosoli, a décidé de créer une communauté loin des violences et du patriarcat.
La plupart d'entre elles ont survécu à des viols perpétrés par des soldats britanniques locaux, puis battues et répudiées par leur mari pour avoir apporté la honte sur leur communauté.
Umoja signifie «unité» en Swahili, la langue officielle du Kenya.
🌟📸🇰🇪VILLAGE UMOJA, KENYA.
— African Culture (@AfricanChalawa) May 12, 2021
Il y a un village dans les prairies de Samburu au nord du Kenya, et c'est plutôt unique. Le village d'Umoja - «unité» en swahili - est gardé par une clôture épineuse, et pour cause: il n'y a pas d'hommes autorisés là-bas. Ce sont toutes des femmes⬇️ pic.twitter.com/1SywdcZ2IS
Chez les Samburu, les femmes sont la propriété de leur mari. Elles accomplissent presque tout le travail dans leur village, mais rien ne leur appartient. Les adolescentes sont forcées d’épouser des hommes beaucoup plus âgés. Les mutilations génitales sont couramment pratiquées, bien qu’interdites depuis 2011 au Kenya.
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«Dans la communauté, on a l’habitude de dire que les femmes sont le cou et les hommes la tête», racontait une des fondatrices d’Umoja au magazine Jeune Afrique.
«Une femme ne peut pas être debout quand un homme est assis. Elle ne peut pas prendre la parole avant lui. Et si son mari veut la tuer, eh bien, il peut le faire.»
Umoja est donc devenu un lieu de refuge pour ces femmes qui ont appris à se débrouiller seules.
En 2005, la fondatrice, Rebecca Lolosoli, a même été invitée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) à assister à une conférence mondiale sur l’autonomisation des femmes, à New York.
Protéger et éduquer
En quelques années d’existence, le village est devenu financièrement autonome.
Les villageoises subviennent à leurs besoins grâce aux dons, à l’élevage du bétail, un rôle généralement réservé aux hommes, et aux bijoux de perles colorées fabriqués et revendus aux touristes qui visitent le village et la réserve nationale de Samburu. Un camping a même été aménagé pour les accueillir.

Avec ces revenus, elles ont pu acheter le terrain sur lequel Umoja est installé, en plus d’y construire une école.
L’objectif est de protéger les femmes, mais également de leur offrir une éducation.
Les enfants apprennent rapidement à écrire, à lire et à compter. Les garçons aident leur mère dans les tâches ménagères et les matriarches enseignent leurs droits aux plus jeunes, parlent d’égalité des sexes et font de la prévention contre la violence et le sida.
Les femmes des communautés voisines sont aussi conviées à ces réunions.
Libres sans les hommes
Mais l’autonomie des habitantes de Umoja est loin de plaire à tout le monde.
À plusieurs reprises, elles ont subi du harcèlement et de la violence de la part des hommes de communautés voisines ou d’ex-maris qui voulaient récupérer leur épouse. Trois gardiens ont donc été engagés pour protéger les villageoises, dont le mode de vie est jugé en opposition aux traditions locales.
En 2005, l’une des femmes d’Umoja a malgré tout été assassinée.
La situation n’a toutefois pas empêché d’autres villages matriarcaux de se construire aux alentours, dont ceux de Mopukuri et de Nang’ida. Dans ce dernier, le retour des maris est toléré, mais uniquement s’ils acceptent de vivre sous les règles matriarcales.
Ailleurs, elles sont libres d’entretenir une relation avec un homme qui ne pourra jamais habiter la communauté. Et une fois arrivés à l’âge adulte, les jeunes garçons issus de ces unions devront quitter d’eux-mêmes l’enceinte du village.
– Avec les informations de la Gazette des femmes, The Guardian, Jeune Afrique et The New York Times