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L'article provient de TVA Nouvelles
Société

Après la malbouffe, il faut sortir les cellulaires des écoles

Un enseignant lance une pétition pour les interdire dans les établissements scolaires

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Photo portrait de Daphnée  Dion-Viens

Daphnée Dion-Viens

2023-08-18T04:00:00Z
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Préoccupé par ces jeunes qui sont encore plus accros aux écrans depuis la pandémie, un enseignant lance un véritable cri du cœur. Après avoir banni la malbouffe des établissements scolaires, il est temps de sortir les cellulaires des écoles, réclame-t-il dans une pétition soutenue par des experts. 

«On a enlevé la friture et retiré les machines à boissons gazeuses des écoles parce qu’on a dit que le sucre n’était pas bon pour nos jeunes. On s’est tenus debout comme adultes et on a dit non. Pourquoi on ne pourrait pas le faire aussi pour le cellulaire à l’école?», lance Étienne Bergeron, un prof d’univers social au secondaire et père de quatre enfants.

Plusieurs enseignants avec qui Le Journal s’est entretenu au cours des dernières semaines appuient sa démarche.

Avant même la pandémie, de nombreux experts avaient tiré la sonnette d’alarme lors d’un forum organisé par Québec, affirmant que les écrans étaient devenus un véritable problème de santé publique chez les jeunes. 

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  • Écoutez l'entrevue avec Simon Landry, enseignant en mathématiques au secondaire dans la région métropolitaine au micro d’Alexandre Dubé via QUB radio :

La pandémie n’a fait qu’aggraver la situation, affirme cet enseignant d’une école secondaire du Centre-du-Québec. 

Anxiété, isolement, problèmes alimentaires, cyberintimidation, dépendance aux jeux vidéo: il est en contact avec plusieurs parents «en détresse» qui voient leur enfant «dépérir» en raison du temps passé sur les écrans, affirme celui qui donne aussi des conférences sur le sujet.

À l’école, des jeunes passent l’heure du dîner complètement isolés, le nez rivé à leur téléphone. D’autres quittent les cours en courant dès que la cloche sonne pour pouvoir jouer aux jeux vidéo pendant les pauses, raconte M. Bergeron.

«Ils arrivent ensuite en classe après le stress du jeu vidéo, ils ne sont pas du tout disposés à apprendre», déplore l’enseignant.

«Les adultes ont baissé les bras»

«Ce que je remarque aussi beaucoup, c’est le désengagement des adultes, ajoute-t-il. On dirait que comme parent, comme société, on a baissé les bras. Mais si on pense qu’interdire les cellulaires à l’école, ce serait trop difficile, c’est parce qu’il y a une dépendance qui est liée à ça et il faut la combattre, comme école.»

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Or, avec le cellulaire, on fait plutôt l’inverse, poursuit l’enseignant.

« On leur fournit le wifi sans s’interroger sur quel type de contenu ils consultent. C’est comme leur fournir le plat de bonbons sans restriction. C’est l’Halloween à l’année! »

Étienne Bergeron, enseignant au secondaire dans une école du Centre-du-Québec

- Étienne Bergeron, enseignant au secondaire dans une école du Centre-du-Québec

Photo Daphnée Dion-Viens

Interdiction complète réclamée

Au printemps, 92% des profs interrogés par la Fédération des syndicats de l’enseignement ont affirmé être en faveur de l’interdiction du cellulaire en classe, comme c’est le cas dans les écoles de l’Ontario, où Le Journal s’est rendu. Cet été, un rapport produit par l'UNESCO a par ailleurs démontré les effets néfastes d'avoir un cellulaire à sa portée en classe.

• À lire aussi: Bannir le cellulaire en classe: le Québec devrait-il s’inspirer de l’Ontario?

Étienne Bergeron estime toutefois qu’il faut aller encore plus loin. 

Il a déposé une pétition sur le site de l’Assemblée nationale, parrainée par le Parti Québécois, pour réclamer l’interdiction complète des cellulaires à l’école, y compris pendant l’heure du dîner et les pauses, pour «protéger l’apprentissage et le bien-être des jeunes du Québec». 

Seule exception: les appareils numériques personnels pourraient être utilisés en classe, mais uniquement pour des raisons pédagogiques. L’initiative est soutenue par plusieurs experts (voir plus bas). 

Une règle semblable existe en France pour les élèves âgés de 15 ans et moins. Les Pays-Bas ont aussi annoncé récemment qu’ils emboîteront le pas à partir de l’an prochain.

Il n’est toutefois pas question de priver complètement les jeunes de la technologie, précise M. Bergeron, qui a créé avec son collègue Louis-Philippe Ferron une zone sans cellulaire dans son école, où les jeunes peuvent s’initier à la robotique et au design 3D à l’écran (à lire demain).

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M. Ferron compare d’ailleurs les activités parascolaires à une «salade de brocoli» qui a de la difficulté à rivaliser avec le «plat de bonbons» que représente le cellulaire. 

«Tu fais quoi, si on t’offre les deux? Ça prend un adulte qui dit que le plat de bonbons, ça viendra après le plat de brocoli. Là, ils se bourrent de bonbons au lieu de prendre de la salade de brocoli, et à l’école en plus.»

Pourquoi interdire le cellulaire à l’école?  

Des experts se prononcent:

Pour permettre une meilleure concentration en classe

Le simple fait d’avoir son téléphone près de soi en classe peut nuire à la concentration des élèves, souligne Caroline Fitzpatrick, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. «C’est important de donner aux jeunes toutes les chances d’être concentrés et en bonne forme mentale lorsqu’ils sont à l’école. Passer une journée sans être sur Tik Tok ou Instagram, ça pourrait faire du bien à plusieurs. Ça leur permettrait de prendre une pause des écrans et des réseaux sociaux, alors que les risques à bannir le cellulaire à l’école sont vraiment minimes», affirme-t-elle.

Pour contrer les effets nocifs des écrans

Des études «rigoureuses» ont démontré une relation entre l’utilisation des téléphones intelligents et des médias sociaux et l’augmentation de la détresse mentale, des comportements d’automutilation et des tendances suicidaires chez les jeunes un peu partout dans le monde, souligne Linda Pagani, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal. «Je ne comprends pas pourquoi l’école autorise les cellulaires pendant la journée. Il n’y a aucun besoin qui ne peut le justifier, alors que l’on sait maintenant que le lien entre le téléphone cellulaire et les problèmes de santé mentale est encore plus fort que le lien entre le tabagisme et le cancer du poumon», indique Mme Pagani.

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Parce que l’école est un milieu sécuritaire

Pour Joël Monzée, docteur en neuroscience, il est clair que l’usage d’un téléphone intelligent à l’école «perturbe les jeunes», qui ont peur de manquer des notifications ou des messages de leurs amis virtuels. «Tout ça, ce sont des éléments qui vont venir affecter la persévérance scolaire», affirme-t-il. Celui-ci n’en revient pas de voir que des parents s’opposent à l’interdiction du cellulaire parce qu’ils veulent pouvoir rejoindre leur enfant en tout temps à l’école, «alors qu’il s’agit d’un endroit sécuritaire». En cas d’urgence, un parent peut toujours joindre son enfant par le biais du secrétariat de l’école, rappelle-t-il. «On fragilise le jeune parce que les parents ont des difficultés à ne pas être en contact permanent avec les enfants», déplore M. Monzée.

Pour inciter les jeunes à socialiser

Les jeunes vont à l’école pour apprendre, mais aussi pour socialiser, rappellent plusieurs experts. «Après deux ans de pandémie, où les jeunes ont été très isolés, je pense que c’est d’autant plus important qu’on puisse inciter les jeunes à reprendre le contact avec les autres, qui se faisait plus automatiquement avant», affirme Magali Dufour. Cette professeure spécialisée en cyberdépendance à l’UQAM estime que l’interdiction des cellulaires à l’école est une idée «fort intéressante», puisqu’elle permettrait aussi d’inciter les élèves à faire davantage de sport et d’activités parascolaires pendant leurs journées d’école.

Pour donner un cadre aux élèves

À l’adolescence, le développement du cerveau et de ses capacités d’autocontrôle n'est pas encore complété, si bien que certains jeunes ont plus de difficulté que d’autres à se contrôler face aux écrans. «Quand c’est plus difficile, il peut être souhaitable d’avoir des structures externes pour nous aider. Et l’école, c’est un bon endroit pour avoir cette structure», affirme Magali Dufour. «Ce ne sont probablement pas tous les jeunes qui en ont besoin, mais ça pourrait vraiment aider ceux qui sont plus vulnérables», ajoute-t-elle. 

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